Abroger la réforme des retraites ? « C’est loin d’être impossible »

À l’Assemblée nationale, le 21 octobre, organisations syndicales et patronales ont débattu et donné leurs pistes pour mieux financer le système français des retraites. Au cœur de ces discussions, la question de l’abrogation de la réforme d’avril 2023 est apparue toujours aussi prégnante.

Pierre Jequier-Zalc  • 22 octobre 2024 abonné·es
Abroger la réforme des retraites ? « C’est loin d’être impossible »
Manifestation contre la réforme des retraites à Paris, le 16 février 2023.
© Lily Chavance

Un an et demi après, la pilule n’est toujours pas passée. Loin de là. Passée en force en avril 2023, la réforme des retraites, qui a reculé l’âge légal de départ à 64 ans, est toujours au cœur des débats politiques. Et elle risque d’y rester encore quelques semaines, voire quelques mois, entre le débat sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) et l’étude – le 31 octobre, puis le 28 novembre – de deux propositions de loi visant à l’abroger, au sein, respectivement, des niches parlementaires du Rassemblement national (RN) et de la France Insoumise (LFI).

Dans ce cadre politique, le président de la commission des finances, Éric Coquerel (LFI) et le rapporteur général du budget, Charles de Courson (Liot), ont décidé d’organiser un colloque sur le financement du système des retraites, où l’ensemble des partenaires sociaux étaient conviés. Une initiative saluée par l’ensemble de l’intersyndicale. « On peut enfin apporter nos propositions de financement, propositions que le gouvernement a toujours refusé d’écouter », ont-ils souligné.

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Pendant près de quatre heures, représentants des organisations syndicales et patronales, président du Conseil d’orientation des retraites (COR), experts économiques et politiques se sont succédé au pupitre. Au cœur des prises de parole, la réforme d’avril 2023, ses premiers effets, et un fil rouge : comment l’abroger sans condamner le système des retraites à la faillite ?

Sans surprise, les avis étaient très divisés, entre organisations syndicales listant, presque à la Prévert, tout un tas de solutions alternatives de financement. Et, de l’autre côté, le Medef et la CPME, le représentant des petites et moyennes entreprises, expliquant que revenir sur les 64 ans serait « largement irresponsable ». Voire que la précédente réforme « n’était pas suffisante ».

Fervent défenseur

Mais avant de rentrer dans le détail, voici comment a démarré cette conférence de financement des retraites aux allures officieuses. Après un mot d’introduction des deux organisateurs (Coquerel et Courson), c’est au tour du nouveau président du COR de s’avancer pour poser les termes du débat. Nouveau, car Gilbert Cette a remplacé fin 2023 Pierre-Louis Bras, qui avait agacé l’exécutif en ne soutenant pas activement la réforme des retraites.

Pour éviter ce genre de mésaventure, c’est donc Gilbert Cette, un des économistes les plus fervents défenseurs d’Emmanuel Macron, qui a été placé à la tête de cette institution stratégique. Et l’économiste n’a pas manqué à sa réputation. Avec une attitude particulièrement professorale – on oserait même dire un brin paternaliste – et un PowerPoint de 80 diapos pour dix minutes de présentation –, Gilbert Cette a dit tout le bien qu’il pensait de cette réforme, nécessaire, selon lui, pour ne pas devenir un pays plus pauvre que la France ne le serait déjà.

On trouve particulièrement étonnant d’avoir aujourd’hui, par la voix de M. Cette, une justification inversée de la réforme.

Y. Ricordeau

Cependant, sa conclusion a été surprenante. En effet, l’économiste a reconnu que la réforme d’avril 2023 a eu « un effet très réduit sur le système des retraites » mais qu’en revanche, son effet est « significatif sur les finances publiques globalement considérées ». De quoi faire rire jaune les organisations syndicales. « On trouve particulièrement étonnant d’avoir aujourd’hui, par la voix de M. Cette, une justification inversée de la réforme, consistant à dire que l’enjeu était de rééquilibrer les comptes publics, pas les systèmes des retraites », tacle Yvan Ricordeau, le numéro 2 de la CFDT.

