« Écologie populaire » : le dernier coup de com’ de la Macronie

Agnès Pannier-Runacher emprunte une expression du bréviaire de gauche pour en faire un coup de communication. Un élément de langage snobé par Matignon et totalement vidé de son sens politique.

Vanina Delmas  et  Thomas Lefèvre  et  Lucas Sarafian  • 4 octobre 2024 abonné·es
« Écologie populaire » : le dernier coup de com’ de la Macronie
Graffiti de rue, à Paris, juillet 2024.
© Guillaume Deleurence

Encore un tour de magie macroniste. À entendre les soutiens du camp présidentiel et de ce gouvernement à la majorité parlementaire très précaire, il faudrait désormais croire qu’ils seraient les premiers défenseurs d’une « écologie populaire ». Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition écologique du gouvernement de Michel Barnier, a semblé n’avoir que ce concept à la bouche depuis qu’elle a pris son poste à l’hôtel de Roquelaure, dans le 7e arrondissement de Paris.

L’écologie doit être populaire, c’est ma ligne. Elle ne doit être ni trop normative, ni trop punitive

A. Pannier-Runacher

Le 23 septembre lors de son discours de la passation de pouvoir, la ministre, qui s’autorevendique de gauche dans ce gouvernement de droite et de droite extrême, affiche son ambition : se lancer dans cette écologie dite populaire « où chacun y trouve son compte et son intérêt, et qui ne soit pas perçue comme une longue litanie de normes punitives ou restrictives de liberté ».

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« Une écologie qui ne soit pas, comme l’affirme le discours de l’extrême droite, le monopole des élites déconnectées, mondialisées et, surtout, qui en ont les moyens. Bref, il ne faut pas laisser croire que l’écologie est un sujet de riches », estime Pannier-Runacher qui cite notamment la facilitation de l’accès à des véhicules « plus propres » afin de « réduire la pollution de l’air, la pollution sonore, la facture de carburants » ou la rénovation des logements pour « lutter contre l’habitat indigne et la précarité énergétique ».

Le lendemain sur France bleu Nord, la ministre enchaîne. « Mon objectif, c’est que la transition écologique soit mise à la portée du portefeuille de chacun, que lorsqu’on fait des efforts, il faut être rémunérés, que chacun puisse bénéficier d’un air, d’une eau, d’une alimentation de meilleure qualité, annonce Agnès Pannier-Runacher. L’écologie doit être populaire, c’est ma ligne. Elle ne doit être ni trop normative, ni trop punitive. »

Petits pas

Dans l’entourage de la ministre, on explique que « bien souvent, on a l’impression qu’il faut opposer fin du monde et fin du mois, que l’écologie, c’est surtout l’affaire de ceux qui en ont les moyens. Notre enjeu, c’est que les bonnes solutions pour la planète soient accessibles au plus grand nombre ». Sur la table de Pannier-Runacher, trois dossiers importants : la question de l’accessibilité des véhicules électriques puisque la vente des véhicules thermiques neufs sera interdite après 2035, la préservation du Fonds vert, et la lutte contre la précarité énergétique et les passoires thermiques.

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Au premier abord, ces nouvelles annonces semblent ambitieuses. Encore faut-il rapidement se rappeler que la ligne macroniste, en matière d’écologie, préfère plutôt les « petits pas » aux grandes lois et aux décisions efficaces sur le long terme. « Devoir ajouter un qualificatif pour décrire l’écologie dit beaucoup sur les gens qui le font : l’écologie, c’est la justice sociale et environnementale, pas l’un ou l’autre, dans une seule et même dynamique », lâche Sandra Regol, députée écolo du Bas-Rhin.

Quand on est pour l’écologie populaire, on est pour la contribution de ceux qui polluent le plus, on est pour des politiques ambitieuses.

L. Balage El Mariky

Emmanuel Macron n’a eu de cesse de changer ses mots pour parler de sa politique verte : en 2023, il évoque une « écologie à la française », un an après avoir parlé de « sobriété » et de « planification ». Le 1er octobre lors de son discours de politique générale devant l’Assemblée, Michel Barnier n’a pas utilisé une fois l’expression « d’écologie populaire ». Signe que Matignon ne semble pas vraiment prêt à un volontarisme excessif en la matière.

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« Si les macronistes pouvaient reprendre les idées de la gauche, les appliquer et nous laisser gouverner, le pays se porterait mieux, critique Léa Balage El Mariky, députée de Paris et porte-parole du groupe écolo à l’Assemblée. Quand on est pour l’écologie populaire, on est pour la contribution de ceux qui polluent le plus, on est pour des politiques ambitieuses en matière de logement et de mobilité, on est pour un budget qui ne réduit pas les aides de l’Ademe (l’établissement public pour la transition écologique, N.D.L.R.). »

Avec ce dernier coup de com’, Agnès Pannier-Runacher emprunte un mot issu du bréviaire de la gauche pour tenter tant bien que mal de grappiller sur son espace politique. Tout en essayant de verdir le bilan catastrophique de sept ans de macronisme.

