Devant l’Assemblée, Michel Barnier continue le macronisme avec la confiance du RN

Sans aucune annonce politique d’ampleur, le nouveau Premier ministre à la majorité parlementaire très précaire choisit la voie de l’immobilisme. Ce qui lui permet de maintenir la tête hors de l’eau grâce à la bienveillance de l’extrême droite.

Lucas Sarafian  • 1 octobre 2024 abonné·es
Devant l’Assemblée, Michel Barnier continue le macronisme avec la confiance du RN
Michel Barnier, avant de prononcer sa déclaration de politique générale devant l'Assemblée nationale, à Paris le 1er octobre 2024.
© ALAIN JOCARD / AFP

Bienvenue en enfer. L’Assemblée nationale accueille le premier ministre à la majorité parlementaire certainement la plus précaire de la Ve République. Et Michel Barnier joue gros ce 1er octobre. Nommé depuis 26 jours, le locataire de Matignon doit résister au chaudron parlementaire avec son discours de politique générale. Une mission loin d’être aisée.

Car depuis la formation de son gouvernement, Michel Barnier est tiré par son aile droite. Surtout par le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, qui n’hésite pas à remettre en cause l’État de droit dans le JDD et considère que l’immigration « n’est pas une chance » sur LCI. Des prises de positions qui font grincer « l’aile gauche » de la coalition présidentielle, menaçant de ne pas soutenir le gouvernement. Résumé de la situation : Michel Barnier est sur un siège éjectable.

La véritable épée de Damoclès pèse sur tous les Français.

M. Barnier

Quelques minutes avant 15 heures, le premier ministre se tient debout au premier rang, scrutant l’ensemble des députés qui s’installent progressivement dans l’hémicycle. Comme s’il était en train de jauger ses soutiens avant même de prononcer son texte préparé. Une façon de se rassurer ? Face à l’hostilité de l’ensemble du Nouveau Front populaire (NFP), Barnier sait que son contrat peut se poursuivre uniquement grâce à la bienveillance du Rassemblement national (RN).

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« Au moment de vous adresser à vous pour la première fois, j’ai conscience de la gravité de la situation », commence-t-il à la tribune. Michel Barnier cite l’ordre de mission qu’envoie en 1942 le général de Gaulle à l’un de ses chefs de camp : « Je vous demande de faire beaucoup, et avec peu, et en partant de presque rien. » En réponse, les députés de La France insoumise (LFI) brandissent une carte électorale. Manière de rappeler au Premier ministre que sa nomination ne correspond pas aux équilibres politiques en place depuis les législatives de juillet.

Mais Michel Barnier ne change pas son orientation : « Nous sommes collectivement sur une ligne de crête. Nous devons faire beaucoup. Et si nous n’arrivons pas à faire beaucoup, nous devons faire bien. »

Rien de nouveau

Dans un style très soporifique, le Premier ministre déploie sa feuille de route. En homme de droite, son agenda politique commence évidemment par la réduction de la dette. Le déficit budgétaire devrait dépasser 6 % du PIB cette année. « J’ai entendu qu’il y avait une épée de Damoclès au-dessus de moi. La véritable épée de Damoclès pèse sur tous les Français », dit-il. Ainsi, Michel Barnier annonce vouloir ramener le déficit à 5 % d’ici à 2025, puis à 3 % en 2029.

En clair, il ne compte pas tourner la page de la politique austéritaire menée depuis sept ans, même s’il estime néanmoins qu’il faudrait mettre en place des « contributions exceptionnelles pour les Français les plus fortunés » et une plus grande « participation des grandes et très grandes entreprises qui font des bénéfices importants ». Ces petits appels du pied à la gauche ne sont visiblement pas suffisants : les députés LFI – Sophia Chikirou, Mathilde Panot ou Antoine Léaument en tête – ne cessent de crier et de commenter en direct les mots du nouveau locataire de Matignon.

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Concernant la « dette écologique », l’ancien commissaire européen n’annonce rien de nouveau, se félicitant de la réduction des émissions de gaz à effet de serre de 3,6 % au premier semestre de 2024 : poursuite du développement du nucléaire et des nouveaux réacteurs, encouragement de l’économie circulaire et à la décarbonation des usines, organisation d’une conférence nationale sur l’eau… Les minutes défilent et Michel Barnier ne défend aucune grande mesure politique. « Il était meilleur Gabriel Attal ! », s’époumone l’insoumise Sophia Chikirou.

Après 45 minutes de discours environ, le chef du gouvernement liste ensuite les chantiers qu’il compte entreprendre. Sur la question des salaires, il défend la réforme du RSA mais ouvre la porte à une revalorisation du Smic de 2 % dès le 1er novembre. Concernant l’école, il souhaite permettre la facilitation des remplacements des professeurs absents en faisant appel à des professeurs retraités volontaire. Mais ne veut pas changer en profondeur la politique scolaire.

