Proche-Orient : une vraie-fausse impuissance

Les « grandes puissances » seraient impuissantes à arrêter la machine de guerre de Netanyahou, laquelle s’en prend désormais à l’Unwra et à la Finul. En vérité, il y a surtout une absence totale de volonté à Washington, comme à Paris, à Rome ou à Berlin.

Denis Sieffert  • 16 octobre 2024
Partager :
Proche-Orient : une vraie-fausse impuissance
Des décombres suite à une frappe aérienne israélienne sur le village d'Aito dans le nord du Liban, le 15 octobre 2024.
© JOSEPH EID / AFP

S’il y a bien un mot que l’on entend à propos du Proche-Orient, c’est « impuissance ». Les « grandes puissances », nous dit-on, sont impuissantes. La machine de guerre de Netanyahou est inarrêtable. Après avoir ramené Gaza à l’âge de pierre, c’est le Liban qui subit le terrible châtiment. Ce sont maintenant les zones chrétiennes, où vivent les lointains héritiers de nos croisades, qui sont frappées. Avec ce supplément de perversité qui conduit le premier ministre israélien à encourager les Libanais à se lancer dans une nouvelle guerre civile : « Libérez-vous du Hezbollah, a-t-il menacé, sinon vous connaîtrez le sort de Gaza. »

La guerre civile, les Libanais connaissent. Entre 1975 et 1990, elle a fait plus de deux cent mille morts. Elle était déjà la conséquence indirecte de la terrible épuration ethnique provoquée par Israël en 1948, et de l’exode des Palestiniens au Liban. De même, les mémoires défaillantes doivent se souvenir de l’aveu du cheikh Fadlallah, l’un des inspirateurs du Hezbollah, qui avait affirmé que la milice chiite n’aurait jamais existé sans l’invasion du Liban par Israël en 1982. Cela aussi, c’était une conséquence de la guerre civile dont Israël fut un acteur majeur, et que M. Netanyahou voudrait voir se répéter. Il a l’oubli facile. S’il est aujourd’hui en conflit ouvert avec l’ONU, c’est qu’elle présente à ses yeux deux inconvénients majeurs : elle dit le droit international, et elle rappelle l’histoire, au Liban comme à Gaza.

Chasser l’agence d’aide aux réfugiés de Jérusalem et de Gaza, c’est effacer la mémoire.

Elle a parfois été bonne fille pour l’État hébreu. N’est-ce pas la résolution « 181 » qui a posé les bases d’Israël, le 27 novembre 1947, contre l’avis des Arabes ? Après quoi, Israël s’est empressé de fouler aux pieds à peu près toutes les suivantes, avec la complicité du grand parrain américain. Mais l’ONU n’a pas fait qu’écrire des résolutions, elle a créé une agence pour venir en aide aux réfugiés palestiniens, l’Unrwa, et elle a mis en place en 1978 une force d’interposition au Sud-Liban, la Finul. Les attaques dont l’Unrwa et la Finul sont aujourd’hui les cibles ne sont pas seulement destinées à chasser des « gêneurs » qui témoignent des massacres. Chasser l’agence d’aide aux réfugiés de Jérusalem et de Gaza, c’est effacer la mémoire. Sans l’Unrwa, il n’y a plus de « réfugiés », et il n’y a donc jamais eu d’épuration ethnique.

Sur le même sujet : Netanyahou : le temps de l’impunité

Israël, qui sait mieux que tout autre cultiver la mémoire, et qui a de très bonnes raisons pour cela, sait aussi gommer de l’histoire la trace de ses crimes. Contre l’ONU, on est passé des violences verbales à l’offensive militaire. Après avoir accusé l’Unrwa de complicité avec le Hamas, on en vient à prévoir la fermeture de ses bureaux, et à déclarer persona non grata le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres. Mais le plus effarant, c’est à présent l’attaque de l’armée israélienne contre un poste d’observation de la Finul. Un char qui détruit le portail, des munitions au phosphore qui incommodent les soldats, des tirs qui touchent et qui blessent : jusqu’où ira Netanyahou ?

Tous ceux qui se taisent à Gaza et au Liban disent leur indignation quand leurs soldats, sous l’uniforme de la Finul, sont directement ciblés.

De toutes les capitales, des voix s’élèvent. Ce sont cette fois « nos » soldats qu’Israël attaque ! On peut, bien sûr, regretter la tacite hiérarchie établie par les protestataires. Tous ceux qui se taisent à Gaza et au Liban disent leur indignation quand leurs soldats, sous l’uniforme de la Finul, sont directement ciblés. On voit ainsi Giorgia Meloni, fervente admiratrice de l’extrême droite israélienne, manifester sa colère contre les attaques qui visent la force d’interposition au Liban où sont engagés quelque huit cents soldats italiens. Tant mieux si cela peut conduire à une vraie protestation européenne et américaine. Et à de vraies sanctions. Mais ne va-t-on pas rapidement nous reparler d’impuissance ?

Sur le même sujet : Israël, le pays de la guerre perpétuelle

En vérité, il n’y a pas d’impuissance. Il n’y a qu’une absence totale de volonté à Washington, comme à Paris, à Rome ou à Berlin, où le chancelier Scholz vient d’annoncer une augmentation de l’aide militaire à Israël. Il est pourtant évident que l’arrêt total de livraison d’armes, et des sanctions économiques fortes, comme la rupture de l’accord d’association entre l’UE et Israël, auraient un effet immédiat. Mais ce n’est pas Gaza ou le sud-Liban que regardent les grandes capitales, c’est la montée des extrêmes droites dans leur pays, toutes favorables aux colons israéliens. Si l’on osait paraphraser la formule célèbre de Victor Serge, on dirait que chacun voit minuit à sa porte (1). Et c’est un désastre mondial.

1

Allusion au célèbre livre de Victor Serge, S’il est minuit dans le siècle, paru en 1939.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

Temps de lecture : 4 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don