Dans la vallée, le champ de l’eau
Dix ans après la mise à l’arrêt du projet de barrage de Sivens, la recherche d’un consensus sur les besoins en eau est toujours en cours. Mais les bords du Tescou ont un peu retrouvé leur éclat. Reportage dans la zone humide du Testet.
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10 ans déjà Génération Rémi Fraisse « La mort de Rémi Fraisse signe la criminalisation des militants écologistes » Véronique, mère de Rémi Fraisse : « L’État n’a pas tiré de leçons de la mort de mon fils »D’un côté, une forêt dense, haute et diversifiée où cohabitent des aulnes, des frênes, des saules, et quelques chênes. Ceux-ci n’ont jamais connu le passage des machines prêtes à les abattre. De l’autre, une horde de peupliers qui se parent doucement des couleurs d’automne. Ceux-ci n’existaient pas il y a quelques années au bord du Tescou, la rivière au cœur de la zone humide.
« La nature a bien repris ses droits ! Mais à cet endroit, les souches des arbres avaient été arrachées et tout avait été rasé. Là, ce sont des repousses de peupliers qu’on ne voulait pas forcément garder car ils assèchent la zone », décrit Françoise Blandel, coprésidente de l’Union protection nature environnement du Tarn (Upnet) qui fait partie du Collectif pour la sauvegarde de la zone humide du Testet.
On demandait un dialogue depuis 2011 sur ces sujets donc le refuser n’aurait pas été cohérent.
C. Pince
Il y a dix ans, ce havre de biodiversité qui abritait près d’une centaine d’espèces protégées était le lieu où devait émerger un barrage, afin d’abreuver les agriculteurs de la vallée du Tescou, à cheval entre le Tarn et le Tarn-et-Garonne. Un réservoir d’un volume d’eau de 1,5 million de m3 sur 42 hectares au pied de la forêt de Sivens, dont 13 hectares en zone humide.
Mais, le 26 octobre 2014, Rémi Fraisse est tué par une grenade offensive de la gendarmerie sur le chantier lors d’une mobilisation contre le projet de barrage. En 2015, la ministre de l’Écologie Ségolène Royal annonce l’abandon définitif du projet et, l’année suivante, celui-ci est déclaré illégal. Les problèmes de gestion d’eau ne se sont pas éteints pour autant.
Pour tenter de sortir de cette impasse, l’État a lancé en 2017 un projet de territoire pour la gestion de l’eau (PTGE) du bassin versant du Tescou afin de réunir des élus locaux, des habitants, des agriculteurs et des associations de défense de l’environnement au sein d’une « instance de co-construction » (ICC). Un dialogue global sur la gestion de l’eau qui aborde aussi bien les problématiques liées à l’assainissement, à l’agriculture ou aux ressources pour d’éventuels incendies. Le Collectif pour la sauvegarde de la zone humide du Testet a accepté d’y participer.
« On demandait un dialogue depuis 2011 sur ces sujets donc le refuser n’aurait pas été cohérent », commente Christian Pince, de l’association Lisle Environnement. « Même si beaucoup de comptes rendus de réunion nous tordent les tripes, car à l’encontre de notre vision des choses, ça ne se fait pas dans notre dos, on peut exprimer nos désaccords et faire des contre-propositions », ajoute une représentante de l’association Nature & Progrès Tarn. Une vigilance citoyenne vitale car le sujet des besoins en eau pour l’irrigation des cultures, notamment de maïs, reste épineux, et l’ombre d’un nouveau projet de barrage n’est jamais loin.
Quels besoins en eau ?
Le bassin versant compte déjà plus de 300 retenues d’eau sur de petits ruisseaux, qui stockent environ 6 millions de m3 dont environ 4,5 millions de m3 pour l’agriculture et le reste pour les activités de loisirs et de soutien d’étiage. Selon le collectif, l’eau est globalement disponible dans la vallée, mais mal répartie. Il s’appuie sur les données des prélèvements d’eau car sur le Tescou, tous les agriculteurs sont équipés de compteurs. « Les prélèvements pour l’irrigation ont atteint au maximum 2,1 millions de m3 d’eau lors de l’épisode de canicule de 2003 et près de 2 millions de m3 lors de la sécheresse de 2022 », note Christian Pince.
La question primordiale reste l’évaluation des besoins en eau de la vallée. Or, pendant les premières années de la concertation, la priorité pour la plupart des participants de l’ICC était de choisir les retenues d’eau à créer, mais sans avoir fait de diagnostic. Une étude sur les besoins a finalement été effectuée en 2020 par la plateforme agroécologique de Toulouse-Auzeville. Une avancée saluée par le collectif du Testet qui la réclamait depuis des années, mais à relativiser, car la méthode d’enquête leur semble trop arbitraire.
