Législative partielle en Isère : la bombe à retardement du Nouveau Front populaire
Socialistes et insoumis se disputent l’investiture de la première circonscription de l’Isère après la démission de Hugo Prevost. En creux, une bataille de leadership entre les deux groupes de gauche les plus importants à l’Assemblée nationale.
Une petite querelle locale pourrait bien faire exploser toute l’union des gauches. Et comme souvent, c’est un bras de fer entre le Parti socialiste (PS) et La France insoumise (LFI) qui pourrait faire vaciller le Nouveau Front populaire (NFP). Les deux formations s’arrachent la première circonscription de l’Isère depuis la démission du député insoumis Hugo Prevost le 9 octobre.
L’ancien porte-parole du Syndicat l’Union étudiante a été accusé de « harcèlement moral et sexuel, de schémas de prédation, de faits s’apparentant à des violences sexuelles » durant une période s’étendant de 2020 à 2024, selon un communiqué de l’Union étudiante. Une démission synonyme de nouvelle élection législative qui devrait se tenir avant le 15 janvier, dans une circonscription très stratégique pour la gauche puisqu’elle a été ravie à Olivier Véran, député entre 2017 et 2024 et visage de la macronie.
Pour trouver le remplaçant de Hugo Prevost, la bataille fait rage. Les têtes pensantes de la gauche réfléchissent d’abord à Lucie Castets. L’énarque et ex-prétendante à Matignon envisage le poste, sans avoir aucune attache en Isère même si sa belle-famille y est originaire. LFI y est très favorable mais le mouvement mélenchoniste pose une exigence : les insoumis conditionnent leur soutien au fait que Lucie Castets siège, une fois élue, dans le groupe LFI à l’Assemblée puisqu’il était prévu, dans l’accord du NFP conclu en juin, que cette circonscription soit réservée à un candidat insoumis.
L’intéressée n’est pas très emballée par l’idée : elle préférerait passer d’un groupe à un autre régulièrement, histoire d’incarner un peu plus le « trait d’union » de ces gauches qui semblent prêtes à se déchirer à la moindre occasion.
Rebelles isérois
Localement, les socialistes ne comptent pas se faire doubler par un grand accord qui serait décidé à Paris. Hors de question d’être mis à l’écart des discussions. Alors le 17 octobre, les militants roses désignent leur candidate : Amandine Germain, conseillère départementale de Grenoble depuis 2011 et cheffe de l’opposition départementale en Isère. Dans un communiqué, le PS isérois affirme néanmoins qu’il se mettra « à la disposition » de Lucie Castets si la haute fonctionnaire est finalement désignée par le NFP. Mais l’énarque renonce un peu plus tard.
La raison ? LFI se montre intransigeant et menace de présenter un candidat contre elle si elle refuse de siéger dans le groupe insoumis. Le PS isérois maintient donc la candidature d’Amandine Germain. Quitte à ne pas respecter l’accord national. Les insoumis enragent. « Alors que, conformément à l’accord du NFP, LFI soutient le candidat socialiste à la législative partielle des Ardennes, le PS rompt avec le NFP à l’occasion de la partielle de l’Isère. Hollande a repris la main ? », lâche le 18 octobre sur X (ex-Twitter), Paul Vannier, député du Val-d’Oise et chargé des élections de LFI.
Les insoumis méprisent l’option présentée par les socialistes locaux et ne souhaitent pas rediscuter de l’accord national de partage des circonscriptions. Le mouvement mélenchoniste n’est pas non plus prêt à faire la moindre concession au PS. La lutte pour le leadership se joue à l’Assemblée : le groupe LFI est composé de 71 députés alors que le groupe PS en compte 66.
Manoeuvre autour de Lyes Louffok
Le 28 octobre au soir, le mouvement mélenchoniste soumet le nom de Lyes Louffok, militant des droits des enfants et ancien membre du Conseil national de la protection de l’enfance, aux militants insoumis locaux qui l’approuvent à l’unanimité, selon Le Dauphiné Libéré.
Le lendemain, le comité électoral de LFI communique officiellement : « Alors que le gouvernement Barnier tente d’imposer, avec l’aide des députés RN, le plan d’austérité le plus violent de l’histoire de la Ve République, Lyes Louffok mènera une campagne décisive pour renforcer les rangs du Nouveau Front populaire, seule opposition à Emmanuel Macron. Conformément à l’accord du Nouveau Front populaire, Lyes Louffok siégera, s’il est élu, au sein du groupe La France insoumise à l’Assemblée nationale. »
Lyes Louffok portera, selon le communiqué, une « profonde réforme de l’Aide sociale à l’enfance ». À noter que le militant était déjà candidat en juin dernier dans le Val-de-Marne. Il avait perdu contre Sylvain Berrios, aujourd’hui député Horizons. La manœuvre insoumise est claire : investir un candidat issu de la société civile et déjà soutenu par le NFP il y a quatre mois permet de ne donner aucune excuse aux écologistes et aux communistes pour ne pas soutenir ce candidat.
