Une carte monofamille ou un statut de parent isolé ?
Laissées-pour-compte par les pouvoirs publics, 25 % de familles, monoparentales, sont vouées à la précarité. 40,5 % des enfants issus de ces foyers grandissent en dessous du seuil de pauvreté.
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Mères solos : des droits pour sortir de l’ombre À Lyon, les femmes sans toit donnent de la voix Petit manuel d’émancipation maternelle « Faire entrer la révolution de la monoparentalité dans nos institutions »Monsieur le sénateur Xavier Iacovelli (Renaissance), en introduction au rapport paru ce lundi 30 septembre, invoque « l’intérêt supérieur de l’enfant ». Si nous ne pouvons que valider le constat établi par la commission qui met le doigt sur les inégalités sociales femmes-hommes-enfants, nous ne validons pas le fait que le présent rapport n’envisage à aucun moment une nécessaire refonte de notre système socio-fiscal devenu obsolète.
Il n’est pas tant question d’envisager pour les familles monoparentales dans le besoin « des avantages », pas plus qu’un « soutien », ou encore « une approche plus attentionnée » qui serait le fruit de « négociations collectives », comme évoqué dans le rapport, mais bien de faire évoluer le « cadre des politiques publiques ». C’est ce que recommande la mission flash monoparentalité menée par le Sénat, ainsi que la coalition transpartisane de députés réunis autour de la proposition de création d’un statut de parent isolé afin de garantir pour ces familles des droits constitutionnels, en termes d’accès à l’emploi, au logement, et à une vie décente.
Le rapport liste ainsi 5 priorités, qui font l’objet de 41 propositions. Le premier champ d’action est consacré à la justice et à l’encadrement de la séparation. La perte de revenu après séparation est immédiate : pensions alimentaires insuffisantes (190 € par mois en moyenne, pensions alimentaires impayées dans 40 % des cas)… Il est plus que temps de considérer avant tout les besoins de l’enfant dans le calcul de toute aide, ressource, ou de la pension alimentaire.
La pension doit être défiscalisée pour le parent gardien qui la reçoit, soit dans 83 % des cas des mères.
Celles-ci doivent être indexées à l’inflation et réévaluées au regard du coût moyen de l’entretien et l’éducation de l’enfant, soit 750 € par mois en moyenne (étude de 2016) (1). Il faudrait également remettre en question le dispositif de l’Aripa (2) au profit d’un prélèvement à la source de ladite pension, comme suggéré par le Sénat (3). Enfin la pension doit être défiscalisée pour le parent gardien qui la reçoit, soit dans 83 % des cas des mères. C’est une question genrée et c’est une question d’égalité républicaine.
Rapport de la Drees publié par le ministère de la Santé et des Solidarités, n° 62, 2016, qui évalue à 9 000 euros par an le coût moyen d’un enfant (7 500 euros pour un enfant de moins de 14 ans et 12 500 euros pour un enfant de 15 à 20 ans).
Agence de recouvrement et d’intermédiation des pensions alimentaires.
Commission flash monoparentalité du Sénat, recommandation n° 6.
Ces injustices socio-fiscales doivent être corrigées. Sans cela, le déclassement social et la précarisation sont inéluctables pour les familles monoparentales. Elles sont désignées comme étant les plus à risque avec les retraités, selon le dernier rapport de l’Ires.
L’accès à l’emploi et à une vie décente est une priorité, puisque aujourd’hui 55 % des familles monoparentales sont pauvres. 1/3 des mères isolées sont sans emploi, 42 % d’entre elles sont en temps partiel subi, 32 % en horaires changeants et 20 % d’entre elles en CDD, faute de mode de garde. La prolongation du complément du libre choix de mode de garde aux 12 ans de l’enfant est attendue en premier lieu (4), mais ne faudrait-il pas là encore réparer les injustices en se dotant également d’un cadre national qui garantirait systématiquement la prise en compte du statut de parent isolé dans les conditions de travail (congés maternité, congé enfant malade, horaires…) ? De simples « négociations collectives » ne sauraient garantir un cadre égalitaire.
Cette mesure faisait partie des mesures figurant dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale de 2023, mais elle tarde à entrer en vigueur.
Le 3e volet abordé dans ce rapport est celui du logement. Ce poste budgétaire en effet absorbe tout. À tel point que 29,2 % des familles monoparentales sont en situation de privation matérielle. 21 % d’entre elles sont en situation de mal-logement. Il s’agit une fois encore d’établir un cadre pour assurer l’accès au logement des familles monoparentales, et non de déléguer auprès de prestataires privés qui redoublent d’imagination (coliving, cohabitation, etc.) mais n’offrent aucune garantie de bouclier tarifaire. Par ailleurs, la question de l’hébergement d’urgence, où les familles monoparentales sont surreprésentées, doit être repensée, ce en soutenant le coût budgétaire d’une politique publique ambitieuse. Car c’est un enjeu majeur dans la lutte contre les violences conjugales.
Qu’en est-il de l’accès à la culture, à l’éducation et aux loisirs ? À quand une politique publique efficiente pour contrecarrer cette désaffiliation sociale dont les familles monoparentales sont victimes ? La ligne budgétaire culture et loisir est inexistante pour ces familles. Cela a de facto une incidence sur le parcours éducatif des enfants, qui sont plus souvent en situation d’échec scolaire. Allons-nous donc continuer à reproduire les inégalités sociales, ou bien les corriger ?
Les familles monoparentales cristallisent les manques et inégalités.
Enfin, le traitement de la question du handicap est un véritable scandale. L’accès à la santé des familles monoparentales est plus que problématique, sachant qu’elles sont là encore parmi les catégories les plus à risque selon une étude américaine qui montre que les mères isolées ont plus de risque de souffrir d’AVC ou de problèmes cardiovasculaires (5). Mais sont aussi fragilisés les enfants. Selon la dernière étude du 9 janvier 2024 publiée par Santé publique France, les enfants vivant sous le seuil de pauvreté sont 3 fois plus souvent hospitalisés pour des problèmes psychiatriques. Les structures d’accompagnement étant saturées, les familles sont livrées à elles-mêmes.
Étude publiée en 2015 par le Journal of Epidemiology & Community Health.
Les familles monoparentales cristallisent ainsi les manques et inégalités. Nous considérons que ce n’est pas de prise en charge dont elles ont besoin, mais de réparations à travers la reconnaissance d’un statut qui lèverait les injustices. Nous appelons donc toutes les associations, collectifs, élu·es, les familles monoparentales, la société civile, et toutes les familles, à s’emparer de ces enjeux politiques, sociétaux et économiques largement sous-évalués dans le présent rapport, et à soutenir la création non pas d’une « carte monofamille », mais d’un statut de parent isolé.
Signataires
- La Collective des mères isolées
- L’Association des familles monoparentales
- La Fédération syndicale des familles monoparentales
- Noémie Khenkine-Sonigo, fondatrice de Team’Parents
- Le PA.F, collectif pour une parentalité féministe
- Parents et Féministes
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