Petit manuel d’émancipation maternelle
Dans son essai Maternités rebelles, Judith Duportail raconte et théorise un choix qu’elle a fait à 36 ans. Celui de « faire famille autrement » en devenant mère célibataire de jumeaux, loin des carcans patriarcaux.
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Une carte monofamille ou un statut de parent isolé ? Mères solos : des droits pour sortir de l’ombre À Lyon, les femmes sans toit donnent de la voix « Faire entrer la révolution de la monoparentalité dans nos institutions »L’intime est politique. Ce slogan qui accompagne les luttes féministes depuis les années 1970, Judith Duportail en a fait un mode de vie. Maternités rebelles (Binge Audio Éditions), c’est le récit de son parcours de PMA. C’est aussi et surtout un essai finement documenté sur la maternité des femmes célibataires, ou mères « solas » selon les termes de l’autrice. Les plus conservateurs penseraient qu’un récit de maternité – du choix d’un donneur de sperme au déroulé d’un d’accouchement – flirterait avec l’impudeur. Ils s’y tromperaient. Chaque scène de vie racontée met en lumière un impensé politique. Théorie et pratique, toujours imbriquées.
Le célibat, loin des représentations culturelles sexistes, est un droit aussi précieux que celui d’avorter.
J. Duportail
Chez Judith Duportail, les convictions féministes poussent à prendre des décisions émancipatrices. Comme celle, donc, de se lancer dans un processus de PMA en tant que femme hétérosexuelle célibataire. Le sujet du célibat occupe une place centrale dans Maternités rebelles. « Nos grands-mères ne sont pas restées toute leur vie avec leur mec par amour, mais parce qu’elles n’avaient pas de compte en banque, pas de taff, qu’elles étaient dépendantes. […] Le célibat, loin des représentations culturelles sexistes, est un droit aussi précieux que celui d’avorter », nous précise l’autrice. Un discours peu audible tant la culture populaire place le couple hétéro comme un idéal de vie à atteindre.
Et pour cause : le patriarcat a tout intérêt à alimenter le mythe de la célibataire névrosée et isolée. La peur du célibat et celle de ne jamais avoir d’enfants provoquent l’envie irrépressible de partager son quotidien avec un partenaire, quitte à perdre son indépendance symbolique et matérielle. « Faire un enfant via la PMA quand on est hétéro, cela signifie que sa famille est hors patriarcat. […] Dans la mienne, il n’y aura jamais de patriarche, c’est structurellement impossible », se réjouit Judith Duportail.
Le célibat peut être un choix. Et si les femmes gagnaient en autonomie en choisissant la maternité « sola » ? Toutes les études récentes menées sur la répartition des tâches dans les foyers hétéros (Observatoire des inégalités, Ipsos, Drees, etc.) montrent que la situation n’a pas évolué ces vingt dernières années. Les femmes assument toujours l’immense majorité du travail domestique.
Plus parlante encore, une étude parue aux États-Unis et mise en lumière dans Maternités rebelles montre que les mères célibataires passent moins de temps à effectuer des tâches domestiques, ont plus de temps de sommeil et de détente que les femmes en couple. Illogique ? Pas vraiment. Les femmes en couple sont peu aidées par leur partenaire, et elles ont une personne de plus à charge. Résultat : les femmes sont plus nombreuses que les hommes à choisir de sortir de la conjugalité. Un choix pragmatique.
« La logistique est politique »
Judith Duportail n’idéalise pas la maternité sans partenaire. Elle fait partie des privilégiées qui ont les moyens de passer par un donneur étranger et d’élever seules deux bébés. Elle ne cache pas les difficultés physiques et psychologiques auxquelles elle a été confrontée. Elle parle aussi des contraintes d’organisation. « Faire famille autrement, c’est se confronter sans cesse à des questions pratiques. La logistique est politique. Face à l’hétéronormativité du monde, l’anticipation et la solidarité sont nos armes », écrit l’autrice. La solidarité, elle l’a trouvée sur des groupes Facebook dédiés à la maternité et auprès de proches qui lui prêtent main-forte.
Ce n’est pas un·e partenaire dont nous avons besoin : ce sont des droits, des aides, de l’accompagnement.
J. Deportail
Dans les cultures occidentales, la société est organisée autour des familles nucléaires, tournée vers l’intérieur du foyer, créant ainsi une dépendance au sein du couple. La maternité sola ouvre la famille vers l’extérieur. Mère et enfants entretiennent des relations fortes en dehors du foyer. Une éducation qui prend des allures de communauté. Loin de l’image de la femme isolée, célibataire malgré elle, Judith Duportail dessine une maternité joyeuse, accompagnée par un « village » de proches, rythmée par les découvertes.
Quand nous l’interrogeons sur la solitude, Judith Duportail nous répond honnêtement : « L’isolement du post-partum touche toutes les mères : sola, en couple, hétéro, bi, asexuelle… Ce n’est pas un·e partenaire dont nous avons besoin : ce sont des droits, des aides, de l’accompagnement. Nous avons besoin de politiques. » Maternités rebelles porte bien son nom : celui d’une ode à la désobéissance, d’une rébellion face à la domination patriarcale et aux normes de la famille nucléaire.