Au procès du FN-RN, les prévenus plombent leur défense

Après les auditions des députés et de leurs collaborateurs, incapables de remettre en cause le bien-fondé de l’accusation, le procès des assistants parlementaires européens du FN va se pencher plus spécifiquement sur le « système » de financement détourné que suspecte la justice.

Michel Soudais  • 28 octobre 2024 abonnés
Au procès du FN-RN, les prévenus plombent leur défense
Le vice-président de Reconquête !, Nicolas Bay, au palais de justice de Paris, à Paris le 1er octobre 2024.
© Thomas SAMSON / AFP

Le doute n’effleure pas Laure Lavalette. Comme toutes les têtes d’affiche du Rassemblement national (RN), la porte-parole du groupe à l’Assemblée nationale ne voit pas ce que les juges pourraient reprocher à sa patronne. « On n’imagine même pas de plan B parce que je ne pense pas que Marine Le Pen soit effectivement condamnée », lance-t-elle crânement au journaliste de LCI qui l’interroge sur l’issue possible du procès des assistants fictifs du Front national. Une lourde condamnation financière du parti et de son éternelle candidate, assortie pour elle d’une peine d’inéligibilité, compromettrait la présidentielle.

Or ce 25 octobre, l’assurance affichée par Laure Lavalette tient autant de la méthode Coué que du déni. Cela fait quatre semaines que Marine Le Pen et 23 autres prévenus, anciens députés européens et leurs assistants, défilent à la barre de la 11e chambre du tribunal correctionnel de Paris. Les élus doivent y répondre de « détournement de fonds publics » pour avoir embauché un ou des collaborateurs parlementaires qui œuvraient au siège du mouvement. Ces derniers sont poursuivis pour « recel de détournement de fonds publics ». Or ni les uns ni les autres ne sont réellement en mesure de prouver que le travail pour lequel les fonds européens rémunéraient ces assistants a bien été effectué.

Absence de preuves

À l’instar de Marine Le Pen qui juge les archives inutiles, comme elle l’a confié au tribunal, les eurodéputés qui défilent à la barre n’ont rien conservé des notes, synthèses, courriers, ou vidéos du rude travail de leurs assistants. « Pas même un post-it ? » ironisa un jour le conseil du Parlement européen, partie civile.

Élue en 2014, l’eurodéputé Mylène Troszczynski, modeste bachelière qui s’est faite toute seule, s’excusait presque d’être « une très mauvaise archiveuse » et de ne pouvoir prouver que Julien Odoul, recruté le 1er octobre sur un contrat d’assistant parlementaire local (APL) qui courra jusqu’au 31 juillet 2015, rémunéré au total 56 000 euros, l’avait assistée. L’élue est aussi une surprenante recruteuse. À la barre du tribunal elle reconnaît ne pas avoir procédé à un entretien d’embauche « au sens où on peut l’entendre ».

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La présidente du tribunal, Bénédicte de Perthuis, lui demande si Julien Odoul était un militant politique. « On me l’a vendu comme tel », réplique-t-elle du tac-au-tac. « On m’a présenté son CV, en me disant que c’était quelqu’un de bien. Il avait déjà une petite expérience, j’ai dit pas de souci. » Elle n’a pas discuté de son salaire avec lui, ni rédigé vraiment son contrat. La signature s’est faite sans rencontre physique.

L’intenable version de Julien Odoul

De son côté, Julien Odoul, qui avait été assistant parlementaire d’André Santini après un bref passage au cabinet de Bruno Le Maire, ministre de l’Agriculture, s’était rapproché du FN au printemps 2014 avec un objectif revendiqué et assumé : travailler auprès de Marine Le Pen. Et c’est avec son chef de cabinet, Philippe Martel, qu’il a établi le contact et dévoilé son intention. Ce dernier lui fait part par SMS le 12 septembre du montage envisagé :

