Au procès du FN-RN, l’étau se resserre sur Marine Le Pen

Poursuivie pour « détournement de fonds publics », la cheffe de file du Rassemblement national a commencé à s’expliquer, lundi, sur le travail de ses assistants parlementaires européens. Sans convaincre.

Michel Soudais  • 15 octobre 2024 abonné·es
Au procès du FN-RN, l’étau se resserre sur Marine Le Pen
Dessin du procès du FN-RN, où Marine Le Pen est poursuivie pour détournement de fonds publics et complicité de détournement de fonds publics.
© Benoit PEYRUCQ / AFP

L’audition de Marine Le Pen était attendue. Elle aura duré plus de six heures et n’aura pas permis d’entendre l’ancienne assistante parlementaire avec qui elle devait partager l’audience de ce lundi après-midi. Lors des deux premières semaines de procès, elle est intervenue à deux reprises. Au troisième jour, comme représentante de son parti, elle avait posé les bases d’une défense très politique. Le 9 octobre, elle avait demandé à intervenir pour dérouler à nouveau sa version du procès des assistants parlementaires européens fictifs du Front national (FN). On n’en était encore qu’aux généralités. Mais elle racontait ensuite au Point avoir « perçu de la part de la présidente [du tribunal] une tonalité de partialité ».

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Hier, c’est sur le fond du dossier que la 11e chambre correctionnelle de Paris a commencé à interroger Marine Le Pen. Les premières auditions, la semaine dernière, des ex-eurodéputés Fernand Le Rachinel et Bruno Gollnisch, et de leurs assistants, ont montré assez clairement que ces derniers ont bien été payés par l’Europe – certains même grassement – alors qu’ils travaillaient en fait pour le parti lepéniste. Comme ses anciens collègues, Marine Le Pen doit s’expliquer sur la réalité du travail de quatre collaborateurs parlementaires, qui lui valent d’être poursuivie pour « détournement de fonds publics ». Le tribunal a prévu d’y consacrer trois après-midi. Avant de l’entendre à nouveau, le 5 novembre, cette fois sur l’accusation de « complicité de détournement de fonds publics ».

Interrogations sur l’embauche d’une assistante historique

Ce 14 octobre, elle doit répondre de l’embauche de novembre 2008 à septembre 2016 de Catherine Griset, sa collaboratrice historique. Une « copine », qui a été sa belle-sœur le temps de son second mariage de 2002 à 2006. À la barre, elle raconte avoir recruté cette jeune militante en 1994 comme assistante quand elle était avocate. Puis de l’avoir conservée ensuite auprès d’elle en 1998 quand elle a créé le service juridique du FN, où elle était salariée par le parti. Dans un organigramme de 2008, Marine Le Pen a le titre de vice-présidente exécutive en charge de la formation, la communication et la propagande ; Catherine Griset y figure alors comme son assistante.

Poursuivant son récit, Marine Le Pen, députée européenne depuis 2004, explique qu’à son poste frontiste la communication est alors réduite aux apparitions médiatiques, car financièrement le parti est au bord de la faillite après ses revers électoraux de 2007. Il doit même procéder à un plan social. Coïncidence troublante, c’est le moment qu’elle choisit pour embaucher sa collaboratrice comme assistante parlementaire locale à temps plein. Un statut qu’elle conserve deux ans durant.

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En décembre 2010, Catherine Griset bascule sur un contrat d’assistante parlementaire accrédité (APA) « à sa demande », déclare Marine Le Pen, qui précise qu’« elle voulait s’éloigner de Paris ». Contrat renouvelé après les élections européennes de 2014, jusqu’au 15 février 2016. Ces contrats d’APA sont les deux seuls retenus par la justice. Car, selon l’Office européen de lutte antifraude (Olaf) et les juges d’instruction, Catherine Griset n’en aurait pas respecté les obligations et interdictions en continuant de travailler au siège du parti, à Nanterre, en qualité d’assistante personnelle puis de cheffe de cabinet de Marine Le Pen.

