Face au gouvernement Barnier, l’avenir assombri du Nouveau Front populaire
Reléguée au rang d’opposition malgré son arrivée en tête aux législatives, la gauche unie cherche la voie pour peser dans le débat. Malgré les désaccords internes et l’omniprésence de la question de la prochaine présidentielle.
À entendre de nombreux députés de gauche, le scénario des prochaines semaines est déjà écrit. Le gouvernement très droitier de Michel Barnier arrivera à faire passer le projet de loi de finances grâce au 49.3. Mais au prochain texte, il se fera censurer, pensent-ils, imaginant être rejoints par quelques figures macronistes tentées par la rébellion contre l’exécutif.
À l’instar du député Sacha Houlié qui a regretté publiquement, en s’adressant à Michel Barnier en visite dans la Vienne, de ne pas avoir voté la motion de censure du Nouveau Front populaire (NFP) tant les propos de Bruno Retailleau dans Le Parisien (le ministre de l’Intérieur veut « durcir les conditions de régularisation des sans-papiers ») l’ont profondément choqué. Même son de cloches du côté d’Éric Bothorel, député macroniste qui assure « n’avoir aucun état d’âme à voter la prochaine motion de censure qui sera déposée ».
Pour la gauche, cela ne fait donc aucun doute, si Barnier tombe, c’est le NFP qui doit gouverner. Un film de science-fiction ? « Ce gouvernement ne tient que par la bienveillance de Madame Le Pen. Il tiendra quelques semaines durant les débats autour du budget, mais il est voué à chuter. Nous sommes donc prêts à relever le gant », annonce la députée Génération. s du Val-de-Marne, Sophie Taillé-Polian, qui siège dans le groupe Écologiste et social.
Toute la gauche s’oppose à ce gouvernement et critique le présidentialisme. On se rejoint sur le constat.
Le paysage semble donc radieux. Les désaccords qui fracturaient les gauches pendant les européennes seraient-ils définitivement enterrés ? Pas tout à fait. Car les premiers jours de la nouvelle législature ont montré que les composantes du NFP n’hésitaient pas à cacher leur mésentente. Première étude de cas : la proposition de destitution. Les socialistes ont rejeté en commission des Lois, début octobre, la résolution portée par les insoumis, ce qui a poussé les troupes mélenchonistes à considérer publiquement que les députés du parti à la rose soutenaient implicitement Emmanuel Macron et le gouvernement de Michel Barnier. Au même titre que la droite et l’extrême droite.
« La divergence sur la destitution, ce n’est pas grave. Au fond, toute la gauche s’oppose à ce gouvernement et critique le présidentialisme. On se rejoint sur le constat », relativise un cadre du NFP. Pourtant, depuis le début de la législature, les différends se multiplient.
Pas d’intergroupe parlementaire
Récemment, le NFP s’est montré particulièrement désuni le 9 octobre lors de l’élection pour la présidence de la commission des Affaires sociales, le poste étant à pourvoir puisque le président de la commission Paul Christophe (Horizons) est désormais membre du gouvernement de Michel Barnier. La veille du vote, les socialistes ont poussé la candidature de Jérôme Guedj. Sans avertir les partenaires du NFP.
Avec cette manœuvre, le groupe socialiste a ignoré le deal passé entre toutes les composantes du NFP en juillet : il y a deux mois, les députés de gauche s’étaient entendus pour soutenir en chœur Arthur Delaporte, porte-parole du groupe socialiste. De ce fait, deux socialistes se sont concurrencés (Arthur Delaporte n’était pas candidat mais, lors de cette élection, les députés avaient le droit de voter pour n’importe quel élu). Pour temporiser, Boris Vallaud, député et président du groupe PS a présenté ce premier round comme une « primaire » : le député de gauche le moins bien placé devra se retirer. Dans cette position, Jérôme Guedj s’est néanmoins maintenu.
Au dernier tour, le député de l’Essonne est battu par l’ancien ministre de la Santé Frédéric Valletoux (Horizons), les députés de La France insoumise (LFI) ayant refusé d’apporter leurs voix à Jérôme Guedj, qu’ils accusent de partager les critiques de ceux qui fustigent l’union des gauches. La commission était ingagnable pour la gauche. Mais cette bisbille illustre bien l’esprit de concurrence qui règne au sein de l’alliance.