– « Ouf, c’est Ok Montage financier ds une Semaine »
« Alelluia !!!! »
« Tu seras peut-être pris en charge par le Parlement européen ce qui est parfaitement neutre »
« Aucun problème. Tu me diras quand le contrat sera prêt pour que je vienne le signer »
« Je vois WSJ [Wallerand de Saint-Just, trésorier du FN, N.D.L.R.] mardi et te tiens informe »

Le 10 février 2015, soit près de 4 mois après le début de son contrat d’APL, Julien Odoul demande par courriel à Marine Le Pen la possibilité de venir à Strasbourg « pour voir comment se déroule une session au PE, rencontrer députés et assistants et faire la connaissance de Mylène Troszczynski à qui je suis rattaché ». « Oui bien sûr », lui répondait Marine Le Pen.

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À la lecture par le tribunal de ces échanges versés à la procédure, Julien Odoul, aujourd’hui député de l’Yonne et porte-parole du RN, s’enferre. Il jure n’avoir « jamais cessé de travailler pour Mylène Troszczynski ». Et pour justifier ses activités au sein du FN et auprès de Marine Le Pen, qu’il jure être « bénévoles », il affirme avoir eu avec son eurodéputée, alors que le Parlement européen était encore en phase d’installation, un entretien téléphonique au cours duquel elle lui aurait donné le feu vert pour se « rendre utile » au parti. Une conversation dont cette dernière dit n’avoir aucun souvenir. Sur la période, seuls 75 SMS et 18 communications ont été relevés entre eux, dont 16 au début et à la fin du contrat.

Dans un autre SMS accablant adressé le 7 octobre 2014 à Philippe Martel, Julien Odoul écrit en parlant de sa réelle patronne : « Concernant les modalités du contrat peu importe le portage, je suis vraiment motivé pour travailler au cab. Elle ne le regrettera pas… » Il semble bien que cela ait été le cas puisqu’en février 2015, le jeune ambitieux apparaît dans l’organigramme du FN comme « conseiller spécial » de Marine Le Pen. Un titre qu’il prétend avoir été « honorifique ».

La « reconstitution » est un faux caractérisé

Le lendemain c’était au tour de Nicolas Bay d’être sur le gril. Cet ancien espoir du FN devenu traître quand il a rejoint Éric Zemmour – quitté pour Marion Maréchal après l’échec de Reconquête ! aux européennes, qui lui a néanmoins permis de siéger pour un troisième mandat à Strasbourg –, a bien tenté de « reconstituer le travail » de son assistant parlementaire, Timothée Houssin, aujourd’hui député RN de l’Eure. L’effet s’est révélé désastreux.

Sous contrat d’assistant parlementaire local était censé effectuer son travail d’assistance dans un bureau siège du FN, un étage en dessous celui de Nicolas Bay, à l’époque secrétaire général adjoint – il deviendra secrétaire général au début de l’année 2015. Mais là encore les enquêteurs n’ont retrouvé aucune trace d’un travail effectif auprès de son eurodéputé.

À sa convocation en 2018 devant la juge d’instruction en charge du dossier, Nicolas Bay produit des revues de presse écrites confectionnées, selon lui, par son assistant. Las. Nos confrères de la cellule investigation de Franceinfo et de « Complément d’enquête », qui ont examiné les 112 pages produites, ont relevé des anachronismes prouvant qu’elles avaient été produites postérieurement à la période du contrat de Timothée Houssin (1er juillet 2014-31 mars 2015).

Vous avez fabriqué vous-même la réalité que vous avez expliquée dans son cabinet.

Présidente du tribunal

Cuisiné de longues minutes par la présidente du tribunal sur l’origine de ces revues de presse qui n’avait « pas été découvertes dans les ordinateurs ni dans les mails au cours de l’enquête », qui n’avait pas non plus « été évoquées avant cet interrogatoire » de 2018, Nicolas Bay finit par expliquer avoir dû réimprimer des articles devenus illisibles, d’où des anachronismes dans l’impression d’articles internet.