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Une référence au discours gouvernemental qui, durant toute la mobilisation contre la réforme, assurait que celle-ci était une nécessité absolue pour « sauver le système par répartition ». Mais Gilbert Cette n’est plus là pour entendre l’ironie : aussitôt sa présentation terminée, celui-ci s’est éclipsé.

Choix de société

Ensuite, pendant trois heures, les différents interlocuteurs se sont succédé, avec leur vision et leurs propositions concernant le financement du système par répartition. Toutes présentes, les organisations syndicales ont martelé que revenir aux 62 ans n’avait rien d’impossible. Un discours repris également par les économistes invités.

« Augmenter les cotisations vieillesse de 0,15 point par an pendant une durée de 7 ans permettrait de financer le manque à gagner. Ce n’est pas rien. Mais à aucun moment c’est un ordre de grandeur qui permet d’écarter cette possibilité sans même l’étudier. C’est même loin d’être impossible », souligne Mickaël Zemmour, économiste et enseignant-chercheur à Lyon 2.

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Comme durant la longue mobilisation de l’hiver 2023, ce colloque a permis de rappeler une chose : la manière dont on finance le système des retraites est avant tout un choix de société. « Le financement des retraites est un choix social. Les actifs travaillent, créent de la richesse, et cela permet à d’autres de vivre et de consommer sans travailler. L’expert peut démêler les données mais il n’a rien à dire sur le choix social », glisse Pierre-Louis Bras, ancien président du COR, dont on comprend assez vite, au vu du discours tenu, pourquoi le gouvernement a voulu s’en débarrasser.

Durant toute la matinée, ce sont donc deux choix de société qui ont été défendus. Le premier, par l’ensemble des syndicats, est le retour aux 62 ans. Mais « l’abrogation, ça se finance », souligne Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT. Hausse des salaires, cotisations sur les primes et l’intéressement, égalité salariale, hausse du taux d’emploi des seniors via une politique plus coercitive vis-à-vis des entreprises et une prévention de la pénibilité pour garantir une soutenabilité du travail, augmentation des cotisations vieillesse, etc. Autant de possibilités détaillées par les organisations des salariés qui, avec cet exercice, ont de nouveau mis en avant leur sérieux.

Abroger pour « refermer la fracture sociale et démocratique » 

En face, le patronat défend sans sourciller les 64 ans. « Nous insistons sur le fait que revenir sur la réforme aurait un impact conséquent sur les comptes publics, et donc sur le creusement de notre dette. Il n’y a pas de recettes miracles. Dans une société où la démographie change, il faut travailler plus longtemps », insiste la représentante du Medef. Avec la CPME, les deux organisations patronales évoquent même la nécessité, pour eux, d’intégrer une part de capitalisation dans notre système de retraite

Le système est très complexe et entrave une juste perception des acteurs.

É. Chevée

« Le système est très complexe et entrave une juste perception des acteurs, notamment le lien entre les cotisations sociales et les pensions », assure Éric Chevée, vice-président de la CPME, qui va même plus loin. « Les jeunes sont désabusés de ce système, on le voit bien sur les réseaux sociaux. On espère que ça ne se transformera pas en révolte (sic). » Pour la scientificité de l’affirmation, on repassera.

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Après toutes les interventions, la matinée se termine par des rapides prises de parole des représentants politiques de plusieurs groupes parlementaires, du NFP et de Liot. Tous se félicitent de cette première ébauche de discussions. La balle est désormais dans leur camp pour pousser, dans l’hémicycle, une abrogation financée. Pour définitivement « refermer la fracture sociale et démocratique » – pour reprendre les termes de Boris Vallaud, président du groupe parlementaire PS – encore béante du printemps 2023.

Mais pour cela, il faudra trouver une majorité. Et le RN, propice à crier sur les toits qu’il souhaite abroger la réforme des retraites, risque de ne pas partager les propositions alternatives de financement du NFP. Pas plus tard que ce lundi soir, les troupes de Marine Le Pen ont rejeté, en commission des affaires sociales, un amendement du PS visant à abroger la réforme.

Société
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