Leurs hypothèses de départ pour les calculs ont toujours tendance à gonfler les besoins en eau
« Leurs hypothèses de départ pour les calculs ont toujours tendance à gonfler les besoins en eau. De plus, ils ont fait des typologies à partir de témoignages de 25 fermes prises dans tout le bassin, très diversifiées, puis en ont tiré une extrapolation », décrit Nature & Progrès Tarn. L’association et la Confédération paysanne défendaient une autre méthode : interroger chaque ferme présente le long du Tescou jusqu’à Montauban.
« Cela représente à peine cinquante agriculteurs. Car ceux plus loin ou perchés sur le talus ne vont pas pomper de l’eau dans la rivière. Au final, qui devra payer les investissements ? Il faudra des signatures d’engagement, donc il faudra bien aller interroger directement les premiers concernés. »
« Nous n’avons jamais dit qu’il n’y a pas besoin d’eau ou de retenues pour l’agriculture. Mais si on apporte un grand réservoir d’eau, les agriculteurs ne seront pas incités à engager une transition agroécologique, tient à préciser Françoise Blandel. On essaye de faire comprendre que les zones humides sont importantes dans la gestion de l’eau, que ce ne sont pas des espaces perdus puisqu’on peut y faire paître des animaux, mais aussi que l’agroécologie permet de réduire les besoins en eau. »
Selon l’étude Bag’ages sur le bassin Adour-Garonne, menée pendant cinq ans par l’Inrae et financée par l’Agence de l’eau, un système agroécologique permet « d’accroître les capacités de rétention de l’ordre de 10 à 15 %, comparativement à des sols régulièrement travaillés par un labour ».
Un changement radical de pratiques que porte le collectif, mais qui demande un accompagnement des exploitations agricoles volontaires pour engager cette transition. « En effet, l’agroécologie demande de la technicité, et surtout quelques années pour que les sols et les terres soient prêts à donner des produits donc il faut accompagner la perte de revenus temporaire », souligne avec fermeté Nature & Progrès Tarn.
Résilience écologique
Au bout de sept ans, le consensus n’est toujours pas atteint. Mais on ne parle plus de barrage, seulement de retenue d’eau. Désormais la zone du Testet est officiellement identifiée comme zone humide, après une étude réalisée pendant un an par des cabinets spécialisés prenant en compte la faune, la flore et de nombreux carottages du sol sur tout le périmètre. Sa superficie a même été étendue dans les documents puisque l’enquête publique du barrage en 2012 annonçait 19 hectares, et qu’elle est aujourd’hui estimée à 26,8 hectares.
On nous a signalé le retour des salamandres, du campagnol amphibie, et même de quelques loutres.
F. Blandel
« Sur ce dossier, la méthode a été impeccable, souligne Christian Pince. Il y a eu un cahier des charges établi et présenté à tous les acteurs du projet de territoire, puis le bureau d’études a expliqué sa méthode, nous a demandé notre avis, et la restitution s’est faite avec une balade sur le site pour que tout le monde comprenne bien ce qui définit une zone humide. C’est quasiment de l’éducation populaire ! » Après des années de tranquillité, la végétation a bien recouvert tous les espaces déboisés pour le chantier en 2013 et 2014. Après l’annulation du projet de barrage, l’État a dû respecter l’obligation légale de remise en état du site.
Aujourd’hui, les « déserts de copeaux de bois » qui désespéraient les écologistes ont été remplacés par des arbres. De larges prairies naturelles font la jonction entre la route D132 qui sillonne la zone et le bord du Tescou, qui a retrouvé une partie de son fonctionnement hydrologique. « L’eau avait été déviée du Tescou pour faire les travaux de la digue », indique Françoise Blandel. À certains endroits, les vaches et les tracteurs continuent de le traverser. Un point à soulever aux prochaines réunions. « Avant, c’était un couloir à chauve-souris ! On nous a signalé le retour des salamandres, du campagnol amphibie, et même de quelques loutres, mais il faut continuer d’être vigilants sur la protection de la rivière », ajoute-t-elle.
La forêt alluviale est en pleine résilience écologique mais n’est plus tout à fait la même. Au bord d’un gué naturel orné de pierres, un érable autrefois majestueux tente de se faire sa place. En face, des dizaines de branches plus ou moins grosses jaillissent d’une souche d’aulne recouverte d’une mousse verdoyante. Dans un coin de leur tête, les défenseurs de l’environnement ont une autre envie sur le long terme : et si cette zone humide devenait une réserve naturelle régionale ?
« C’est un lieu unique dans la vallée, et cela permettrait d’assurer un suivi précis et pérenne du retour de la faune et de la flore », glisse Françoise Blandel en désignant les plantes pionnières qu’elle distingue comme les genêts ou la cardère sauvage, surnommée l’abreuvoir à oiseaux. Un terrain d’observation inattendu de la façon dont la nature parvient à reprendre ses droits après un traumatisme.