Autre mauvais signal : pour le moment, socialistes, communistes, écologistes et insoumis n’ont pas réussi à lancer un intergroupe parlementaire à l’Assemblée nationale. « C’est un recul par rapport à la Nouvelle union populaire, écologique et sociale », juge un cadre. En effet en juin 2022, les partis de gauche s’étaient mis d’accord quasi immédiatement sur la mise en place d’une organisation de ce type.
Il faut du travail commun à l’Assemblée, à l’intérieur des commissions.
S. Taillé-Polian
« Il faut que nos décisions soient prises de manière collégiale. Nos initiatives doivent s’anticiper et nous devons en débattre collectivement, estime Sophie Taillé-Polian, anciennement chargée de l’intergroupe de la Nouvelle union populaire, écologique et sociale (Nupes). Il faut du travail commun à l’Assemblée, à l’intérieur des commissions. Pourquoi pas une assemblée générale de tous les parlementaires du NFP ? On ne peut pas gagner durablement dans le pays si on n’a pas de stratégie commune qui ne se décide pas au dernier moment. »
Combats communs
La motion de censure défendue le 8 octobre par le NFP n’a pas su convaincre plus de cinq voix en dehors de l’alliance. Réduite au rôle d’opposition à l’Assemblée, la gauche unie a une marge de manœuvre rétrécie. Que lui reste-t-il vraiment ? « Se battre sur le budget amendement par amendement, mobiliser le pays contre l’austérité annoncée, soutenir l’unité du NFP et l’ancrer dans des assemblées locales », liste Danielle Simonnet, ex-députée insoumise et aujourd’hui membre du groupe Écologiste et social.
Certains avancent une théorie : c’est en menant des combats communs que la gauche soudera ses liens. Ça tombe bien, le budget arrivera très bientôt à l’Assemblée nationale. « On présentera des amendements sérieux qui sauront trouver des majorités. Charge aux autres forces politiques d’avoir la même attitude. Ou Michel Barnier devra assumer de passer son budget en force », expose la première vice-présidente LFI de l’Assemblée, Clémence Guetté.
Dans la salle de la commission des Finances le 9 octobre, la gauche s’affiche donc unie pour préparer la riposte au prochain projet de loi de finances pour 2025 qui, selon eux, marque le retour de la politique austéritaire. Retour de l’impôt sur la fortune (ISF), taxe sur les héritages « dorés », mise à contribution des superprofits, etc. Les socialistes Philippe Brun et Claude Raynal (sénateur), l’écolo Eva Sas, les communistes Nicolas Sansu et Pascal Savoldelli (sénateur), et les insoumis Marianne Maximi et Éric Coquerel déroulent les 10 propositions, l’équivalent de 49 milliards d’euros de recettes, qui seront portées dans des amendements identiques, défendus par chaque groupe de gauche pour gagner du temps de parole.
Au milieu des sept élus lors de cette conférence de presse, Lucie Castets. La candidate à Matignon n’a plus les projecteurs braqués sur elle. Mais elle échange toujours avec les parlementaires, selon des députés de différents groupes. Les élus spécialistes des questions financières ont bien expliqué le 9 octobre qu’elle avait été au cœur des discussions budgétaires.
C’est d’ailleurs Lucie Castets, à la demande d’Éric Coquerel, qui a conclu la séance. « La présence de Lucie Castets est signe de notre indéfectible volonté de gouverner », glisse le député communiste du Cher, Nicolas Sansu. Elle sera également présente à la deuxième édition des universités des ruralités écologistes le 18, 19 et 20 octobre dans les Vosges.
Mais à gauche, de plus en plus d’élus pensent qu’il faudrait entrer dans une nouvelle séquence : difficile de faire campagne derrière une énarque qui n’est pas députée alors que la vie politique française s’est brusquement tournée vers le Parlement. Alors au sein du Parti socialiste notamment, on pense à lui réserver une circonscription en cas de future dissolution ou à l’occasion de législatives partielles qui pourraient avoir lieu.
