« Saison toxique pour les fœtus », sombre chronique

Vera Bogdanova propose une photographie de la Russie à travers une famille modelée par une société viciée.

Lola Dubois-Carmes  • 2 octobre 2024 abonné·es
« Saison toxique pour les fœtus », sombre chronique
© Aleksandr Popov / Unsplash

Saison toxique pour les fœtus / Véra Bogdanova / Traduit du russe par Laurence Foulon / Actes Sud, 352 pages, 23 euros.

Inventez une histoire d’amour cachée entre deux cousins adolescents, ajoutez comme paysage la Russie du début des années 2000 – secouée par les attentats –, puis imbibez le tout d’alcool : vous obtiendrez une chronique familiale aussi déroutante que captivante. Vera Bogdanova esquisse la jeunesse de Jénia, une jeune fille dénigrée par son père mais pleine d’espoirs quant à l’avenir, qu’elle imagine effervescent et glamour.

De son côté, son cousin, Ilia, rêve de fuir un beau-père violent et une mère aigrie, puis de réussir sa vie coûte que coûte. Entre les deux, la complicité est immédiate. Au fil de scènes prises comme des photographies année après année, la tension amoureuse devient évidente et la clandestinité s’amorce. Viennent ensuite la révélation puis l’ostracisme familial.

Jénia n’est plus la bienvenue, et la honte de cette relation interdite pèse plus lourd sur ses épaules que sur celles de son cousin. Elle est loin d’être la seule dans le roman à subir le sexisme profond qui gangrène toute la société. Sa tante, la mère d’Ilia, enchaîne les hommes extrêmement violents tandis que sa cousine, sensiblement plus jeune qu’elle, réfrène son attirance envers les femmes. Cette dernière se retrouve finalement à se débattre pour sortir d’une histoire au moins aussi brutale que celle que sa mère entretenait avec son beau-père. Les insultes et les coups pleuvent et l’alcool ponctue chacun de ces épisodes.

Le racisme y est patent, la peur de se retrouver dans un attentat omniprésente.

Aucun des personnages féminins n’est pour autant stéréotypé, chacun bénéficie d’une intériorité complexe. C’est avec une écriture descriptive, presque froide, que l’autrice brosse ces tableaux âpres et crus. Des formules chimiques toxiques marquent le début de chaque grande partie du livre, comme pour signifier le type de « toxicité » à l’œuvre, façon naturaliste. À travers cette saga familiale, Vera Bogdanova offre aussi un regard rare sur la ­Russie contemporaine. Le racisme y est patent, la peur de se retrouver dans un attentat omniprésente. Pour les personnages, réussir signifie partir, mais peu tentent l’aventure. Du présent exsangue et étouffant éclôt rarement l’avenir longtemps rêvé.

Littérature
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