Quelle riposte unitaire trans et intersexe ?
Quelques jours après la tenue d’ExisTransInter, Mimi Aum Neko, militante transféministe, décoloniale et réfugiée politique thaïlandaise, revient sur le rôle des syndicats dans la lutte pour les droits des personnes trans.
dans l’hebdo N° 1832 Acheter ce numéro
2024 est une année particulièrement dévastatrice pour les droits de la communauté trans et intersexe en France, mais aussi à l’échelle mondiale. Au Pérou, un décret présidentiel a classifié les personnes trans comme malades mentales, alors que l’OMS a, en 2019, retiré la transidentité de la liste de ces pathologies. La situation en France se dégrade également, marquée par deux transféminicides en juillet, dont celui de Geraldine, une femme trans travailleuse du sexe d’origine péruvienne.
En mai dernier, la droite et l’extrême droite du Sénat, main dans la main, ont adopté un projet de loi visant à interdire la transition médicale des mineur·es trans. Le livre transphobe de la militante d’extrême droite Marguerite Stern est promu par les médias de droite. Une semaine avant la marche ExisTransInter, qui a eu lieu le 12 octobre, 63 militant·es mobilisé·es contre la présentation de ce livre ont été violemment reprimé·es et interpellé·es.
Face à ce climat transphobe en lien avec la montée de l’extrême droite, cette marche s’était donné pour mot d’ordre, cette année, « Face aux réactionnaires, riposte unitaire pour les droits trans et intersexes ». Le collectif organisateur a décidé de s’ouvrir aux syndicats et aux partis politiques. Toutefois, cette ouverture est devenue la centralité du conflit entre les positions de syndicats et celles d’associations trans et intersexes sur certains sujets féministes.
Lors de l’appel à signatures, Acceptess-T, l’association pour les droits des personnes trans, migrantes et travailleur·ses du sexe (TDS), s’est étonnée de la volonté de « gommer » les revendications des TDS et des migrantes. Elles ont finalement été réintégrées. L’association défend toujours une position non partisane, afin de préserver l’autonomie politique de la communauté trans et intersexe, mais sans avoir à négocier nos droits, alors que ceux-ci ne sont pas soutenus par les partis ou les autres organisations.
Dans l’histoire de la lutte trans en France, nous avons vécu la trahison de certains collectifs LGBTIQA+ ayant collaboré avec le gouvernement du PS.
Dans l’histoire de la lutte trans en France, nous avons vécu la trahison de certains collectifs LGBTIQA+ ayant collaboré avec le gouvernement du PS. La loi du 18 novembre 2016 permet certes, pour la première fois, aux personnes trans de changer d’état civil sans les conditions médicales requises auparavant, mais ce changement est toujours soumis à la judiciarisation, alors que la revendication commune des associations et des collectifs trans et intersexes était fondée sur une démarche de changement d’état civil démédicalisée, déjudiciarisée et gratuite auprès de l’officier de la mairie.
Cette collaboration a fait perdre le rapport de force, l’autonomie et autant d’années de bataille qu’ont menées les associations afin de défendre l’intérêt des personnes trans et intersexes. C’est pour cette raison que l’intégration des partis et des syndicats toujours opposés aux droits des TDS, dont une grande partie de migrantes trans exclues du marché du travail conventionnel, est problématique car ce sont elles qui ont construit le mouvement récupéré aujourd’hui par ceux qui veulent leur mort.
Les femmes trans des pays du Sud global subissent non seulement la transphobie-transmisogynie, mais aussi la précarité et le racisme. Le travail du sexe est pour elles un des moyens les plus accessibles face aux multiples violences et discriminations à leur encontre. La loi de pénalisation des clients, également adoptée en 2016 par le gouvernement PS, n’améliore pas la situation et les conditions de travail des TDS.
Cette loi a complètement inversé le rapport de force. Les TDS perdent une grande partie de leurs revenus et sont obligées d’accepter la négociation des prix et des pratiques plus dangereuses qu’auparavant. L’enquête sur les conséquences de la pénalisation menée par Médecins du Monde en collaboration avec les associations pour les droits des TDS montre que 78,2% d’entre elles et eux ont constaté que leurs revenus avaient beaucoup diminué. 62,9% témoignent que leur qualité de vie est détériorée et 38,3% disent négocier le port du préservatif moins facilement qu’avant. Selon l’association Acceptess-T, en 2022, le risque de contracter le VIH était 14 fois plus élevé pour les TDS et 66 fois plus élevé pour les femmes trans que pour l’ensemble de la population générale.
Comment la gauche peut-elle se dire solidaire des nos luttes, quand une partie de ses militants se positionne pour la répression des travailleurs et travailleuses du sexe ?
En 2019, 261 TDS ont saisi la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) afin d’abroger cette loi ayant déjà tué plus de 30 TDS, dont 5 femmes trans migrantes depuis son adoption. Pourtant, le verdict de la cour s’est exprimé en faveur de la France. Pour la communauté trans et TDS, cette décision est catastrophique surtout pour les trans migrantes, de plus en plus exposées aux risques et aux violences.
Le communiqué unitaire des syndicats suite à la décision de la CEDH continue d’affirmer que « cette loi est une victoire féministe et sociale contre le système patriarcal ». De ce fait, nous ne pouvons pas sacrifier nos droits et nos revendications au profit d’une structure non concernée comme les syndicats, qui maintiennent toujours leur position abolitionniste et refusent catégoriquement la reconnaissance du statut de travailleur.se.s des TDS.
Pendant la prise de parole, le collectif ExisTransInter a décidé de laisser la parole à la personne représentante de l’intersyndicale avant celles des associations et des collectifs trans. Cette inversion de priorité a suscité la colère de Giovanna Rincon, figure majeure de la lutte trans et directrice de Acceptess-T. Même si certain.e.s syndicalistes ont récemment apporté leur soutien à la lutte des TDS, aucun changement d’attitude n’a eu lieu au sein de leurs syndicats. Une militante de #NousToutes m’a également confié que les syndicats ont refusé même de « lire » le texte à signer pour la manifestation du 23 novembre, car il y a le mot TDS.
Cette question revient toujours au même dilemme : comment la gauche peut-elle se dire solidaire des nos luttes, quand une bonne partie de ses militants se positionne pour la répression, plutôt que la défense des droits ? Le féminisme qui refuse de voir les violences VSS faites aux TDS est-il vraiment féministe ? Peut-on combattre le patriarcat en se focalisant seulement sur le travail du sexe sans remettre en cause toutes les formes de violences patriarcales hormis celles des TDS et toute la notion du travail dans le monde capitaliste en son ensemble ? Vers quelle riposte unitaire va-t-on ?
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