« La Symphonie atlantique » : l’art, quand il n’y a plus rien à espérer
Hubert Haddad poursuit une œuvre singulière de résistance et d’élégance.
dans l’hebdo N° 1834 Acheter ce numéro
La Symphonie atlantique / Hubert Haddad / Zulma / 212 pages / 19,50 euros.
On connaît l’œuvre d’Hubert Haddad, qui, depuis ses premiers opus au début des années 1970, mène une puissante réflexion sur la barbarie nazie et ne cesse de s’interroger sur les capacités de résistance de l’art face au néant. On se souvient de son magnifique Palestine (Zulma, 2007). Avec La Symphonie atlantique, on se laisse une fois encore emporter par ses obsessions sublimées par un style magistral. Il nous offre un roman-poème qui nous entraîne sur les traces d’un enfant, musicien hors pair, Clemens, symbole d’une culture allemande ballottée dans les tourments de la guerre.
Haddad nous interpelle : après les autodafés, les arrestations, les déportations, que peut-il rester de la civilisation ? Il suggère une réponse : l’art. L’innocence de l’enfant artiste résiste à la perversion de l’adulte quand celui-ci est pris de haine. « Il y a des enfants à vie qui, même vieillis, garderont sur les choses un regard toujours neuf, la lumière du jour aura pour eux un étrange pouvoir d’éveil, proche d’un autre monde. » La musique, l’écriture et finalement la vie constituent un ultime refuge, intime sinon social.
À l’image des grandes marées de l’Atlantique, la puissance du style nous précipite dans la tempête de la guerre, avant de nous rejeter meurtris sur la grève, ramenés à notre humaine destinée. Le livre d’Haddad est une superbe réflexion sur l’art. On songe à la définition qu’en donne Baudelaire dans Les Phares : « Car c’est vraiment, Seigneur, le meilleur témoignage de notre dignité que cet ardent sanglot qui roule d’âge en âge et vient mourir au bord de votre éternité. » La poésie d’Haddad résonne comme un écho à ce désespoir transfiguré par l’art.
Mode de résistance
On ne peut pas éviter de songer au fracas des bombes qui nous parvient du Proche-Orient. Avec Clemens, l’enfant virtuose qui promène son violon au milieu de la tragédie, nous retrouvons les yeux de l’innocence dans un monde soudain dépourvu de sens et de raison. Mais Clemens, au prénom prédestiné, n’est pas qu’une victime expiatoire. Avec ses partitions de Mozart et de Mendelssohn, il propose un mode de résistance sans discours ni idéologie.
Il y a aussi, dans ces pages, une superbe et terrible évocation de l’Allemagne en guerre, vue de l’arrière, quand « la campagne invaincue du Reich […] garantissait encore la martiale quiétude des territoires germaniques ». Quand « la guerre était présente au quotidien en toute chose, jusque dans les physionomies ». C’est alors que Clemens s’exclame « d’une voix perdue : ‘Est-ce vrai que nous sommes en guerre ?’ »