Mais l’annonce de cette investiture ne fait pas bouger les lignes au niveau local. « On va aller jusqu’au bout de notre démarche », affirme Damien Perrard, conseiller municipal d’opposition à Bourgoin-Jallieu et premier secrétaire fédéral de l’Isère, qui considère qu’Amandine Germain a bien plus de chance de remporter cette circonscription. Même s’il indique que des discussions sont en cours entre sa fédération et la direction nationale, Damien Perrard et sa fédération restent sur leur position : les socialistes locaux continuent de demander un « nouveau fléchage » de cette circonscription.
Avec ce qui s’est passé avec Hugo Prevost, un vote anti-LFI pourrait faire basculer la circonscription.
D. Perrard
Traduction : cette circonscription doit, selon eux, revenir à un candidat socialiste et non insoumis. Les communistes locaux appellent les organisations politiques à se parler pour se mettre d’accord sur un nom, ne ferment pas la porte à un soutien d’Amandine Germain mais refusent de faire campagne en dissidence. « Il faut d’abord préserver l’unité du NFP. Mais il faut surtout que les organisations politiques locales se posent cette question : comment gagner ? Il faudrait analyser les réalités locales. Raisonner depuis Paris, ce n’est pas pertinent. Le risque de perdre la circo est grand », alerte le secrétaire départemental du PCF isérois, Jérémie Giono.
« Notre objectif est aussi de faire perdurer l’union des gauches. On a proposé une rencontre au niveau local. Mais on remarque que LFI n’accepte pas la remise en question du fléchage. Avec ce qui s’est passé avec Hugo Prevost, un vote anti-LFI pourrait faire basculer la circonscription », considère Damien Perrard. La rencontre évoquée par le socialiste aura lieu le 30 octobre dans le siège local du Parti communiste grenoblois.
Ce 29 octobre, la direction nationale insoumise lance la même initiative. L’insoumis Paul Vannier invite les forces du NFP à se réunir le 30 octobre pour engager « la campagne pour l’élection de Lyes Louffok ». Pour le moment, personne n’est capable de dire qui viendra à ces réunions. « Tout le monde se regarde en chien de faïence. On a des infos contradictoires », concède Jérémie Giono. Contacté, Lyes Louffok n’a pas répondu à nos sollicitations.
Les Écologistes défendent l’accord NFP
Au niveau national, la direction du Parti socialiste ne communique pas pour le moment. Mais elle n’a pas non plus validé officiellement l’investiture d’Amandine Germain. Au niveau local, la situation est aussi floue. Le socialiste Damien Perrard raconte être « en lien régulier avec le national » et estime que la démarche de désignation « n’a pas été remise en question » au sein du parti.
Olivier Faure, le premier secrétaire de la formation, est dans une position compliquée. Le patron des roses doit faire la synthèse dans son propre camp entre ceux qui souhaitent défendre à tout prix l’accord du NFP tel qu’il a été signé et l’aile droite qui rêve d’y mettre fin du jour au lendemain. Hélène Geoffroy, maire de Vaulx-en-Velin (Rhône), fait partie de cette dernière catégorie. L’édile estime que la reconduction automatique de l’accord signé en juin pour les législatives partielles n’est pas envisageable en Isère.
Tout comme dans la neuvième circonscription des Hauts-de-Seine suite à la nomination de Stéphane Séjourné en tant que commissaire européen, une circonscription réservée aux écologistes que revendiquent aujourd’hui les socialistes locaux. Hélène Geoffroy demande un vote en bureau national du parti. « Rien n’est encore acté définitivement », temporise le député socialiste d’Indre-et-Loire et conseiller du premier secrétaire du parti, Laurent Baumel.
Du côté des Écologistes, on soutient l’accord du Nouveau Front populaire coûte que coûte. La secrétaire nationale du parti, Marine Tondelier, salue la candidature de Lyes Louffok et annonce qu’il aura « le total soutien » de sa formation.
« Il y a un accord national qui prévaut depuis le mois de juin. La logique veut qu’on reproduise les fléchages. Je ne vois pas à quel titre ça pourrait changer, se demande Olivier Bertrand, chargé des élections pour la formation verte et, par ailleurs, habitant de la première circonscription de Grenoble. Les Écologistes respectent le fléchage établi : on a tenté de défendre la candidature de Lucie Castets, ça n’a pas marché, c’est donc à La France insoumise de désigner un candidat. »
La fragilité de l’union, c’est d’être un accord par le haut.
« Tout cette histoire interroge le fonctionnement du NFP qui ne reste aujourd’hui qu’un accord électoral. Il y a une question d’ancrage local et de lien avec le terrain à laquelle il faut répondre. La fragilité de l’union, c’est d’être un accord par le haut », lance un militant de gauche local. Et voilà que les Écologistes se rangent aux côtés des insoumis. Le NFP serait-il en train de se scinder en deux ? Le conflit autour de cette circonscription a tout pour, de prime abord, ressembler à une tempête dans un verre d’eau. Ce n’est pas le cas.