Penser les territoires, panser les colères

Deux élus de la Nièvre, dont le président de son Conseil départemental, dénoncent l’incohérence schizophrénique du gouvernement de Michel Barnier. Les efforts budgétaires demandés aux collectivités contredisent les ambitions prétendument affichées pour améliorer la vie des Français.

Fabien Bazin  et  Daniel Barbier  • 11 octobre 2024
Partager :
Penser les territoires, panser les colères
Le discours de politique générale de Michel Barnier, ici à l'Assemblée, et la réunion du comité des finances locales du 7 octobre suscitent une grande inquiétude chez nombre d’élus locaux.
© Alain Jocard / AFP

Le passé d’élu local du Premier ministre, ses premières déclarations affirmant vouloir ré-instaurer un dialogue respectueux et de confiance avec les collectivités, en rupture avec les injonctions et le mépris du Président et de ses différents gouvernements, laissaient entrevoir, enfin, la possibilité de relancer une décentralisation synonyme de développement de politiques de proximité et de démocratie locale renforcée.

Entendre n’est pas écouter. Présenter n’est pas construire ensemble.

Malheureusement, le discours de politique générale de monsieur Barnier et la réunion du comité des finances locales du 7 octobre suscitent une grande inquiétude chez nombre d’élus locaux, qui, une fois de plus, craignent que la décentralisation ne se résume à de simples mots qui ne répondront pas aux maux gangrenant notre République. Entendre n’est pas écouter. Présenter n’est pas construire ensemble.

Dans une société fragmentée comme la nôtre, où les haines, la colère et le désespoir sont attisés par les politiques injustes et inefficaces d’un État jacobin souvent coupé des réalités de terrain, il est dangereux de fragiliser les collectivités.

Affaiblir les collectivités en restreignant leurs marges de manœuvre, en supprimant méthodiquement les recettes qui permettent d’agir au service des solidarités territoriales, et dans le cadre d’une libre administration, pourtant constitutionnelle, c’est affaiblir la République.

La seule ambition comptable de court terme est un bien mauvais calcul.

D’un côté, il faudrait demander aux collectivités plus de 9 milliards d’euros d’économies en supprimant 5 milliards d’euros de recettes, priver le Fonds vert de 1,5 milliard d’euros, ou encore cultiver le silence sur l’augmentation nécessaire du Fonds de sauvegarde, geler des fractions de TVA, baisser le Fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée.

De l’autre, dans une schizophrénie incompréhensible, on affirme vouloir garantir les services publics de proximité, la nécessaire transition environnementale, le tissu associatif, indispensable à la vie de nos communes et levier de recrutement de l’économie marchande.

On prétend faire de l’éducation une priorité nationale et des métiers du soin et du lien un enjeu majeur de société, on dit vouloir développer les transports notamment en ruralité, favoriser le développement local, et dans le même temps on affaiblit la capacité des territoires à intervenir sur ces sujets, à construire des protections et dessiner des horizons porteurs de sens et d’espoir.

Les Français attendent des actes visibles en proximité.

Quand l’État se décidera-t-il à élaborer, en concertation, une ambitieuse et urgente politique du bien vieillir ?

Combien de temps les collectivités pourront-elles encore tenter de se substituer aux défaillances de l’État ?

Quand imaginera-t-on une protection de l’enfance avec de véritables moyens, un écosystème solide (structures d’accueil, maintien des postes à la Protection judiciaire de la jeunesse, présence de pédopsychiatres…) et qui cesse de se voir soumise à la tentation recentralisatrice quand les DDASS en leur temps n’ont guère démontré des prouesses d’efficacité ?

Quand portera-t-on une véritable politique pour une jeunesse qui fréquente de plus en plus souvent les banques alimentaires ?

Quand l’État permettra il aux agriculteurs, par des mesures fortes et courageuses, de vivre dignement du fruit de leur travail ?

Quand l’État agira-t-il enfin pour que chaque citoyen, ou qu’il réside, dispose des mêmes chances de se soigner ? Combien de temps les collectivités pourront-elles encore tenter de se substituer aux défaillances de l’État et de soutenir des sapeurs-pompiers qui pallient l’incurie, en ville comme dans les hôpitaux de proximité, exsangues ?

La désertification des territoires ruraux, c’est d’abord l’échec d’un État qui déserte les territoires.

Pourtant, dans les collectivités, et singulièrement à l’échelon départemental, nous savons expérimenter, innover, rassembler les corps intermédiaires, les acteurs institutionnels, les citoyens, le tissu associatif, rendre vivante une démocratie de proximité où chacun peut trouver sa place, coordonner et animer les maillons pluriels d’une chaîne d’acteurs locaux que le précédent gouvernement n’a eu de cesse d’affaiblir.

Les départements de gauche ont fait des propositions sur le sujet !

Dans la Nièvre, nous avons fait de l’investissement public les conditions d’une vie meilleure : développement de la fibre, centre de médecins solidaires, territoire zéro chômeur de longue durée, adaptation des collèges au changement climatique, dialogue direct avec les citoyens…

Ils n’attendent qu’une visite et du soutien du nouveau gouvernement !

Monsieur Barnier veut réconcilier le pays, mettre la solidarité et la fraternité au cœur de son projet ? Alors, il faudra passer par une nouvelle étape de la décentralisation. Les départements de gauche ont fait des propositions sur le sujet !

Nous sommes prêts à repenser les territoires au travers de contrats justes et concertés qui redonneront souffle et sens à la décentralisation, place et perspectives à chaque maillon de la cohésion territoriale, confiance et espoir aux Français où qu’ils habitent.

Il faut panser les colères pour ne pas les laisser s’enraciner, ni à l’Assemblée nationale ni dans nos villages.

Recevez Politis chez vous chaque semaine !
Abonnez-vous
Publié dans
Tribunes

Des contributions pour alimenter le débat, au sein de la gauche ou plus largement, et pour donner de l’écho à des mobilisations. Ces textes ne reflètent pas nécessairement la position de la rédaction.

Temps de lecture : 5 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don