Au final, il « assume totalement » avoir voulu « reconstituer » – répété plusieurs fois – ce qu’il dit que son assistant « avait fait à l’époque, avec une page de garde… » Il reconnaît avoir écrit « revue de presse Timothée Houssin » sur ces documents, sans en prévenir la juge d’instruction. « Je reconnais que j’aurais dû être beaucoup plus clair devant la juge », admet-il piteusement. « Mais vous avez fabriqué vous-même la réalité que vous avez expliquée dans son cabinet », le sermonne la présidente du tribunal.

Une réunion embarrassante pour Marine Le Pen

Derrière la question des « assistants », ce procès est surtout celui d’une fâcheuse habitude du Front national à faire prendre en charge par le Parlement européen le salaire d’une partie de ses permanents. Une pratique qui remonte aux années 1980, dont Marine Le Pen a hérité en prenant les commandes du mouvement, en janvier 2011. Selon l’accusation, elle l’aurait même en quelque sorte industrialisé quand, à l’issue des élections européennes de 2014 son parti est passé de 3 à 24 eurodéputés.

Ce « système », mot récusé par la défense, commencera à être examiné cette semaine. Le 30 octobre avec les auditions de Christophe Moreau et Nicolas Crochet, deux experts-comptables dont les cabinets avaient en charge la gestion administrative des contrats des assistants parlementaires. Le premier de 2004 à 2011, le second a été choisi ensuite par Marine Le Pen quand elle a pris la direction du parti.

Viendra ensuite, le 4 novembre, le tour de Wallerand de Saint-Just, alors trésorier du FN, et Charles Van Houtte. Ce fonctionnaire européen centralisait la gestion des assistants parlementaires. Il avait notamment procuration pour surveiller le montant de l’enveloppe budgétaire de chaque député et veiller à ce que toutes soient intégralement dépensées, quitte à établir des contrats d’une journée. Tous quatre sont poursuivis pour « complicité de détournement de fonds publics par aide ou assistance ».

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Marine Le Pen, qui a déjà été entendue trois après-midi de suite sur l’accusation de « détournement de fonds publics » pour l’emploi de quatre assistants sur trois législatures, reviendra à la barre le 5 novembre pour répondre cette fois de l’accusation de « complicité de détournement de fonds publics par instigation ». Il y sera notamment question d’une réunion, le 4 juin 2014 à Bruxelles, au cours de laquelle la présidente du FN aurait entraîné ses eurodéputés dans le système de détournement des fonds européens qui leur vaut de comparaître devant la justice.

Selon l’accusation qui s’appuie sur au moins deux témoignages accrédités par un échange de courriels entre un eurodéputé, Jean-Luc Schaffhauser, et Wallerand de Saint-Just, Marine Le Pen aurait annoncé à la vingtaine de nouveaux eurodéputés FN qu’ils n’auraient pas à reverser une partie de leur rémunération au parti, comme y sont astreints les élus locaux frontistes. En contrepartie, elle leur aurait demandé aux eurodéputés de choisir un seul assistant parlementaire pour mettre à disposition du mouvement le reste de l’enveloppe budgétaire – 23 000 euros par mois – accordée aux élus par le Parlement.

Trous de mémoire et dénégation

Marie-Christine Arnautu, 72 ans, était alors vice-présidente du FN et fraîchement élue au Parlement européen. Quand cette vieille amie de Jean-Marie Le Pen, poursuivie pour avoir embauché en 2014 comme assistant parlementaire accrédité Gérald Gérin, l’homme à tout faire du fondateur du FN (1), est interrogée par la présidente du tribunal, Bénédicte de Perthuis, elle ne se souvient pas être « allée ou pas » à cette réunion. Et pour appuyer son propos, elle confesse « ne pas aimer les réunions » et en sortir pour « fumer », ne supportant pas de « rester trois heures assise ».

