Pesticides : La Rochelle marche pour sa santé
Le 12 octobre, les opposants à l’agrochimie défileront dans la cité maritime. Face aux alertes à répétition aux pollutions de l’air et de l’eau, des citoyens et des élus se sont mobilisés pour faire entendre leurs inquiétudes et défendre la transition agricole.
dans l’hebdo N° 1831 Acheter ce numéro
Face à l’horizon gluant de la terre d’automne fraîchement fauchée des pois, blés tendres et tournesols, l’école du Nouveau Monde recevait ce jour-là l’animatrice de l’association Nature environnement 17. Venue présenter les « classes nature », Lucille Grizeau a vu se lever trois mains fébriles à l’évocation des gambades enfantines en plein air : « Est-ce qu’il n’y a pas un risque avec les pesticides ? »
« C’était la première fois qu’on me demandait ça, avoue l’éducatrice à l’environnement, décontenancée. Je ne savais pas quoi dire, alors j’ai dit la vérité : que leurs enfants n’y seraient pas plus exposés que dans leurs jardins. » Pas forcément rassurés, les trois parents tenaient leurs inquiétudes d’une réunion d’information sur les risques liés aux pesticides dans l’agglomération de La Rochelle. Le fruit d’un long cheminement.
La prise de conscience de l’enjeu de santé environnementale a trouvé un terreau fertile dans l’arrière-pays de la cité maritime. Depuis quelques années, les records d’exposition aux pesticides dans l’air et l’eau se succèdent avec une régularité de métronome : glyphosate, chlortoluron, lindane ou prosulfocarbe.
Il aura cependant fallu une combinaison d’actrices et d’acteurs pour que la mobilisation débouche sur un ralliement : le 12 octobre, activistes, scientifiques et élu·es de la France entière défileront à l’ombre des voiles et des tours lors de la troisième marche faisant suite à l’Appel de La Rochelle pour la transition agricole et pour la sortie des pesticides de synthèse. Un symbole fort tant l’air, l’eau et même les pierres sont marquées par l’emprise de l’agriculture intensive.
Une débauche de chimie
Comme le rappelait la banderole « L’agro-industrie = » déployée par les activistes d’Extinction Rebellion le 2 septembre 2023, c’est dans le port de La Rochelle qu’aboutit le système agricole de la plaine poitevine. Quadrillée par de puissantes coopératives (Terre Atlantique, Ocealia, Soufflet, etc.), la région Poitou-Charentes déroule un tapis de grandes cultures largement destinées à l’exportation et aux semences.
De quoi justifier d’étirer sur la plaine les bâches des mégabassines et les bras de libellule des pulvérisateurs. Cette débauche de chimie ruisselle hélas dans un système hydrographique fragile : faute de nappes phréatiques profondes, le département ne tire son eau que des eaux de surface et des nappes superficielles contaminées à la moindre pluie par les épandages.
« Les élus ne connaissaient rien à la gestion de l’eau, explique, encore moqueur, Denis Thibaudeau, vice-président du collectif Eau publique 17 et ancien élu local. La Saur, qui était délégataire à La Rochelle, leur balançait un rapport de 160 pages, ils regardaient combien ça coûtait à la collectivité : zéro ! Résultat, les habitant·es payaient une des eaux les plus chères de France et les puits étaient fermés en masse. »
En mars 2013, un médecin interpellé par une patientèle inquiète des traitements chimiques qui nimbent les vergers du sud du Limousin crée l’association Alerte des médecins sur les pesticides, avec l’Appel de mars 2013 signé par 1 500 praticien·nes : « Nous voulions soutenir les riverains face au mépris de la sous-préfète de l’époque envers nos demandes, mais nous manquions de données, récapitule le lanceur d’alerte Pierre-Michel Périnaud. Ce qui nous intéressait, c’était le cœur du sujet des pesticides : les grandes cultures. »
En 2017, dans les salles d’attente des services d’oncologie de Poitiers, Nantes, Bordeaux et Paris, les parents d’enfant malades font connaissance et prennent conscience que leurs maisons de famille, pavillons ou appartements ouvrent tous sur les vignes, le maïs ou les blés. Parmi elles et eux, huit petits malades partagent le même code postal : celui de Périgny et Saint-Rogatien, qui baignent dans les champs de la périphérie de La Rochelle.
On nous disait ‘votre combat est juste’ et ça s’arrêtait là.
F. Rinchet-Girollet
Les parents, inquiets, créent l’association Avenir santé environnement 17 (ASE17) et signalent aux élu·es l’usine d’enrobé voisine, le composteur d’à côté et les champs alentour. L’agglomération commande une étude de l’air peu concluante ; l’agence régionale de santé envoie des questionnaires portant sur les risques dans le foyer : tabac, alimentation, etc. Conclusion : trop de facteurs, trop peu de population pour être statistiquement significative. « Nous avons été traités comme des parents en détresse, rumine Franck Rinchet-Girollet, président d’ASE17. On nous disait ‘votre combat est juste’ et ça s’arrêtait là. »
Des mesures inquiétantes
Le 24 décembre 2020, un contrôle au point de captage de Casse-Mortier, dans la commune de Clavette, voisine du siège de l’association, relève la présence de nombreux polluants, dont un taux de l’herbicide chlortoluron plus de cent fois supérieur au seuil légal. Nature environnement 17 et ASE17 déposent plainte contre X pour pollution. Le combat a changé de focale : faute d’avoir pu obtenir des autorités que soit établi un lien entre maladie et pratiques, les produits deviennent le sujet central.
