Les violences sexistes et sexuelles sont des faits, pas des opinions

Dans une tribune, des personnalités, des collectifs et associations dénoncent le discours qui se propage, dans de nombreux médias, invitant à nuancer le crédit à accorder à la parole des victimes de violences sexistes et sexuelles. « Autoriser ces propos, c’est autoriser la violence qui en découle. »

Collectif  • 25 octobre 2024
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Les violences sexistes et sexuelles sont des faits, pas des opinions
À Paris, le rassemblement en soutien à Gisèle P. et à toutes les victimes de violences sexuelles a rassemblé plusieurs milliers de personnes.
© Maxime Sirvins

Alors que le pays est sous le choc, face à l’horreur d’une affaire portant sur des accusations de viols commis pendant une décennie par plus de quatre-vingt hommes sur une femme sédatée et inconsciente, un autre discours se propage, dans de nombreux médias, qui invite à nuancer le crédit à accorder à la parole des victimes de violences sexistes et sexuelles, ainsi qu’à minimiser la gravité des différents faits relevant de ces violences.

Aujourd’hui, entend-on, le risque serait grand de se substituer à la justice et de détruire, socialement et/ou intimement, des personnes qui auraient simplement manqué de tact ou d’élégance.

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Ce discours, qui se veut raisonnable et modéré, se prétend féministe, mais en réalité s’en prend aux victimes et défend les mis.es en cause. C’est une inversion de la culpabilité, et c’est d’une grande violence pour toutes les victimes. C’est donc à celles-ci que nous nous adressons en premier lieu : nous sommes ensemble, nous vous croyons.

Le crime de viol n’est possible que parce que toutes les agressions qui le précèdent sont tolérées.

On entend également dire que certains propos, certains actes, ne seraient pas si graves – ou le seraient moins que d’autres. Or, il est impossible et condescendant de juger du ressenti d’autrui à sa place, quel que soit le fait de violence subi ; d’autant plus que les recherches menées depuis de nombreuses années montrent qu’il existe un continuum des propos aux gestes violents, et des gestes violents entre eux. Le crime de viol n’est possible que parce que toutes les agressions qui le précèdent sont tolérées.

Notre société normalise ces agressions et les fait disparaître en les qualifiant de « blagues lourdes », « malentendus », ou « gestes déplacés ». Ces termes n’existent pas dans le code pénal ; les faits auxquels ils renvoient, si.

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Les violences sexistes et sexuelles sont des délits et des crimes, pas des opinions.
Leur réalité ne peut faire débat.
Les taire ne les fera pas disparaître.

L’émotion, entend-on encore, l’emporterait sur la raison et rendrait le débat impossible.

Réduire les femmes – qui, après les enfants, constituent l’écrasante majorité des victimes de violences sexuelles – à leurs émotions lorsqu’elles s’expriment, perpétue un cliché misogyne selon lequel elles seraient gouvernées par leurs affects, et de ce fait incapables de réflexion. Pathologiser ainsi le féminisme, c’est en nier la portée politique.

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Car c’est bien de politique qu’il s’agit. Exiger que nous ne soyons pas dans l’émotion, c’est vouloir nous couper des vécus à partir desquels nous avons construit notre pensée, notre engagement, nos luttes. Le féminisme n’oppose pas l’émotion à la raison ; il les conjugue.

Nier la légitimité de nos corps, souffrants mais bien vivants, c’est reproduire la négation qui a permis leur agression.

Nier la légitimité de nos corps, souffrants mais bien vivants, c’est reproduire la négation qui a permis leur agression. Et s’assurer qu’ils soient toujours à la disposition du patriarcat, qui en a besoin pour maintenir sa domination.

Sous couvert de dénoncer de pseudos excès, ce discours minimise la gravité des violences sexuelles et les banalise, met en doute la parole des victimes et voudrait les faire douter, hiérarchise les victimes en hiérarchisant les violences. Épousant le point de vue des agresseur.euses ou de leurs soutiens, il participe activement à la culture du viol.

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Nous ne pouvons tolérer que de tels propos soient répandus, de manière insidieuse, dans une séquence de backlash anti #MeToo particulièrement douloureuse pour l’ensemble des victimes de violences sexistes et sexuelles, et à laquelle la presse et les médias déroulent un tapis rouge.

Nous ne pouvons pas non plus ignorer que des discours, notamment racistes, homophobes et transphobes circulent aussi comme des courants de pensée validés par de nombreux médias, et jusqu’au nouveau gouvernement.

« Nos corps sont politiques »

Nous le réaffirmons : nos corps sont politiques. Leur réappropriation constitue l’enjeu même de notre lutte.

C’est pourquoi le féminisme rejoint d’autres mouvements, issus d’autres groupes minorisés – personnes non blanches, LGBTQIA+, en situation de handicap, de précarité, enfants et mineur.es…

C’est aussi sur toutes ces mobilisations et tous ces corps que s’abattent de tels discours, paternalistes et infantilisants, qui jugent de la légitimité de nos vécus, de notre droit à les exprimer, et qui voudraient nous dicter si et comment nous devrions réagir à la violence subie.

C’est pourquoi, ensemble, nous ne laisserons place à aucune récupération de nos luttes à des fins xénophobes, réactionnaires et liberticides.

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Ici ou ailleurs, nous n’approuverons ni ne collaborerons jamais à une politique qui accorderait des privilèges aux un.es, fondés sur la domination des autres.
Notre liberté ne peut dépendre de l’oppression de nos sœurs, frères, adelphes.
Nous exigeons la libération de toutes et tous.

On ne peut plus laisser débiter ces discours sans aucune contradiction ni la moindre vérification.

Nous en appelons donc à la déontologie des médias et des journalistes. On ne peut plus laisser débiter ces discours sans aucune contradiction ni la moindre vérification. Il est indispensable et urgent que les professionnel.les de l’information, qui n’ont souvent aucune connaissance de ces sujets, se forment.

Nous leur demandons de cesser d’être les complices de la banalisation de ces discours, au mépris des faits, de la loi et même de la simple décence.

Aux discours succèdent les actes : autoriser ces propos, c’est autoriser la violence qui en découle.

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Signataires

Personnalités

Iris Brey, autrice, réalisatrice 
Cécile Cée, autrice 
Judith Chemla, actrice, autrice 
Marianne Denicourt, actrice 
Hélène Devynck, journaliste, écrivaine 
Rokhaya Diallo, journaliste, réalisatrice 
Clotilde Hesme, actrice 
Alma Jodorowsky, actrice, réalisatrice 
Stéphanie Khayat, journaliste 
Ariane Labed, actrice, réalisatrice 
Anaïs Leleux, militante féministe 
Grace Ly, autrice 
Aïssa Maïga, actrice, réalisatrice
Claudia Mongumu, actrice 
Nadège Beausson-Diagne, actrice, autrice
Florence Porcel, autrice 
Joe Rohanne, cinéaste

Organisations

Acceptess-T
Association Légitimité et Inclusivité des Arts Scénarisés (ALIAS)
L’Association des Acteurices (L’ADA)
L’Assemblée Féministe Paris Banlieues
L’Association des Directeur.ice.s de casting (ARDA)
Le Collectif Enfantiste
Le Collectif 50/50
DisBonjourSalePute
Kessem Juives Décoloniales
MeTooMedia
NousToutes
L’Observatoire de la lesbophobie
La Relève Féministe


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Publié dans
Tribunes

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Temps de lecture : 6 minutes
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