En Gironde, Raphaël Glucksmann tente de réanimer la social-démocratie en vue de 2027

Dans le petit bourg de La Réole, commune de quelque 4 000 habitants, l’eurodéputé imagine les contours d’une union à gauche qui exclurait les défenseurs de la gauche de rupture. Il entre en piste en vue de la prochaine présidentielle et assume la confrontation avec Jean-Luc Mélenchon.

Lucas Sarafian  • 7 octobre 2024 abonné·es
En Gironde, Raphaël Glucksmann tente de réanimer la social-démocratie en vue de 2027
Raphaël Glucksmann, lors d'un rassemblement du parti Place Publique à La Réole, le 5 octobre 2024.
© Thibaud MORITZ / AFP

L’essayiste voulait « réveiller l’Europe » lors des européennes de juin dernier. À 44 ans, Raphaël Glucksmann est un homme qui rêve aujourd’hui de réanimer la vieille « social-démocratie », un concept galvaudé depuis quelques années déjà tant la ligne de la rupture s’est imposée au fil des années dans l’électorat de gauche. Ce n’est pas tout. L’eurodéputé souhaite s’installer au cœur du paysage politique national en se créant lui-même un espace allant de « la droite de Mélenchon à la gauche de Macron », selon ses mots. Avec une idée derrière la tête : succéder au président de la République à la prochaine présidentielle. Rien que ça.

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Quelques food trucks installés sur l’esplanade du prieuré, une météo de fin d’été, des grappes de militants avec des sacs de voyage sur le dos : la rentrée politique de Place publique dans la petite commune de La Réole, au bord de la Garonne, prend des airs de colonie de vacances. Ce n’en est pas une. Croire à cette première impression serait se tromper sur ce qui se joue en coulisses : l’eurodéputé imagine le premier brouillon d’un récit qui le mènerait à l’Élysée.

Alors que les tables rondes sur l’éducation, la fiscalité, la démocratie ou le procès des violeurs de Mazan se tiennent autour du monument bénédictin ce samedi 5 octobre, Raphaël Glucksmann déroule son plan face à quelques journalistes dans le bureau de Bruno Marty, maire Place publique de La Réole.

Répondre aux « nœuds »

Premier acte : structurer en trois mois son parti, Place publique, qui est passé de 1 500 à 10 000 adhérents depuis les européennes et son score de 13,8 %. Les négociations qui ont donné naissance au Nouveau Front populaire (NFP) l’ont profondément marqué. Place publique ne faisait pas le poids au milieu des Écologistes, du Parti communiste, du Parti socialiste et de La France insoumise. Et Raphaël Glucksmann ne compte pas se faire marginaliser une nouvelle fois en cas de futures discussions entre appareils.

Il faut reconnaître que Jean-Luc Mélenchon a réussi quelque chose : il a construit une organisation et il a travaillé sur le fond.

R. Glucksmann

Deuxième acte : élaborer en neuf mois un programme solide qui « ne met sous le tapis aucun sujet ». L’eurodéputé a bien l’intention d’investir les thèmes qu’il juge délaissés par la gauche comme la sécurité ou l’identité française.Le quadragénaire souhaite aussi apporter des réponses politiques à tous les « nœuds », ces grands dilemmes qui tiraillent et décrédibilisent la gauche : « Comment concilie-t-on l’écologie et la liberté par exemple ? Il ne faut pas éviter les impasses pour permettre l’extension de mon domaine électoral et agrandir les 30 % de l’assiette de la gauche. »

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En clair, il compte sérieusement bachoter. « Il faut reconnaître que Jean-Luc Mélenchon a réussi quelque chose : il a construit une organisation et il a travaillé sur le fond. » « Glucks », comme l’appellent ses soutiens, tient à être prêt dès juin prochain au cas où Emmanuel Macron décide d’appuyer une nouvelle fois sur le bouton de la dissolution.