Des obligations non respectées

Le statut des assistants parlementaires européens, entré en vigueur en 2009 en même temps que le statut des députés européens, distingue les assistants locaux, en poste dans le pays d’élection de leur député, les assistants accrédités censés travailler dans les locaux du Parlement à Bruxelles, Strasbourg ou Luxembourg. Les premiers sont rémunérés par le Parlement européen via un « tiers payant » chargé de s’acquitter de toutes les obligations sociales découlant de leur contrat de droit national. Les seconds, bien qu’embauchés sur demande d’un député européen, ont un statut de fonctionnaire européen directement payé par l’Europe et fiscalement plus intéressant.

Avoir une résidence à Bruxelles n’est pas, dans mon esprit, résider toute l’année à Bruxelles.

M. Le Pen

Appelé à préciser les éventuels avantages financiers pour les députés et les assistants du statut d’APA, Didier Klethi, directeur général des finances du Parlement européen, rappelle qu’un assistant accrédité doit impérativement être résident à Bruxelles, Strasbourg ou Luxembourg. « C’est un travail dissimulé que d’avoir un APA qui travaillerait ailleurs que Bruxelles, Strasbourg ou Luxembourg », accuse-t-il avant que des assistants français qui se domicilient à Bruxelles ou Luxembourg reçoivent « une indemnité de 16 % d’expatriation ».

Or Catherine Griset n’avait qu’un pied à terre dans l’agglomération de Bruxelles, une chambre chez Christian Van Houtte, assistant belge auprès des eurodéputés FN, « ni téléphone, ni abonnement » prouvant sa résidence, note la présidente du tribunal, Bénédicte de Perthuis. Sur ce point, Marine Le Pen élude : « En 2009, ça ne me semblait pas aussi précis que ce que nous a exposé M. Klethi. » Elle assure qu’elle avait « compris qu’il faut qu’elle soit résidente à Bruxelles et présente aux sessions du Parlement ». « Avoir une résidence à Bruxelles n’est pas, dans mon esprit, résider toute l’année à Bruxelles », ose-t-elle.

Sur l’obligation, inscrite dans le contrat des APA d’assister leur député « dans l’un des locaux du Parlement européen », la fille de Jean-Marie Le Pen répond qu’elle n’était « pas consciente que [Catherine Griset] devait être au travail à Bruxelles du lundi 9 h à 17 heures et tous les jours ». « Dans mon esprit, il s’agissait d’être présente avec moi dans les sessions et à l’adresse de mes bureaux de députée au siège du parti. »

Elle prétend également qu’elles faisaient le trajet ensemble, « on arrivait en voiture de Paris, elle ne repartait pas toujours avec moi mais venait avec moi ». Elle précise un peu plus tard qu’elles se rendaient à Bruxelles en Thalys, où sa voiture l’attendait, à Strasbourg en avion.  Mais dans la masse des billets fournis à l’instruction par son assistante, il n’y aurait de preuves que des déplacements de Mme Le Pen.

Pas vue au Parlement, mais présente au siège du FN

Sur le travail de Catherine Griset à Bruxelles, l’instruction assure qu’entre octobre 2014 et août 2015, les badgeuses du Parlement européen n’ont enregistré sa présence que durant 740 minutes, soit environ 12 heures. « C’est un des éléments sur lesquels s’appuie la poursuite », reconnaît Marine Le Pen. Mais elle affirme aussitôt qu’elle ne badgeait elle-même jamais. Seul son chauffeur badgeait à l’entrée du parking et non les occupants du véhicule.

Ensuite, « les gens de la sécurité nous disaient bonjour et on passait avec qui on voulait ». Une affirmation rudement démentie par Didier Klethi : seuls les députés ne badgent pas en empruntant un « couloir bleu », toutes les autres personnes entrant dans l’enceinte du Parlement, y compris les fonctionnaires en poste comme lui depuis trente ans, y sont astreintes. Surtout dans la période citée, précise-t-il, où la sécurité avait été rehaussée en raison des attentats.

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À l’inverse, entre février 2015 et février 2016, les badgeuses du FN, à Nanterre, ont noté la présence de Catherine Griset en moyenne entre 17 et 22 jours par mois. Un temps complet au siège du parti qui fait douter le tribunal de son travail d’assistante parlementaire, d’autant que dans cette période elle a succédé à Bruno Bilde comme chef de cabinet de Marine Le Pen, présidente du RN.

