Chez ID Logistics, un « plan social déguisé » après le départ d’Amazon
Depuis plus de deux semaines, les salariés d’un entrepôt marseillais d’une filiale d’ID Logistics sont en grève. En cause, la fermeture de leur lieu de travail et l’imposition par l’employeur d’une mobilité à plus de 100 kilomètres, sous peine de licenciement pour faute grave.
Les petites mains de l’e-commerce. Nichées dans un entrepôt du quinzième arrondissement de Marseille, elles préparent, à longueur de journée, des colis qui seront livrés dans toute l’agglomération et ses alentours. Près de 15 000 colis par jour, pour le compte d’Amazon et de Zara. Derrière ce chiffre, une quarantaine de salariés qui travaillent pour une filiale d’ID Logistics, ID Logistics Selective 3 (cette précision est importante pour la suite).
Le 10 septembre dernier, les salariés de ce site apprennent que leur entrepôt va fermer d’ici à la fin octobre. La justification de cette fermeture ? La rupture du contrat de prestation liant Amazon et ID Logistics sur ce site. Une nouvelle inattendue, qui arrive donc à peine un mois avant la fermeture définitive annoncée du site.
Une première violence pour les salariés qui se voient, rapidement, soumettre une proposition par la direction. Une mutation de force sur le site de Bollène, dans le Vaucluse, à plus de 130 kilomètres de leur lieu de travail actuel. En cas de refus, la direction notifie aux salariés qu’ils seront licenciés pour faute grave – et donc sans aucune indemnité. Une proposition aux airs, à peine camouflés, de chantage. « Rien n’a été respecté dans cette procédure, souffle Faiçal Chafai, secrétaire général de la CGT ID Logistics, normalement on a un CSE bien en amont, ce qui permet de trouver des solutions qui conviennent à tout le monde. Là, il n’y a rien eu de tout ça. »
Selon nos calculs, aller à Bollène tous les jours nous coûterait près de 1 000 euros par mois.
A. Regnault
Une proposition inacceptable pour les 47 salariés du site qui décident de se mettre en grève. « Il n’y a aucune aide pour les transports, rien. Vous imaginez ? Selon nos calculs, aller à Bollène tous les jours nous coûterait près de 1 000 euros par mois. Mais on est payé au Smic. Ça n’a aucun sens ! », s’indigne Alexandre Regnault, salarié du site depuis plus de deux ans et en grève depuis le 15 octobre.
La clause de mobilité en question
Pourtant, la direction ne bronche pas. Elle serait, selon elle, dans la légalité la plus totale. En effet, les contrats de travail de ses employés contiennent une « clause de mobilité » dans toute la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (Paca). « Le salarié accepte par avance tout changement de lieu de travail nécessité par l’intérêt du fonctionnement de l’entreprise », peut-on ainsi lire dans les contrats de travail. Sauf que selon l’inspection du travail, consultée par les salariés, cette clause ne s’appliquerait pas en l’état pour le site de Bollène.
En effet, ce dernier n’est pas un entrepôt de la filiale ID Logistics Selective 3 mais bien d’ID Logistics – voilà pourquoi ce détail était important. « Or, il est de jurisprudence constante qu’une clause par laquelle un salarié accepte par avance sa mutation dans une autre société, fût-elle du même groupe, est nulle », écrit l’inspectrice du travail dans un mail que Politis a consulté. Autrement dit, la clause de mobilité ne peut pas s’appliquer entre ces deux sites, pour la simple et bonne raison qu’ils n’appartiennent pas à la même société.
C’est clairement une stratégie pour fermer le site sans faire de plan de sauvegarde de l’emploi.
M. Lanté
Une nuance assez évidente qui fait dire à Mathilde Lanté, l’avocate des grévistes, que l’entreprise effectue tout simplement un « plan de licenciements déguisé ». « C’est clairement une stratégie pour fermer le site sans faire de PSE [plan de sauvegarde de l’emploi, N.D.L.R.], ce qui lui reviendrait plus cher », assure-t-elle.
