Sanofi, leave France !
La cession d’Opella, filiale de Sanofi qui produit le Doliprane, à un fonds d’investissement américain, tourne en ridicule la promesse macroniste de renforcer la souveraineté sanitaire. Et cette opération ne sera d’aucun bénéfice pour la santé de la population. Au contraire.
dans l’hebdo N° 1833 Acheter ce numéro
La parole. Et les actes. En Macronie, ces deux mots s’accordent rarement. En tout cas, pas lorsqu’il s’agit de lutter contre les grandes forces de la finance. « Déléguer à d’autres le soin de produire les médicaments essentiels dans un monde qui se fragmente, c’est une impasse. On l’a vécu en cas de crise sanitaire, on pourrait être amenés à le revivre et c’est pourquoi il nous faut redoubler d’effort », expliquait fièrement Emmanuel Macron en 2023, lors d’un déplacement sur le site du laboratoire Aguettant, en Ardèche.
Que valent, finalement, quelques centaines de salariés français dans un potentiel océan d’argent ?
À peine un an plus tard, cette déclaration est tournée en ridicule par la cession d’Opella, la branche pharmaceutique grand public de Sanofi qui produit notamment le Doliprane, au fonds américain CD&R. Le tout pour plus de 15 milliards d’euros, avec la grande complaisance de l’État français. « Après plusieurs jours de dialogue, un accord inédit [a] été trouvé reprenant l’ensemble des exigences fixées par l’État », a ainsi souligné Bercy lundi 21 octobre.
Entre autres, le maintien de la production et de l’emploi en France sous peine de sanctions financières, pendant une période de seulement cinq ans. Après l’exemple récent d’Alstom, il ne serait pas présomptueux d’affirmer qu’on sait déjà ce qui se profile à l’horizon. Car les actionnaires ne sont jamais assez gavés. Et que valent, finalement, quelques centaines de salariés français dans un potentiel océan d’argent ? Pour des financiers américains, rien.
Comment, alors, ne pas s’indigner d’une telle opération qui sacrifie sur l’autel du profit la souveraineté sanitaire du pays ? Disons-le clairement : cette opération, les Français n’en tireront aucun bénéfice pour leur santé. Bien au contraire. Rien ne dit que CD&R n’arrêtera pas un jour la production de Doliprane, médicament à faible marge, pour se concentrer sur d’autres molécules, encore sous brevet, plus profitables. Aujourd’hui, plus de deux médicaments sur trois en rupture de stock sont depuis plus de dix ans sur le marché. Et, donc, moins bénéfiques pour les grands laboratoires qu’un produit dont ils détiendraient le monopole.
Le géant pharmaceutique a bénéficié de plus de deux milliards d’euros d’aides publiques en moins de dix ans. Sans contrepartie.
Aucun bénéfice pour la population, qui a pourtant largement aidé Sanofi. Le géant pharmaceutique a bénéficié de plus de deux milliards d’euros d’aides publiques en moins de dix ans. Sans contrepartie donc pour la souveraineté du pays. Et les ministres actuels ont beau faire mine de comprendre les inquiétudes en se rendant immédiatement dans une usine de production de Doliprane, leur visite n’est qu’un numéro de cirque dont le personnage principal a changé, passant de Bruno Le Maire à Antoine Armand. Mais dont le rôle principal – celui de clown – est resté le même.
Parce qu’il faut être clair. L’Élysée a bien plus la main sur ce dossier que l’éphémère locataire de Bercy. Et le puissant Alexis Kohler, qui gère cette cession, a, selon Mediapart, reçu récemment CD&R. Les Échos assure même que ce fonds américain est « très en cour » au sein du palais présidentiel.
Rien d’étonnant là-dedans. Emmanuel Macron a toujours assumé défendre une politique d’« attractivité internationale » qui condamne la France à tomber toujours plus entre les mains de puissants fonds financiers étrangers. Des fonds d’investissement qui n’ont rien à faire ni des emplois ni de la santé. Reprendre la main sur la politique du médicament devrait donc être une urgence pour retrouver une souveraineté sanitaire qui s’envole d’année en année.
Autrefois premier producteur de médicaments européen, la France est désormais sixième, sous l’effet des délocalisations et d’un trop faible investissement public. Pour reprendre les termes du sommet préféré de notre chef de l’État : « Choose France ». Et Leave France !*
Quittez la France !
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