À la barre, celle-ci défend l’énorme travail de sa collaboratrice auprès d’elle : la gestion du courrier et des mails – qu’elle traite toujours avec sa boîte Gmail ou celle du FN, jamais celle du Parlement européen, sa patronne refusant de l’utiliser après avoir vu un jour un employé de maintenance prendre la main sur son ordinateur –, celle de son agenda, de ses rendez-vous et contacts avec la presse, la mise en forme de ses discours – « en double interligne, police 18, parce que sinon je ne peux pas les corriger » –, les réservations d’hôtel, de transport et de restaurant, etc.

Tout ce qui est passé en politique est obsolète. Une note qui a six mois est trop vieille. 

M. le Pen

Elle assure, pour finir, que « ce titre de chef de cabinet ne lui faisait pas perdre ce qu’elle avait, un rôle de coordination confié à la personne dont le mandat [européen] est le cœur de l’activité ». Quant aux preuves du travail effectué, Marine Le Pen renvoie le tribunal à « la masse considérable de documents » fournis aux juges d’instruction par son assistante en qui elle voit son « disque dur externe ». Car elle-même n’a aucun goût des archives ; « ça prend trop de place ». « Moi je crame tout, lance-t-elle. Tout ce qui est passé en politique est obsolète. Une note qui a six mois est trop vieille. » Serait-ce la raison de ses virages programmatiques successifs et de leur plasticité ?

« Travailler pour le parti »

Si les assistants parlementaires européens ont interdiction de travailler pour un parti, cette interdiction est encore plus stricte pour les APA tenus de déclarer et d’obtenir une autorisation pour toute activité annexe, même à titre bénévole, même le week-end. En étant manifestement en infraction avec ces obligations, la double casquette de Catherine Griset et son véritable lieu de travail n’aident pas Marine Le Pen à contester la thèse de l’accusation, selon laquelle le FN a fait des économies sur le dos du Parlement européen en lui faisant prendre en charge les salaires de plusieurs de ses permanents.

Elle-même peut y contribuer par ses déclarations. Me Patrick Maisonneuve, avocat de la partie civile, lui a rappelé celle-ci, faite le 30 juin 2017 : « Lorsque les assistants parlementaires n’étaient pas strictement occupés à des tâches parlementaires, ils pouvaient à la demande de leur député travailler pour le parti dont les députés sont tous membres […] et dont ils partagent les idées et le combat. » Elle conteste avoir dit « travailler pour le parti ».

« Mais il s’agit d’une déclaration écrite que vous avez transmise aux enquêteurs » – en réponse à sa première convocation, N.D.L.R. –, lui rétorque la présidente, « ce n’est pas un problème de transcription ». Piquée au vif, Marine Le Pen assure qu’elle a voulu dire « au bénéfice du parti ». La nuance est mince et ne convainc guère.

Marine Le Pen doute

L’énergie que Marine Le Pen met à se défendre, à éluder les questions précises, à y répondre parfois avec une parfaite mauvaise foi, trahit la situation délicate dans laquelle elle s’est mise. Pour les faits qui lui sont reprochés, elle encourt une peine de prison, une lourde amende et surtout une peine d’inéligibilité de cinq à dix ans, susceptible de mettre un terme à son ambition présidentielle. Une menace qu’elle sent de moins en moins évitable quand, en tout fin d’audition, elle fait part aux magistrats de ses interrogations.

Il est déjà plus de 20 heures quand, en réponse à un avocat de la défense, elle prend à témoin le tribunal de manière énigmatique : « Pensez-vous qu’un mandat de responsable politique soit compatible avec un mandat d’élu ? » « Heureusement, je ne suis plus présidente du Rassemblement national », poursuit-elle devant les mines interloquées qui lui font face. Elle rappelle qu’elle est encore présidente d’un groupe parlementaire puissant et « aussi potentiellement candidate à la présidence de la République ».

Alors que nombre d’observateurs se demandaient comment intéresser les Français à ce qui se passe au Parlement européen, les partis se contentant d’y envoyer des inconnus, rappelle-t-elle, « le choix » de son parti l’a singularisé. « Nous, on a envoyé des gens connus », lance-t-elle crânement en citant son père et quelques dirigeants lepénistes de premier plan, dont elle-même, qui avaient trouvé asile sur les bancs bleus de ce Parlement qu’ils détestent. « Est-ce que, du coup, nous ne nous mettons pas en danger ? »

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