Agriculture bio : près d’Angers, la bataille du foncier agricole

Quatre aspirants agriculteurs souhaitent s’installer en agriculture biologique, mais se sont vus préférer un projet de restructuration d’exploitations existantes en agriculture conventionnelle. Une histoire qui illustre le casse-tête de l’accès aux terrains pour des projets porteurs de changements dans l’agriculture.

Mathilde Doiezie  • 30 octobre 2024 abonné·es
Agriculture bio : près d’Angers, la bataille du foncier agricole
Le 3 octobre, la Confédération paysanne a occupé la Safer 49 en soutien aux quatre candidats à l’installation.
© DR

« Elle est parfaite, la ferme », brosse Marius Chauvin, encore émerveillé du trésor trouvé à un kilomètre de son habitation. Les prairies en bord de rivière du hameau des Joncs, à Denée (Maine-et-Loire), font aussi rêver Simon Coutand, qui imagine à quel point le troupeau de vaches limousines dont il a toujours eu envie de prendre soin s’y sentirait bien. Hélas, cette ferme est peut-être un mirage pour ces deux trentenaires et leurs deux associées dans ce projet de reprise, Maëlys Dilé et ­Clémence Mahieu.

Depuis que Marius et Simon ont pris connaissance, en avril dernier, du projet de vente par une connaissance, ils ont engagé une course contre la montre pour mettre toutes les chances de leur côté. Parce qu’ils sont conscients que l’accès au foncier n’est pas facile pour des gens comme eux « non issus du milieu agricole » – les « Nima », comme on les appelle dans le jargon agricole. Cela fait plusieurs années qu’ils attendent exactement ce type d’occasion.

Face à l’ampleur du projet de reprise – 170 hectares, avec des bâtiments agricoles – ces deux copains, également voisins, se sont tournés vers leur amie commune Maëlys et sa collègue Clémence, qui voulaient toutes les deux mener leur propre projet, après avoir conseillé pendant plusieurs années d’autres agriculteurs dans leur parcours d’installation ou leurs pratiques agricoles.

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À eux quatre, ils prévoient un système bio de polyculture-élevage, avec 60 vaches à viande sur pâturage, de la production de céréales permettant notamment la fabrication de pain, du maraîchage de légumes écoulés en partie en vente directe. Des critères qui semblent cocher toutes les cases pour la Société d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer) des Pays de la Loire, qui s’est engagée à soutenir prioritairement, lors de la vente de terres agricoles, les projets visant une installation, le maintien des sièges d’exploitation et l’élevage. Des critères qui répondent aussi à des attentes sociétales fortes en matière de protection de l’environnement et d’accès à une alimentation saine et locale.

On sentait que, pour les gens, on apportait un peu d’espoir.

Simon

Encore faut-il réunir des fonds en urgence. « Si tu attends la publication de l’annonce de vente de la part de la Safer, ça veut dire qu’il y a déjà un candidat », décrit Simon. « Tu as alors quinze jours pour répondre, avec un accord financier de la banque qui correspond exactement au montant de la vente », complète son acolyte Marius. Un véritable casse-tête. Et, justement, cinq exploitations voisines se sont réunies d’emblée pour racheter la ferme, afin de réorganiser leurs terres et permettre l’installation d’une jeune femme en élevage ovin.

Un engouement inespéré

Les quatre aspirants agriculteurs se sont alors lancés dans l’aventure d’une SCI (société civile immobilière) « agricole et citoyenne ». L’intérêt réside d’abord dans la réunion de fonds pour convaincre plus facilement une banque d’accorder un financement pour le reste du montant. « Cela permet aussi de sortir de la propriété privée et de faciliter les projets d’installation, avec des investissements moindres », argumente Simon.

Fin mai, les voilà qui partent en croisade. Ils se mettent à tracter un peu partout et à envoyer des mails – auprès de proches, de voisins, de leur réseau écologiste, bio et paysan – pour faire signer des promesses de prise de parts. Ils organisent aussi des réunions publiques pour expliquer leur projet de reprise. « C’était en parallèle des élections européennes et législatives. On sentait que, pour les gens, on apportait un peu d’espoir », retrace Simon. 

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L’engouement est inespéré : en un mois, ils ont réussi à convaincre 270 personnes, prêtes à investir 685 000 euros dans leur projet d’installation. Le Conservatoire des espaces naturels des Pays de la Loire s’est aussi positionné pour acquérir 40 hectares de la ferme, situés en zone inondable, afin de garantir que les activités agricoles qui s’installeront ne perturberont pas l’environnement. Puis une banque a donné son accord pour compléter la part restante.

Lorsque la commission d’attribution des terres agricoles de la Safer des Pays de la Loire s’est réunie le 10 juillet, le groupe des quatre s’est donc senti pousser des ailes. Mais, au lieu de faire de la haute voltige, ils sont restés cloués au sol. Le jury n’a pas su départager les deux projets lorgnant les terres, avec sept voix pour eux, sept voix pour les autres. Une nouvelle réunion, le 24 septembre, a finalement apporté son soutien au projet concurrent.

Collusions et favoritisme

Là, c’était la déconfiture. « Nous, on pouvait reprendre une ferme d’un bloc, tandis que le projet d’en face – si on comprend le besoin de regrouper des parcelles et de faire moins de trajet – va finalement déstructurer une ferme en cherchant à en restructurer d’autres », se désespère Simon. Des citoyens et des réseaux agricoles s’émeuvent de la décision de la Safer.

Les gens qui ne connaissent pas trop le milieu sont choqués.

Début octobre, près de 400 personnes se réunissent devant le siège de la société du foncier agricole à Angers, lors d’une manifestation emmenée notamment par le syndicat agricole de la Confédération paysanne. « Les gens qui ne connaissent pas trop le milieu sont choqués. Si on l’est aussi, on n’est hélas pas étonnés », résument dépités Marius et Simon.

En cause, de forts soupçons de collusions et de favoritisme entre la Safer et la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles), le syndicat agricole majoritaire du secteur. Sur les 24 membres du conseil d’administration de la Safer, au moins 12 sont ou ont été adhérents de la FNSEA, selon un décompte de la Confédération paysanne. Parmi les agriculteurs du projet d’en face se trouve également le trésorier de la fédération départementale du syndicat majoritaire, déjà peu enclin à soutenir des projets agricoles alternatifs et faisant encore moins de la bio une priorité.

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Où en est le projet maintenant ? La Direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt (Draaf) a ordonné à la Safer des Pays de la Loire de trouver une solution pour l’ensemble des projets. Pour ne pas voir leur rêve d’installation s’envoler, Clémence, Maëlys, Marius et Simon ont proposé de réunir les différents projets d’installation et de laisser quelques parcelles aux agriculteurs déjà installés pour reconfigurer leurs exploitations.

D’ici à dix ans, un tiers des agriculteurs partiront à la retraite et 10 millions d’hectares de terres agricoles devront être redistribués. À la faveur de l’installation de projets bio sans gigantisme ? Suspendu à une décision désormais repoussée à la fin de l’année, Simon ne cultive plus que « 10 % d’espoir ».