Mission impossible ? « Je veux que cette offre politique naisse et émerge dans le pays. Et je veux qu’elle aille jusqu’au bout. Je ferai tout pour. L’enjeu dépasse la question de la gauche, il s’agit aujourd’hui d’éviter le basculement du pays. » Pour l’instant, le scénario est flou mais Glucksmann a une obsession : extirper la gauche du giron insoumis. Pour lui, elle « ne doit pas avoir comme seul destin la soumission aux oukases de Jean-Luc Mélenchon ».

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Pendant deux jours, Glucksmann et ses troupes posent donc leurs valises dans cette ville de Nouvelle-Aquitaine, un territoire rural où l’extrême droite gagne du terrain au fil des élections. Un choix symbolique tant l’essayiste est souvent dépeint comme le candidat des grandes zones urbaines.

« Pas de la mollesse »

L’élu européen se met donc à la recherche d’une nouvelle stature. Tout en reprenant un vieux concept : la social-démocratie. « Sur le fond, ce n’est pas de la mollesse, ce n’est pas l’accompagnement. C’est une vraie transformation de la société dans un cadre démocratique apaisé », expose Glucksmann. Volonté d’esquiver l’opposition entre réforme et rupture, ou sincère envie de redéfinir totalement une notion empoisonnée depuis le quinquennat de François Hollande ? L’intéressé vote pour la seconde option.

Il faut occuper le périmètre traditionnel de la social-démocratie des années 1970 qui a existé jusque dans les années 2010.

R. Glucksmann

Le chantier est colossal puisque cet espace a obtenu un score riquiqui lors de la dernière présidentielle : la maire socialiste de Paris, Anne Hidalgo, avait recueilli 1,75 %. Pour l’entourage de Raphaël Glucksmann, « il faut occuper le périmètre traditionnel de la social-démocratie des années 1970 qui a existé jusque dans les années 2010 ». Dans la garde rapprochée de l’eurodéputé, certains imaginent déjà l’OPA sur le PS que leur champion pourrait mener. « On n’est pas en concurrence avec le PS, on essaie d’abord de développer notre programme. Mais on est convaincus que nous travaillerons ensemble », glisse un proche. Le premier secrétaire du parti à la rose, Olivier Faure, n’a pas été convié.

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Et à La Réole, le casting n’évoque pas forcément le renouveau de la gauche que souhaite porter l’essayiste. Les derniers représentants de la social-démocratie, de l’aile droite du Parti socialiste (PS) et de la gauche modérée sont en nombre. Parmi les invités, Anne Hidalgo, la présidente de la région Occitanie, Carole Delga, le maire de Rouen, Nicolas Mayer-Rossignol, le président du Conseil économique, social et environnemental (Cese), Thierry Beaudet, l’ex-candidat écolo à la présidentielle Yannick Jadot, le patron des sénateurs socialistes, Patrick Kanner.

Accueilli comme une star, le maire de Saint-Ouen, Karim Bouamrane, la nouvelle coqueluche des socialistes et des médias qui vient de lancer son propre mouvement La France humaine et forte, est également présent. À côté de Raphaël Glucksmann aux alentours de 15 heures ce samedi, l’édile de Seine-Saint-Denis tient le même discours que l’essayiste.

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Tous deux critiquent la « radicalité » de La France insoumise (LFI), dénoncent « l’erreur » du NFP d’avoir refusé d’envisager une coalition avec les autres forces politiques du front républicain, et veulent incarner la même gauche, « cette gauche du réel » loin du « mépris » des appareils partisans qui, obsédés par les calculs électoraux, se sont selon eux déconnectés de la réalité du pays. Beaucoup de grands principes, peu de réponses concrètes. Qu’importe : les discours arrivent à convaincre une foule déjà acquise à leur cause.