Ambitions droitières

Quant à la santé, il fait de la lutte contre les déserts médicaux sa grande priorité, en annonçant la mise en place d’un programme nommé « Hippocrate » permettant d’orienter les internes vers les territoires géographiques qui en ont besoin. Sur la sécurité du quotidien, il souhaite augmenter les forces de l’ordre et lutter contre le trafic de drogue tout en voulant réfléchir à une procédure de comparution immédiate pour les mineurs de plus de 16 ans, construire plus de places de prison, atténuer « l’excuse de minorité » et réduire les délais de jugement.

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Enfin, il ouvre le chapitre consacré à l’immigration. Sans surprise, ses ambitions sont droitières. Il veut instaurer une « politique de maîtrise » sur ce sujet avec un traitement « plus efficace et en proximité » des demandeurs d’asile « pour qu’ils obtiennent rapidement une décision », une « prolongation exceptionnelle de la rétention des étrangers en situation irrégulière pour mieux exécuter les obligations de quitter le territoire français » et un contrôle aux frontières renforcé sur le modèle de l’Allemagne. Une façon de satisfaire les demandes de la droite et de l’extrême droite.

Dans un difficile jeu d’équilibriste, l’ex-négociateur de l’Union européenne chargé du Brexit tente de donner quelques gages à « l’aile gauche » du camp présidentiel. Il promet d’améliorer l’accessibilité pour les personnes handicapées, de soutenir les familles monoparentales et de faire de la santé mentale la grande cause nationale. Sans aucune réforme d’ampleur.

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Mais il se permet néanmoins de répondre indirectement à Bruno Retailleau en affirmant qu’il reste « profondément attaché » à l’État de droit. Il promet également de ne pas remettre en cause la loi pour le mariage pour tous et la loi Veil, alors que de très nombreux ministres ont été pourfendeurs de ces deux avancées législatives majeures pour l’égalité et l’émancipation des femmes.

Méthode magique

Au milieu d’un paysage politique divisé en trois blocs distincts, Michel Barnier doit se trouver une méthode magique. « Je souhaite qu’il y ait moins de texte mais qu’il y ait plus de temps pour en débattre », explique-t-il en reprenant le discours de politique générale de Michel Rocard, premier ministre qui n’avait pas de majorité absolue en 1988 : « Nos priorités ne sont pas celles d’une moitié de la France contre l’autre moitié. » Promettant de faire du « dialogue et du compromis la culture » de son nouveau gouvernement, il souhaite rouvrir la discussion sur la réforme des retraites de 2023.

La continuation du macronisme, dans sa part la plus à droite, la plus réactionnaire, et, à tout dire, la plus exalté.

B. Vallaud

« Les questions des retraites progressives, de l’usure professionnelle, de l’égalité entre les femmes et les hommes face à la retraite méritent mieux que des fins de non-recevoir », lance-t-il. Enfin, Michel Barnier souhaite le « renouveau » du dialogue social et veut faire naître une « réflexion sans idéologie sur le scrutin proportionnel ». Son discours sans lyrisme ni ambition ne convainc pas grand monde : seul le groupe des Républicains (LR) se lève pour l’applaudir.

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En clair, Michel Barnier choisit la voie de l’immobilisme. « Nous ne voyons pas dans ces propos de changement de cap, ni alternance, ni cohabitation », pointe Boris Vallaud, patron des députés socialistes qui voit dans la ligne politique de Michel Barnier la « continuation du macronisme, dans sa part la plus à droite, la plus réactionnaire, et, à tout dire, la plus exaltée ». Le Nouveau Front populaire (NFP) défendra donc une motion de censure.

Bruno Retailleau n’est pas sans rappeler un certain programme présidentiel.

M. Le Pen

Ne pas se brouiller avec le RN

Michel Barnier ne sollicite pas de vote de confiance. Il se contente de ne pas se brouiller avec l’extrême droite. Marine Le Pen, la patronne du RN en plein procès pour avoir détourné les fonds du Parlement européen pour payer des salariés du parti, note les « envolées lyriques » de Bruno Retailleau qui porte un discours « qui n’est pas sans rappeler un certain programme présidentiel ». Et affirme ne pas voter une motion de censure pour ne « pas entraîner le pays vers le chaos », « par patriotisme, par égard pour nos compatriotes qui souffrent, par respect de nos institutions et compte tenu de la tâche ingrate qui vous incombe en ces circonstances ».

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Une alliance de circonstance avec le RN que dénonce Mathilde Panot, cheffe de file du groupe insoumis, en s’adressant directement à Michel Barnier : « Votre présence sur ce banc est exclusivement justifiée par la complicité de l’extrême droite dont vous êtes l’otage. Ainsi Emmanuel Macron a fait le choix du pire : le parfum de cohabitation a l’odeur nauséabonde d’une colocation avec le RN. »

« Partout dans la société, des hommes et des femmes ont refusé la fatalité de l’accession de l’extrême droite au pouvoir […]. Cet engagement est ébranlé du seul fait que vous et votre parti avez récusé le front républicain, du seul fait que votre avenir dépend du RN qui vous accorde sa confiance a priori », reprend Boris Vallaud. L’extrême droite n’est donc pas au pouvoir. Mais avec Michel Barnier au gouvernement, c’est tout comme.

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