Grâce au RN, le gouvernement de Michel Barnier survit à sa première censure
Le Nouveau Front populaire n’a pas réussi à convaincre plus de cinq députés en dehors de sa propre alliance politique et échoué à faire tomber le gouvernement. Les soutiens de ce dernier ont ignoré le constat d’un soutien de l’extrême droite.
Un visiteur de l’Assemblée nationale pourrait se perdre dans les nombreux couloirs, les grandes salles et les multiples escaliers du Palais Bourbon. Difficile de s’y retrouver dans ce dédale lorsqu’on n’y est pas habitué. Depuis la formation du gouvernement de Michel Barnier, des députés se retrouvent un peu dans la même situation. Font-ils partie de la majorité ou de l’opposition ?
Face à ce gouvernement d’alliance entre le macronisme et la droite et soutenu par l’extrême droite, le dilemme concerne surtout des députés de « l’aile gauche » du camp présidentiel ou du Modem, agacés par exemple par les sorties droitières de Bruno Retailleau. Mais la question peut aussi se poser chez quelques élus Les Républicains (LR) qui seraient irrités de voir le nouveau premier ministre continuer d’appliquer la feuille de route macroniste pour les mois et les années à venir.
Pour dissiper ce brouillard parlementaire, la gauche a une solution : présenter une motion de censure. « Tous les groupes qui ne voteront pas la censure seront, de fait, des soutiens du gouvernement Barnier qui lui permettront de continuer son œuvre, de continuer la politique macroniste en pire avec une austérité jamais vue, jamais connue dans la 5e République », explique ce 8 octobre à la mi-journée la cheffe de file du groupe insoumis à l’Assemblée, Mathilde Panot. Le premier test du gouvernement Barnier sonne comme une clarification politique. Mais sans grand suspense, la censure n’ayant que peu de chance d’aboutir.
« Hold-up électoral »
Peu avant 16 h 50, Olivier Faure monte à la tribune. Le député de Seine-et-Marne et premier secrétaire du Parti socialiste (PS) doit défendre la censure devant un hémicycle très clairsemé. Les députés des groupes macronistes et de La droite républicaine (DR) n’ont pas pris la peine de se déplacer.
« Je vous le demande sans détour monsieur le premier ministre : si nous ne parlions pas de vous, et si nous étions dans un autre pays que la France, comment qualifieriez-vous votre propre nomination ? Vous seriez le premier à dénoncer un hold-up électoral, et sans doute à décrire un régime illibéral », commence-t-il. Avant de citer Victor Hugo : « ‘Regardez l’ouvrier qui va au scrutin. Il y entre avec le front triste du prolétaire accablé, il en sort avec le regard d’un souverain.’ Le vote est le moyen de règlement pacifique des conflits. Si vous lui ôtez son caractère sacré, alors c’est tout l’édifice démocratique qui menace de s’écrouler. »
La droite française préfère le soutien du RN plutôt que la moindre concession au progrès social.
O. Faure
Le socialiste dénonce ensuite le soutien implicite du Rassemblement national (RN) au gouvernement de Michel Barnier : « L’extrême droite se range toujours du côté du capital contre le travail. Tout comme la droite française préfère le soutien du RN plutôt que la moindre concession au progrès social. » Olivier Faure anticipe déjà la politique de cet exécutif qui porte, selon lui, les « germes d’une contre-révolution conservatrice » : « Les privés d’emploi subiront une nouvelle réforme de l’assurance chômage, les retraités verront leurs pensions désindexées, les malades auront un reste à charge de 4 euros pour une consultation médicale, la taxe sur l’électricité va augmenter, tous nos services publics seront impactés. » Un moyen de répondre aux détracteurs de cette censure qui voient dans cette motion une « censure préventive ».
« Monsieur le premier ministre, vous nous avez dit vouloir ‘faire beaucoup avec peu, en partant de presque rien’. Dans les faits, vous voulez faire beaucoup avec les gens de peu et presque rien avec ceux qui ont tout », lance-t-il. La droite et l’extrême droite huent les mots du socialiste. Qu’importe, Olivier Faure continue.