Revenants

Place publique accueille aussi des revenants de la Macronie, comme le député Sacha Houlié ou l’ex-ministre de l’Europe et des Transports, Clément Beaune. Raphaël Glucksmann échange régulièrement avec ces deux-là. Parmi les 2 000 militants présents ce week-end, certains grincent des dents en constatant le « recyclage » de ces premières gloires d’Emmanuel Macron. « Il faut faire converger et ne surtout pas se laisser entraîner par le discours de LFI qui nous présenterait comme des centristes, des sociaux-libéraux. Sur le fond, nos propositions sont vraiment de gauche », défend un cadre de Place publique.

Les invités présents dessinent le contour de l’union qu’aimerait construire Glucksmann, de l’écologie modérée à la gauche socialiste tendance libérale. Une alliance future à première vue très étriquée. Au programme, seuls l’ex-eurodéputée verte Karima Delli, le député PS Jérôme Guedj, le président du groupe socialiste à l’Assemblée, Boris Vallaud, et la maire socialiste de Nantes, Johanna Rolland, sont venus défendre l’union du NFP et contredire ces voix qui mettent une équivalence LFI et l’extrême droite en parlant de « populismes » de façon globalisante.

Jean-Luc Mélenchon n’a évidemment pas reçu de carton d’invitation. Mais son ombre plane sur le village médiéval. Lors de sa prise de parole de clôture le dimanche 6 octobre à la mi-journée, le président de Place publique se pose en défenseur du « girondisme », en opposition au « robespierrisme » insoumis et au « jupitarianisme » macroniste. « Le girondisme, c’est un certain rapport au monde et à la liberté, un rapport humble au pouvoir, développe le quadra. Le girondisme, c’est la croyance que la nation n’a pas de père. »

Face à l’extrême droite, ce ne sera pas un succédané du macronisme qui fera barrage, ni un populisme de gauche.

R. Glucksmann

Au milieu de l’esplanade de la mairie, l’essayiste cite même Étienne de La Boétie, philosophe décédé en 1563 en Gironde et égérie du bréviaire insoumis : Jean-Luc Mélenchon a donné son nom à son école de formation. Le tribun insoumis subit de nombreuses attaques. « Ma conviction, c’est que face à l’extrême droite, ce ne sera pas un succédané du macronisme qui fera barrage, ni un populisme de gauche. Le barrage qui empêchera le basculement, ce sera nous, la gauche écologiste, démocratique et solidaire. »

« Le serment de La Réole »

La foule est loin d’être gonflée à bloc. Seulement 300 personnes sont encore là pour écouter leur champion. Ça ne fait rien pour Raphaël Glucksmann qui rêve d’être la future « locomotive » de la gauche et ne tait pas ses desseins. « Nous sommes prêts au combat. Mais pas simplement au combat en soi. Nous sommes prêts au gouvernement de la France », lance-t-il. L’eurodéputé fait même un serment, « le serment de La Réole » : « Ce serment, c’est celui de la sincérité, la promesse de ne pas recourir aux effets d’estrade et aux facilités. Ce serment, ce n’est pas celui d’un choix entre la modération et la radicalité. Ce serment, c’est celui qui nous fait dire que, si nous désirons prendre des mesures radicales, alors nous les prendrons. »

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De manière générale, le discours reste très conceptuel. À part la proportionnelle, l’eurodéputé n’évoque aucune idée programmatique. Il sait peut-être qu’il devra garder quelques cartes dans sa manche s’il est contraint d’affronter Jean-Luc Mélenchon dans les mois ou les années à venir. « Politiquement, il y a des différences fortes à gauche, analyse un cadre de Place publique. Il y a une attente très forte des Français pour un espace politique que peut incarner Glucksmann. C’est notre rôle d’avoir des convictions. L’arbitrage entre la rupture ou notre proposition se fera dans les urnes. »

Hasard ou pas, le dernier livre de l’eurodéputé s’appelle La grande confrontation (Allary). Dans cet essai sorti en 2023, Raphaël Glucksmann phosphorait sur Vladimir Poutine et son emprise sur les démocraties européennes. Peut-être voulait-il également envoyer un message subliminal au peuple de gauche : le retour officiel des deux gauches irréconciliables.