« Nous on veut simplement que l’entreprise reconnaisse que ce sont des licenciements économiques pour qu’on puisse toucher nos droits. Ou qu’on puisse négocier nos conditions de reclassement », assure Alexandre Regnault qui se dit « très ouvert à la discussion ». « On veut toujours trouver des solutions, négocier. Mais on a aucun contact ou presque avec la direction. On attend son appel », confie le salarié.
Depuis le début de la grève, il y a deux semaines, la direction a simplement proposé un reclassement pour huit salariés – sur plus de 40 – à Miramas, à une soixantaine de kilomètres. « Globalement, ça n’intéresse personne ou presque, ça reste loin et sans aucune aide », poursuit Alexandre Regnault. « Ça ne sous satisfait pas, on veut conserver la totalité des emplois, abonde Faiçal Chafai, ou, si ce n’est pas le cas, qu’un PSE soit fait pour que les salariés touchent ce qui leur est dû. »
« Un CSE fantôme »
Le dialogue avec la direction est rendu encore plus difficile par l’absence de représentants du personnel connus dans l’entreprise, ainsi que de la section syndicale. Si l’entreprise assure qu’il existe bel et bien un CSE, personne ne connaît les représentants qui y siègent. Ainsi, Faiçal Chafai siège au CSE d’ID Logistics, mais pas de la filiale. « Je n’ai même pas le droit d’accès au site », explique-t-il.
Plus étrange encore, aucun procès-verbal de CSE n’a été fourni aux salariés depuis plus de deux ans. Le nom d’une personne est bien affiché comme siégeant au CSE, mais personne ne le connaît. « On a demandé son contact, et la direction nous a envoyé des adresses mails qui ne fonctionnaient pas », raconte Alexandre Regnault. Finalement, l’avocate des salariés a réussi, en début de semaine, à avoir quelqu’un au téléphone, sans que celui-ci ne sache répondre à ses questions. « On se demande si ce CSE n’est pas fantôme », souffle un salarié du site.
C’est un lock-out, tout simplement. Une stratégie patronale pour casser la grève.
M. Lanté
Avec l’absence de section syndicale présente sur le site, c’est une représentante de la CFDT et une autre de la CGT d’ID Logistics qui ont organisé le mouvement social, qui dure depuis plus de deux semaines et qui, au fil des jours et des silences de la direction, se durcit. Le site a, par exemple, été bloqué pendant plusieurs jours.
Les salariés ont également reçu le soutien de deux députés La France Insoumise, Sébastien Delogu et Manuel Bompard. Dans un communiqué, ils s’indignent de cette « décision brutale [qui] s’apparente à un plan massif pour licencier à moindre coût des salariés déjà précaires ». En réponse, la direction a embauché des intérimaires pour essayer de continuer à faire tourner le site. Selon les salariés, celui-ci aurait définitivement été fermé depuis vendredi, soit cinq jours avant la date annoncée. « C’est un lock-out, tout simplement. Une stratégie patronale pour casser la grève », dénonce Mathilde Lanté.
Saisine des prud’hommes
Interrogé sur tous ces points par Politis, ID Logistics n’a pas répondu à nos questions à l’heure de la publication de cet article. Ce mardi 29 octobre matin, un rassemblement est organisé devant le siège social d’ID Logistics à Orgon (13). À l’issue de cette mobilisation la direction a reçu, selon nos informations, une délégation de salariés. Pour la première fois depuis le début du conflit, elle s’est montrée ouverte à la négociation quant à de meilleures conditions de reclassement. En revanche, selon les salariés, elle a continué à refuser l’hypothèse des licenciements économiques.
ID Logistics a promis de revenir rapidement vers les salariés avec des propositions. D’ici là, ceux-ci continuent leur mouvement social caractéristique du prolétariat contemporain. Car entre les lignes, les salariés décrivent des conditions de travail très dures, dans un entrepôt vétuste, où il fait « une chaleur à crever » l’été, et « un froid à en mourir » l’hiver. Des inondations dès qu’il pleut et un turnover massif, notamment de jeunes travailleurs. Mais cette fois, ces derniers ont décidé de s’opposer à une nouvelle maltraitance. En cas d’échec des négociations, Mathilde Lanté annonce à Politis qu’elle lancera une procédure pour tous les salariés aux prud’hommes.