« En l’absence de vrais compromis avec la gauche, vous ne demeurerez à Matignon que par le consentement de l’extrême droite à laquelle vous devrez donner des gages, analyse le patron du PS.Votre ministre de l’Intérieur a déjà fait ce choix et il multiplie les déclarations pour complaire au RN, passant du front républicain à l’affront républicain. En légitimant chaque jour l’extrême droite, votre gouvernement finira par n’être qu’un simple ascenseur pour l’échafaud. »
Il dépasse les 10 minutes de temps qui lui sont accordées à la tribune. Son micro se coupe. La présidente de l’Assemblée, Yaël Braun-Pivet, insiste : « Monsieur, vous n’avez plus la parole ! » Olivier Faure continue. Sans que personne ne l’entende. A la fin, seule la gauche se lève pour applaudir.
Renversement
En réponse, Michel Barnier répète les grandes lignes de son discours de politique générale. Et tente à la tribune de décrédibiliser l’initiative : « Il n’y a pas de majorité absolue, il n’y en a pour personne. Il y a donc des majorités relatives. C’est le choix du peuple français. Et parmi les majorités relatives, je constate que la majorité relative qui accompagne le gouvernement est aujourd’hui la moins relative. »
La majorité relative qui accompagne le gouvernement est aujourd’hui la moins relative.
M. Barnier
Le premier ministre est soutenu par Laurent Wauquiez, chef de file du groupe de La Droite républicaine (DR), qui pointe cette « passion de tout renverser » qui animerait le NFP et reprend, en substance, les arguments du chef du gouvernement : « L’esprit de responsabilité, c’est juger sur les actes et ne pas faire de procès d’intention. » En clair, la droite joue au parti de l’ordre. Tout comme l’extrême droite. « La censure est un acte grave, on ne censure pas pour censurer », affirme le député RN Guillaume Bigot, qui décrit le NFP comme une alliance tombée « dans le piège de LFI, d’hystériser, de bordéliser ».
« Est-elle si insupportable, cette rupture politique, que vous préfériez un gouvernement soutenu par le Rassemblement national plutôt qu’une alternance politique ? », demande au bloc central Cyrielle Châtelain, cheffe de file du groupe Écologiste et social. Malgré la dénonciation de l’alliance entre le RN et le gouvernement, le camp macroniste ne bouge pas d’un centimètre. Marc Fesneau, président du groupe Modem, ne dit pas un mot sur la question dans son discours. Certains tentent même de renverser l’argument.
On va continuer la bataille puisque le budget arrive très prochainement.
C. Guetté
« Pour que cette motion soit adoptée, il faut les députés du Rassemblement national. Et la gauche ose parler d’un gouvernement sous surveillance du RN ? C’est leur désertion, ce choix de ne pas venir à la table des négociations, qui génère cette situation », pour le député Ensemble pour la République (EPR), Pierre Cazeneuve. Selon Xavier Albertini, député Horizons, « la gauche n’attend qu’une chose, c’est que le Rassemblement national franchisse le Rubicon et vienne mêler sa voix aux leurs ».
Second round
Dans la salle des Quatre Colonnes, le député socialiste Marc Pena répond à ces attaques : « Les soutiens de ce gouvernement ont dit qu’on était irresponsable, qu’on était incapable de dégager des consensus. Mais ils évitent la vraie question que l’on posait : ils vont continuer la politique d’austérité menée depuis sept ans. Au fond, ce gouvernement n’est pas légitime et il y a des incohérences politiques évidentes : le groupe des Républicains est reconnu comme un groupe d’opposition alors que Michel Barnier est premier ministre. »
À 19h38, le couperet tombe. Yaël Braun-Pivet annonce le résultat : seuls 197 députés ont voté pour la motion de censure. Le NFP n’aura pas su convaincre plus que cinq députés en dehors de ses rangs. « Le suspens était très mince. On avait l’assurance depuis plusieurs semaines que l’extrême droite ne voterait pas la censure », déplore Olivier Faure. Le NFP subit une nouvelle défaite politique. Certains cherchent, tant bien que mal, un second round. « On va continuer la bataille puisque le budget arrive très prochainement », annonce la députée insoumise Clémence Guetté. Le soleil est tombé et le gouvernement est encore debout. Grâce à l’extrême droite.