Deux salariées obligées de retirer leur voile : les conséquences de l’islamophobe loi « séparatisme »

À Nancy, deux employées d’une association de réinsertion se sont vu demander de retirer leur voile sous peine de licenciement. Des salariés, eux, se mobilisent et un rassemblement est prévu ce 2 octobre.

Pierre Jequier-Zalc  • 1 octobre 2024 abonné·es
Deux salariées obligées de retirer leur voile : les conséquences de l’islamophobe loi « séparatisme »
© Foad Roshan / Unsplash

En France, on peut aller au travail, pendant plusieurs années, tous les matins, le faire bien, y mettre du cœur, ne jamais se faire rien reprocher et, du jour au lendemain, se retrouver sous la menace d’être mis à la porte pour sa tenue vestimentaire. Le tout, en toute légalité.

C’est cette violence que viennent de subir deux salariées de l’association Accueil et réinsertion sociale (AARS) de Nancy qui compte environ 300 salariés, en raison du voile qu’elles portent – pour l’une depuis au moins trois ans, date de son recrutement. En effet, cette association a instauré un nouveau règlement intérieur, entré en vigueur le 10 août dernier, dans lequel on peut y lire que « l’association assure une mission de service public déléguée par l’État, ce qui impose d’assurer l’obligation de neutralité du personnel. Les missions s’exercent dans le respect du principe de laïcité ».

Un changement qui a secoué en interne. « Ce nouveau règlement intérieur a reçu un avis défavorable lors de son passage en CSE (Comité social et économique). Mais ce vote est purement consultatif », raconte Philippe Blouet, délégué syndical SUD. Lors de son entrée en vigueur, les deux salariées qui portent le voile se sont donc inquiétées de cette nouvelle « clause de neutralité ». Reçues par la présidence, deux solutions leur ont été proposées. Retirer leur voile. Ou prendre la porte.

« Extrême violence »

« Nos collègues sont réduites à leur tenue vestimentaire, c’est une attaque aux droits des femmes, on les juge sur ce qu’elles portent », estime Emma, une collègue, auprès de nos confrères de Mediapart qui cite également Sarah, une autre salariée : « On est très surpris de la manière dont ça se passe. Ce sont deux collègues très compétentes et irréprochables. »

Mais voilà, ce ne sont pas les compétences de ces salariées, qui travaillent au pôle asile de l’AARS, qui sont remises en question. Mais bien leur tenue. Et le très droitier nouveau ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, a tout de suite sauté sur l’occasion pour apporter son soutien à la présidence de l’association. « Il n’est pas acceptable que des personnes cherchent à s’extraire des règles communes en matière de laïcité. En tant que ministre de l’intérieur, je vais lutter sans relâche pour faire reculer le séparatisme. »

Il y a clairement une volonté politique de contraindre les associations à limiter de plus en plus le port de signes religieux.

N. Hervieu

« C’est d’une extrême violence. Les mots du ministre qui parle de séparatisme, c’est à deux doigts de les accuser d’être des terroristes », souffle Philippe Blouet. Le mot de séparatisme n’est pourtant pas choisi au hasard. En effet, c’est la loi qui porte ce nom, votée en 2021, qui permet ce changement de réglementation. « L’association et Bruno Retailleau s’appuient sur l’article premier de la loi séparatisme qui a étendu le principe de laïcité à tous les opérateurs, au sens large, de l’État », explique Nicolas Hervieu, juriste en droit public. Ainsi, une association de droit privé qui réalise une mission de service public – comme l’AARS – y est désormais soumise.

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C’est d’ailleurs sur cet aspect légal que la présidente de l’association explique sa décision. « La loi s’applique. L’action de notre association se situe dans le cadre de la loi. On reçoit des personnes qu’on accompagne au nom de l’État français, l’État français est laïc et ça implique un certain nombre de principes », répond Valérie Levy-Jurin, présidente du conseil d’administration de l’AARS, à Mediapart. « S’ils ne se conforment pas à cette nouvelle loi, ils risquent de perdre leur délégation de service public », confirme Nicolas Hervieu pour qui « il y a clairement une volonté politique de contraindre les associations à limiter de plus en plus le port de signes religieux ».

« Les salariés sont dégoûtés »

Le juriste poursuit : « La position de l’association n’est donc pas absurde. Mais elle illustre, une nouvelle fois, l’extension légale de la laïcité d’année en année. À chaque fois, un nouveau pallier est franchi, au risque de perdre le sens initial de la laïcité ». Une focalisation sur les « signes religieux », ou comment, sous prétexte de laïcité, s’attaquer aux femmes musulmanes.

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« Comment accepter une limitation des libertés individuelles, des avis politiques, des pensées philosophiques dans un secteur perpétuellement animé et traversé par les questions sociales, sociétales, politiques et philosophiques », s’indigne SUD ARS dans un communiqué. Face aux vives réactions au sein des collègues des salariées concernées, le syndicat a organisé une assemblée générale qui a réuni 80 salariés. « Ça fait 25 ans que je bosse ici. Durant ces années, on a eu moult raison de se mettre en grève, mais je n’avais jamais fait une AG avec autant de personnes. Donc ce sujet mobilise. Les salariés sont dégoûtés », assure Philippe Blouet.

Un rassemblement est prévu ce mercredi 2 octobre, pendant le conseil d’administration de l’association qui devra se pencher sur cette question. En attendant, les deux salariées concernées sont en arrêt maladie. Face à l’instrumentalisation politique de leur situation, elles préfèrent ne pas prendre la parole par peur d’être ensuite cyberharcelées par l’extrême droite.

Société
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