Un objectif inatteignable

Un bilan épinglé dans le dernier rapport annuel du Haut Conseil pour le Climat (HCC) paru le 27 septembre. Certes, le HCC souligne une diminution de 5,8 % des émissions de gaz à effet de serre en 2023 en France, mais cette baisse est largement insuffisante par rapport aux objectifs de neutralité carbone de 2050. La tendance ne permet même pas d’affirmer la réussite des objectifs intermédiaires de 2030. Le message des membres du HCC est clair : sans un coup d’accélérateur massif de la part du gouvernement sur la décarbonation des transports, de l’agriculture et une meilleure gestion de nos forêts, l’objectif de neutralité carbone en 2050 est inatteignable.

Cela concerne uniquement les émissions de gaz à effet de serre, qui ne représentent qu’une partie du problème de la crise écologique globale. L’insuffisance des politiques publiques en matière de transition écologique était déjà pointée du doigt, la semaine dernière, dans le rapport du collectif Nos Services Publics. Quant à l’application d’une écologie populaire, le rapport du HCC met en garde face à une « prise en compte insuffisante de l’adaptation et de la transition juste [qui] constitue un risque social et économique important ».

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En France, le terme d’écologie populaire est revenu sur le devant de la scène depuis les mouvements sociaux de 2018 et, notamment, la mobilisation des gilets jaunes. « C’est une écologie qui ne laisse personne de côté, basée sur les besoins et intérêts des premiers concernés, considère Gabriel Mazzolini, militant écolo et chargé de mobilisation pour Les Amis de la Terre. Des vies dépendent de la transition écologique. »

On est tous concernés par l’urgence climatique, mais nous ne sommes pas tous responsables à parts égales.

G. Mazzolini

Par exemple, l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des épisodes caniculaires est un danger concret pour les populations les plus pauvres, qui ne peuvent pas s’offrir de climatisation ou de logements mieux isolés. Dans les milieux militants, l’écologie populaire est un concept de plus en plus utilisé, mais encore en cours de définition. L’objectif est d’inclure toutes les classes sociales dans l’écologie politique, vers une forme de justice climatique. « Je ne suis pas pour taxer tout le monde de la même manière. Il faut une taxation juste, que les plus gros pollueurs paient davantage, continue Gabriel Mazzolini. On est tous concernés par l’urgence climatique, mais nous ne sommes pas tous responsables à parts égales. »

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Cette vision se place en opposition avec une écologie bourgeoise hors-sol. « L’écologie doit être populaire, résume Erwan Ruty, auteur de L’écologie peut-elle être populaire ? (Le Bord de l’eau, 2024) et ancien responsable de la commission quartiers populaires des Écologistes. Ne serait-ce que pour des raisons pragmatiques : il faut qu’elle soit acceptée par une majorité de la population. » Selon ses défenseurs, il faudrait que l’écologie populaire soit sérieusement intégrée et défendue par la gauche. Sinon, « le terme finira sûrement par être galvaudé par des personnalités politiques de droite », regrette Ruty.

« Il faut réussir à convaincre les milieux populaires que la société après la transition écologique leur sera profitable et qu’ils en seront le moteur », confirme-t-il. Pour lui, l’idéologie de la société consumériste a infiltré toutes les classes sociales depuis la révolution industrielle, y compris les plus populaires, au détriment de la conscience de la rareté des ressources. « Quand Agnès Pannier-Runacher parle de l’écologie populaire comme une ‘écologie ni normative ni punitive’, on voit bien que c’est uniquement la continuité d’une écologie libérale », assène Gabriel Mazzolini.

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En Macronie, on met toutefois en avant le dispositif « Ma prime rénov » ou le chèque énergie qui ressemble plus à des mesures « pansements » qu’à des changements radicaux. Avec ce maigre bilan, difficile de croire qu’Emmanuel Macron s’est pleinement engagé dans une politique écologique plus juste socialement, plus volontariste envers les principaux responsables du dérèglement climatique, c’est-à-dire les grandes entreprises et les plus fortunés.

Alors que le premier ministre Michel Barnier a appelé les membres de son gouvernement à « agir avant de communiquer », la récupération du terme « écologie populaire » par la nouvelle ministre de la Transition écologique sonne comme un énième élément de langage macroniste. Complètement vidé de son sens.

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