Guillaume Krabal, vice-président en charge de l’eau, écope du dossier et de la compétence de distribution (incombant aux agglomérations depuis la loi NOTRe), qui inclut la qualité. La mise en vente des produits, elle, reste une prérogative centrale. « L’État me demande de préserver l’eau de produits dont il autorise la vente, c’est une contradiction énorme ! », synthétise Guillaume Krabal.
Le captage suspendu, il travaille à établir autour un périmètre de protection, sans épandage ni fossé, et lance un programme d’aide à l’installation en bio, en plus du programme Re-Source, doté d’1,2 million d’euros sur cinq ans pour accompagner la transition en bio sur les aires de captage.
À l’automne 2021, une étude de l’Atmo Nouvelle-Aquitaine (association agréée de surveillance de la qualité de l’air), dont les résultats ont été révélés en juillet 2022, relève au capteur planté à 10 mètres de la porte de l’école de Montroy (à côté de Clavette) 41 substances issues des épandages, et une concentration dans l’air jamais mesurée en France de prosulfocarbe.
Comment peut-on avoir huit fois plus de cet herbicide ici qu’en Beauce ou dans la Somme ?
M. Maigné
« Ça a été une onde de choc, se souvient Marc Maigné, médecin et conseiller de l’agglo à la santé environnementale. Comment peut-on avoir huit fois plus de cet herbicide ici qu’en Beauce ou dans la Somme ? » Les conseiller·ères votent à l’unanimité une demande de moratoire sur le pesticide incriminé transmise au ministre de l’Agriculture. Avant même que ne débarquent les aoûtiens, Marc Fesneau refuse, laissant la plaine d’Aunis à ses inquiétudes.
Les rendements d’abord
À la rentrée, ASE17 publie une tribune en faveur du principe de précaution (1) : « Nous ne pourrons plus dire que nous ne savions pas ». Égrenant les publications scientifiques liant pesticides et santé humaine face aux reculades incessantes de l’État et de l’Union européenne, le texte s’achève par 80 paraphes d’organisations de riverain·es, de médecins mais aussi d’ONG : Green Cross, LPO, la Confédération paysanne, etc. « Nous étions une petite asso de Charente-Maritime, impuissante, il fallait attirer l’attention des médias, rapporte Franck Rinchet-Girollet, avant de sourire. Greenpeace nous a appelés : ‘Envoyez votre chargé de campagne’, on n’en avait pas ! »
« ’Nous ne pourrons plus dire que nous ne savions pas’ : 80 organisations exigent la fin des pesticides de synthèse », Franceinfo, 20 septembre 2022.
Pour gérer le face-à-face entre monde agricole et habitant·es, l’agglomération lance une médiation où les deux populations se rencontrent pour confronter leurs attentes. « Je venais en maman inquiète de la dégradation de son environnement, de la santé de ses gamins, j’avais besoin d’info, confie Élodie, arrivée il y a quinze ans dans le coin, installée à Périgny. J’ai rencontré des agricultrices qui m’ont dit se faire traiter d’assassins, être écrasées par leurs emprunts : ça m’a coupé les pattes ! » Passé les constats, les propositions d’évolution restent modestes. Des représentants de la chambre d’agriculture balayent certaines inquiétudes : « Nous avons des rendements à tenir ; la santé, ça passera après ! »
À l’été 2023, l’agglomération de La Rochelle inaugure les nouveaux tests aux produits de dégradation de pesticides, les métabolites, exigés par l’Anses. Tous les captages ressortent positifs aux métabolites de chlorothalonil, fongicide interdit d’utilisation depuis 2020, classé à l’époque cancérogène potentiel. « Nous avons décidé d’user du principe de précaution et de fermer tous les points de captage testés positifs aux métabolites de chlortoluron, pour basculer sur l’eau de la Charente », assume Guillaume Krabal.
Nous n’avions pas de données comparatives, nous avons décidé de les produire nous-mêmes .
F. Rinchet-Girollet
L’hiver suivant voit l’État freiner le plan Écophyto, instauré en d’autres temps par Michel Barnier, et l’Union européenne abandonne l’objectif de réduction de 50 % des pesticides à l’horizon 2030. Le désarmement public se poursuit. « En tant qu’élue locale, on a le terrain : on travaille avec ceux qui sont déjà là, pose Mathilde Roussel, élue communautaire en charge des questions agricoles. Nous accompagnons les installations en cherchant des terrains et des financements mais aussi des débouchés dans la restauration collective, l’alimentaire… Si on veut faire bouger les champs, il faut faire bouger l’assiette. »
Au moment où les syndicats agricoles pro-pesticides criaient victoire, des parents convergeaient au Bio’Pole de Périgny, salle de conférences du groupe rochelais Léa Nature, spécialisé dans l’alimentation, la diététique, la beauté, l’hygiène, les compléments alimentaires et les produits d’entretien écologiques. « Notre projet était d’alerter les pouvoirs publics, mais nous n’avions pas de données comparatives, nous avons décidé de les produire nous-mêmes », résume le président d’ASE17.
Financé par les dons de fondations et de particuliers, Nos enfants exposés aux toxiques (Neext) attendait 70 volontaires : plus du double s’est présenté. Six centimètres de mèche de cheveux et un kit d’urine collectés après les épandages suffiront à mener cette recherche inédite, dernière pierre du plaidoyer d’une société civile locale qui a appris à se passer de l’État.