Unité fragile
Les problèmes posés sont donc nombreux. Néanmoins pour le moment, l’unité tient tant bien que mal. Toutefois, la question de la présidentielle, voire des législatives anticipées dès juin 2025 si Emmanuel Macron appuie une nouvelle fois sur le bouton, pourrait faire vaciller l’alliance. Les insoumis, derrière Jean-Luc Mélenchon qu’ils comptent bien défendre comme candidat naturel de l’union des gauches, sont déjà tournés vers la présidentielle.
Et le premier secrétaire du PS, Olivier Faure, menacé dans son propre parti par son aile droite qui ne veut plus entendre parler d’une quelconque alliance avec LFI, pourrait perdre son poste au prochain congrès en début d’année 2025. Ce qui obérerait sérieusement les chances qu’un rassemblement des gauches le plus large possible existe.
Depuis quelques semaines, une myriade de figures social-démocrates veulent se faire entendre. Parmi elles, le maire PS de Saint-Ouen, Karim Bouamrane, la présidente de la région Occitanie, Carole Delga, ou encore Raphaël Glucksmann, qui compte « aimanter » une partie de la gauche autour de sa petite formation, Place publique. Tous rêvent d’extirper la gauche du giron mélenchoniste et incarner une ligne plus modérée, à même de concurrencer l’hégémonie du triple candidat à la présidentielle.
« En vérité, Jean-Luc Mélenchon se prépare déjà à la prochaine campagne. Il pense que ce serait logique qu’il y ait deux gauches avec deux projets idéologiques différents lors de la prochaine présidentielle. Donc nous travaillons aussi », explique-t-on dans l’entourage de Raphaël Glucksmann. L’eurodéputé veut sillonner la France et s’infiltrer dans la brèche qui sépare l’aile progressiste du macronisme et le pan le moins radical de la Mélenchonie. Retour annoncé des deux gauches irréconciliables ?
« On est inquiets car on sent que, du côté de La France insoumise et de la droite du PS, il y a cette tentation de remettre en cause l’union des gauches. Les uns souhaitent imposer Mélenchon une quatrième fois pour la présidentielle. Et les autres, les opposants d’Olivier Faure, veulent une nouvelle union en excluant les insoumis », résume Pierre-François Grond, membre du conseil d’administration de L’Après, l’association lancée par Clémentine Autain, Danielle Simonnet, Hendrik Davi et Alexis Corbière après leur éviction de LFI.
Ces députés tentent de prolonger la dynamique unitaire lancée après la création du NFP, considéré aujourd’hui comme un cartel de partis ou comme un simple accord électoral. Le collectif a tenté de poser le sujet lors de leur assemblée générale constitutive qui s’est tenue le 5 octobre dans le 12e arrondissement de la capitale.
« Machine à perdre »
Au cœur des débats, la constitution d’un nouveau parti de gauche sous la forme d’une « maison commune », d’une fédération de partis ou d’un tout nouveau mouvement qui réunirait L’Après, Génération. s, la formation de François Ruffin (Picardie debout), et le parti de Gérard Filoche, la Gauche démocratique et sociale. L’objectif ? Créer une nouvelle organisation plus ancrée localement. Avec une seule ligne : préserver l’union à tout prix et s’entendre sur un candidat commun pour la prochaine présidentielle.
Il faut une candidature unique, on le disait dès 2023.
M. Tondelier
Pour sauvegarder l’union, insoumis, socialistes, communistes et écologistes pourraient s’appuyer sur le travail de ce collectif qui rêve de créer une union « par la base ». Mais ce n’est pas à l’ordre du jour. Tous sont convaincus que ce sera un accord sur la méthode de désignation du candidat qui pourra solidifier l’entente. Ainsi, Olivier Faure défend coûte que coûte le système d’une primaire. Les insoumis écartent cette option qu’ils jugent créateurs de nouvelles divisions, une sorte de « machine à perdre » d’avance. Les écologistes ne sont ni pour ni contre.
« Il faut une candidature unique, on le disait dès 2023, explique la secrétaire nationale des Verts, Marine Tondelier. Mais des questions se posent sur le ‘comment’. Nous avons souvent opté pour le moins pire des systèmes, la primaire. Mais il faut savoir être ouvert devant les propositions alternatives, car les primaires posent des problèmes. » Voilà encore une autre potentielle discorde. Mais il semble compliqué de croire que ce sujet résoudra l’ensemble des équations de la gauche. À croire que le Nouveau Front populaire est condamné à un chemin semé d’embûches.