Netanyahou : en attendant Trump…
Après la mort d’Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah, celle de Yahya Sinwar, leader du Hamas, n’est en rien le « tournant » annoncé. Le vrai tournant, c’est de Washington qu’il faut l’attendre et le redouter, avec la présidentielle du 5 novembre.
dans l’hebdo N° 1833 Acheter ce numéro
Comme au lendemain de la mort du chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, l’exécution du leader du Hamas, Yahya Sinwar, a donné lieu à des assauts de fausse crédulité. Puisque la peau de Sinwar était l’un des objectifs affichés par Benyamin Netanyahou, n’est-il pas temps d’arrêter cette guerre, de quitter Gaza, et de faire revenir les otages ? Ces faux espoirs ont été vite douchés. « Ce n’est que le début de la fin », a rétorqué Netanyahou, d’autant plus sûr de son non-droit que les mêmes faux naïfs occidentaux ne cessent de lui réaffirmer leur soutien. La mort de Yahya Sinwar n’est donc en rien le « tournant » annoncé. Et encore moins le signe de l’« éradication » du mouvement islamiste. Il y aura toujours un Hamas, ou autre chose, pire encore. Et Sinwar sera aussi vite remplacé qu’il a lui-même remplacé tous ceux qui l’ont précédé, de cheikh Yassine à Ismaël Haniyeh en passant par Abdel Aziz Al-Rantissi.
Le débat sur Gaza tourne outre-Atlantique au conflit de générations.
Dans la colère et l’esprit de vengeance il n’y a pas de « dernier homme ». Le « tournant », le vrai, c’est de Washington qu’il faut l’attendre et le redouter. Avec un possible retour de Trump à la Maison Blanche, Netanyahou pourra se rapprocher de l’objectif historique qui est le sien, et celui du mouvement sioniste de droite dont il est l’héritier : l’annexion de la Cisjordanie. À Gaza et au Liban, on en est pour l’instant à l’élimination des obstacles. Car il est temps de réviser nos analyses sur le gouvernement israélien. Il faut cesser de regarder la présence des colons suprémacistes dans la coalition comme une passagère nécessité électoraliste. Netanyahou incarne l’extrême droite sioniste née dans les années 1920 bien plus que Ben-Gvir et Smotrich. La coalition n’est pas de circonstance. Elle est historique.
Aux États-Unis, le conflit israélo-palestinien est devenu un enjeu de la campagne. L’aboulie qui a frappé le camp démocrate risque de coûter son élection à Kamala Harris. La politiste franco-américaine Amy Greene démontre, sondages à l’appui, que le débat sur Gaza tourne outre-Atlantique au conflit de générations (1). Tandis que les anciens, majoritairement blancs, restent fidèles au soutien inconditionnel à Israël pour des raisons que l’on peut qualifier d’ethniques, les jeunes ont une lecture plus morale du conflit. Il ne leur suffit pas que les Palestiniens soient des Arabes, et majoritairement des musulmans, pour accepter leur sacrifice comme dans un remake du génocide indien.
L’Amérique face à ses fractures, Amy Greene, éditions Tallandier.
Le soutien à Israël, quoiqu’encore dominant dans un pays né d’une aventure coloniale sanglante et victorieuse, est peut-être en train de subir une lente usure de l’histoire. Raison de plus pour se hâter de commettre l’irréparable. Pour Netanyahou, Trump est l’homme de la situation. Il pourrait finir de lier l’Arabie saoudite à un accord avec Israël, et donner son feu vert à une razzia des colons jusqu’au Jourdain. On pourra compter alors sur l’Union européenne pour faire entendre une plaintive protestation. Le gendre ultrasioniste de Trump, Jared Kushner, s’inscrit dans cette lignée. Son plan, présenté en janvier 2020, consistait déjà en une annexion à peine déguisée du territoire palestinien. Trump, fidèle à sa philosophie personnelle (rien ne peut résister au dollar), prévoyait d’acheter à milliards les Palestiniens en échange de leur renoncement à Jérusalem et à toute revendication nationale.
Il est probable qu’une nouvelle mouture de ce plan serait plus catastrophique encore pour les Palestiniens devenus les Navajos d’Israël, reclus dans leurs réserves comme les Indiens d’Arizona. Nous ne sommes pas encore dans ce monde de cauchemar, où Trump, Netanyahou et Poutine en feraient à leur aise. L’élection américaine fera entrer d’autres paramètres que moyen-orientaux. Le vote des femmes, notamment, fortement favorable à Harris. On peut donc toujours se dire que le pire n’est jamais sûr. Mais pour les Gazaouis et les Libanais sous les bombes, le pire est déjà là. Et Kamala Harris, qui n’a pas eu le courage de dire qu’elle changerait le cours de la tragédie, n’incarne guère mieux qu’un moindre mal.
P.-S. : Franck Mermier, longtemps directeur des études contemporaines à l’Institut français du Proche-Orient à Beyrouth, et l’un des meilleurs connaisseurs du Liban, a raison de contester une phrase de mon dernier édito qui faisait des chrétiens « les lointains héritiers des Croisés ». « Elle véhicule, rappelle-t-il, le stéréotype que les chrétiens seraient des corps étrangers alors que des communautés chrétiennes existaient dans tout l’Orient arabe avant l’apparition de l’islam et qu’elles ont perduré ensuite. »
Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.
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