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Logé dans une dépendance du domicile de M. Le Pen depuis 1995, il n’a pas résidé à Bruxelles comme son statut lui en faisait obligation.

Le lendemain, Mylène Troczkzynski reconnaît y avoir assisté mais « de manière sporadique comme beaucoup de [ses] collègues », la quittant « parfois pour des démarches » ou « pour fumer ». Elle aussi. Du coup, elle ne se souvient pas des propos de Marine Le Pen et d’« aucun échange sur le sujet » des assistants. La présidente du tribunal, un brin agacé, s’étonne qu’elle ne se rappelle pas que l’absence de reversement y a été annoncée : « C’était quelque chose qui comptait pour vous ? »

L’ex-eurodéputée, qui racontait quelques minutes auparavant, combien le montant de l’indemnité avait joué dans sa décision de quitter son travail et d’accepter un mandat pour lequel elle ne se sentait pas préparée, n’en dira pas plus. À 52 ans, elle travaille comme assistante accréditée pour la délégation française des « Patriotes » au Parlement européen.

Nicolas Bay lui était bien « présent à cette réunion ». Mais n’a « rien entendu de tel ». Secrétaire général adjoint, à un moment où son n+1 avait lâché son poste, il était de facto le numéro 3 du FN et était associé aux réflexions et décisions les plus confidentielles où « cette idée n’a absolument pas été suggérée », martèle-t-il. Quant aux témoignages livrés par d’anciens élus présents, il les récuse : « Pour avoir eu des différents avec Marine Le Pen, glisse-t-il dans une allusion à son ralliement en 2022 à Éric Zemmour – quitté l’été dernier avec Marion Maréchal –, il faut faire la part des choses entre les différends politiques et l’animosité personnelle. »

Tout nier pour n’avouer jamais

La présidente ne voit « pas d’animosité » dans le mail que l’eurodéputé Jean-Luc Schaffhauser adresse le 22 juin 2014 au trésorier du FN : « Ce que Marine nous demande équivaut qu’on signe pour des emplois fictifs… et c’est le député qui est responsable pénalement sur ses deniers même si le parti qui en est le bénéficiaire… Je comprends les raisons de Marine mais on va se faire allumer car on regardera, c’est sûr, nos utilisations à la loupe avec un groupe si important. Je n’ai pas prévenu les autres du cadre légal car je créerai encore plus de bordel.. »

Je crois bien que Marine sait tout cela…

À quoi Wallerand de Saint-Just répond une demi-heure plus tard : « Je crois bien que Marine sait tout cela… » « Comment vous expliquez ça ? interroge la magistrate. On est sur des mails de l’époque. » Coincé, Nicolas Bay avance un argument qu’il voudrait définitif : « Le recrutement de mes assistants dans ma sphère personnelle contredisent cette idée. J’ai embauché absolument qui je voulais. » Parmi eux, Thimothée Houssin dont l’audition à la barre a montré qu’il était plus actif au siège du FN dans un service sous l’autorité du secrétaire général Nicolas Bay que dans l’assistance du député européen Bay Nicolas qui le rémunérait.

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Au poste qu’il occupait, il pouvait aussi être l’un des donneurs d’ordre. Dans des mails trouvés par les enquêteurs au siège du FN, l’eurodéputé Gilles Le Breton s’adresse à lui pour accélérer l’embauche d’un vieux cadre du FN comme assistant européen ; celui-ci n’a que quelques jours pour annoncer sa démission de son poste d’enseignement. Nicolas Bay se charge alors de transmettre les renseignements nécessaires à l’établissement du contrat de ce futur assistant.

La démarche intrigue le tribunal. Pourquoi est-il, lui, en possession de ces renseignements personnels sur le candidat et non son député-employeur censé l’avoir rencontré ? « Parce que nous avons cela dans le fichier de nos cadres auquel j’ai accès », affirme Nicolas Bay. « Vous avez même leur numéro de sécu ? » interroge dans un sourire Bénédicte de Perthuis.

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