La Confédération paysanne, au four et au moulin
L’appel à la mobilisation nationale du 18 novembre lancé par la FNSEA contre le traité UE/Mercosur laisse l’impression d’une unité syndicale, qui n’est que de façade. La Confédération paysanne tente de tirer son épingle du jeu, par ses positionnements et ses actions.
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Une proposition de loi surfe sur la colère agricole pour attaquer violemment l’environnement Mercosur, l’arbre qui cache la forêt« MERCOSUR : Confédération paysanne, 25 ans de combat contre libre-échange. FNSEA = 25 ans de trahison ! » La bâche noire taguée et déployée devant le McDonald’s de Millau, en Aveyron, le 13 novembre dernier, résume à elle seule la colère paysanne contre l’accord de libre-échange qui pourrait être signé prochainement entre l’Union européenne et le Mercosur, cet ensemble de cinq de pays d’Amérique du Sud (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay, Bolivie).
Elle inscrit également cette lutte dans l’histoire de la Confédération paysanne en faisant ressurgir le souvenir du démontage du McDonald’s de Millau en 1999, érigé comme symbole de la mondialisation de la malbouffe.
« Même si ce n’est pas une lutte nouvelle pour nous, le Mercosur est la mère des batailles parce que ce serait le plus gros accord de libre-échange jamais signé par l’Union européenne en termes de volumes et de montants. Et parce que la monnaie d’échange est clairement l’agriculture, détaille Laurence Marandola, porte-parole nationale de la Confédération paysanne. Ce sera destructeur car ce n’est rien d’autre qu’une mise en concurrence accrue en important et exportant des produits agricoles et de l’alimentation sans barrière tarifaire douanière, sans pouvoir assurer que les limites maximales de résidus de pesticides soient les mêmes sur les produits. »
Droite dans ses bottes
La Confédération paysanne reste droite dans ses bottes depuis sa naissance en 1987 : elle refuse tous les traités de libre-échange et met la question du revenu des paysans en priorité.
« Leur ligne de fond est la solidarité avec les paysans du monde entier, en l’occurrence ici d’Amérique latine, et le refus d’un libre-échange favorable aux grandes puissances agro-industrielles, pour des raisons sociales et environnementales. C’est visible dès le début des années 1990, notamment lors d’une manifestation à Genève contre la négociation Gatt [Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, qui deviendra l’Organisation mondiale du commerce, N.D.L.R.], avec des leaders paysans d’Inde, du Japon, du Canada. Cela coïncide avec la naissance de la Via Campesina, et les prémices de l’altermondialisme », raconte Jean-Philippe Martin, agrégé et docteur en histoire spécialiste du syndicalisme agricole.
Nous voulons mettre la FNSEA face à ses contradictions.
M.E. Taillecours
En totale indépendance de l’appel à la mobilisation nationale lancé par la FNSEA et les Jeunes Agriculteurs (JA) pour le 18 novembre, la Confédération paysanne s’est mobilisée dès les 13 et 14 novembre devant le ministère de l’Économie et des Finances à Paris avec le collectif Stop Ceta-Mercosur, et à Bruxelles avec la Coordination européenne Via Campesina. Et répète inlassablement le même message depuis plus de trente ans.
« Nous demandons clairement l’abandon total du traité UE-Mercosur et de tous les traités de libre-échange. Et nous voulons mettre la FNSEA face à ses contradictions sur ce sujet car il faut rappeler que la Copa-Cogeca, le syndicat européen dont elle est membre, a signé tous les autres accords de libre-échange », s’indigne Marie-Eve Taillecours, éleveuse de brebis et co porte-parole de la Confédération paysanne du Morbihan.
« Marquer les esprits sans faire du blocage »
En effet, le consensus n’est que de façade : le président de la FNSEA, Arnaud Rousseau a bien souligné que c’est l’accord « en l’état » qui est rejeté. Une nouvelle version avec des clauses-miroir permettant de respecter les normes européennes pourrait leur faire changer d’avis.
Dans le Morbihan, le syndicat minoritaire a également appelé à se mobiliser le 18 novembre pour coller au premier jour du sommet du G20 à Rio de Janeiro au Brésil, et ne pas laisser toute l’attention médiatique à la FNSEA. Pour « marquer les esprits sans faire de blocage », une trentaine d’agriculteurs se sont rassemblés devant une concession automobile de Vannes avec une vache de race normande, pour symboliser les marchés de voitures et de viande bovine qui seront autorisés par le traité avec le Mercosur.
« Ces traités sont sûrement bons pour des gros comme Lactalis, mais pas pour la trésorerie des fermes. Ça ne ruisselle jamais sur les paysans ! L’unité syndicale n’existe pas. C’est hypocrite et opportuniste, à deux mois des élections professionnelles », ajoute l’éleveuse, tête de liste pour la Confédération paysanne dans son département. Le 31 janvier 2025, les agriculteurs seront invités à voter pour élire leurs représentants aux chambres d’agriculture pour six ans. Un enjeu crucial pour tous les syndicats qui veulent imposer leur vision de l’agriculture et des territoires, sachant que la FNSEA-JA était majoritaire en 2019, devant la Coordination rurale puis la Confédération paysanne.
On essaye de montrer par des actions symboliques les vrais responsables de la crise.
L. Marandola
Pour tirer son épingle du jeu, la Confédération paysanne s’attaque aux causes profondes de la crise agricole, car cela se traduit concrètement par la disparition des paysans : le manque de revenus des prix qui ne couvrent pas les coûts de production, la mise en concurrence permanente par l’ultra libéralisation, les accords de libre-échange, l’inadaptation des politiques sanitaires, l’inadaptation des politiques pour aider à faire face au changement climatique ou l’accaparement du foncier. La stratégie d’action repose sur cette vision globale.
« Plutôt que de bloquer des infrastructures publiques, même si ça nous arrive ponctuellement, on essaye de montrer par des actions symboliques les vrais responsables de la crise : les décideurs politiques et les lobbies de l’agro-industrie, poussés par des responsables syndicaux de la FNSEA », détaille Laurence Marandola.
En octobre, la réaction a été quasi immédiate après l’annonce du groupe Lactalis de baisser de 9 % sa collecte de lait en France, en déposant des chrysanthèmes devant le centre de collecte de lait de Xertigny, dans les Vosges, ou en manifestant sur le site de l’usine de Retiers, en Ille-et-Vilaine. En février dernier, plus de 200 paysan·nes avaient occupé pendant 7 heures le siège social historique de Lactalis à Laval pour exiger des prix rémunérateurs pour les éleveur·euses.
L’autre habitude de la Confédération paysanne est d’organiser des actions en ciblant des thématiques liées au territoire en question. Le 5 novembre, une mobilisation a eu lieu devant l’agence Groupama de Morlaix pour dénoncer l’inadaptation du système assurantiel face aux aléas climatiques et soutenir les exploitations laitières et maraîchères du Finistère touchées par la tempête Ciaran, un an auparavant.
Accaparement des terres
L’autre grande thématique du moment est l’accaparement des terres agricoles par des unités de méthanisation ou de parcs photovoltaïques. En Corrèze, une délégation de paysans a interrompu une session de la chambre d’agriculture à Tulle pour dénoncer les projets d’agrivoltaïsme portés par la SAS La Foncière rurale de la Corrèze. En Alsace, une action se prépare pour le 23 novembre contre un projet de parc solaire de 27 hectares entre Weinbourg et Ingwiller.
Les messages de la Confédération paysanne ont du mal à passer auprès du grand public parce qu’ils obligent à penser la société de façon globale.
É. Berthet
« Cette mobilisation vise à défendre un juste revenu paysan et une rémunération liée à leur production et non pour une production d’énergie qui accapare les terres, change l’accès au foncier, financiarise l’agriculture, dénature notre métier », explique Églantine Berthet, maraîchère et porte-parole régionale. Une mobilisation qui se veut festive, symbolique et pédagogique avec des tables rondes pour démêler le vrai du faux, notamment sur l’agrivoltaïsme, et pour se démarquer des discours de la FNSEA.
« C’est vrai que les messages de la Confédération paysanne ont du mal à passer auprès du grand public parce qu’ils obligent à penser la société de façon globale mais cela reflète simplement la réalité complexe du monde. De même, tous les syndicats agricoles dénoncent l’éloignement entre le monde agricole et la société civile, mais pas de la même façon, complète-t-elle. Nous, on dénonce le fait qu’on ne soit pas respectés dans l’accès aux droits en ruralité, alors que la FSEA-JA développe plutôt son discours contre l’agribashing (1). »
Critique de l’agriculture intensive.
Un discours alternatif qui tente de se frayer un chemin dans les médias et qui serait nécessaire pour ne laisser personne sur le carreau. « On voit des gens en colère, mais on remarque aussi les silencieux, les désespérés qui ont perdu la moitié de leurs troupeaux à cause de la fièvre catarrhale ovine, qui ont été inondés et qui n’auront pas d’aide. Ceux-là n’iront pas manifester car ils n’ont ni l’énergie, ni les moyens financiers de s’absenter de leurs fermes ! Et cela nous inquiète davantage que les combats de coqs entre syndicats agricoles qui n’apportent pas de solutions réelles et durables aux paysans », conclut Laurence Marandola.