Défaite de Kamala Harris : secousses dans la gauche française
L’échec de la candidate démocrate ravive les divisions stratégiques et programmatiques entre les composantes du Nouveau Front populaire sur la manière de combattre l’extrême droite.
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Pourquoi les Démocrates ont perdu l’élection présidentielle Y a-t-il une gauche aux États-unis ? Post-vérité : comment Trump irradie en France Après la victoire de Trump, en Ukraine, l’angoisse de l’incertitudeLa défaite de Kamala Harris face à Donald Trump ressemble peut-être à une prédiction. C’est en tout cas ce que redoute la gauche française qui cauchemarde son naufrage dans un second tour face à la triple candidate à la présidentielle du Rassemblement national (RN), Marine Le Pen. Comment ne pas prendre le même chemin que la candidate malheureuse ? La question, vertigineuse, fait renaître les fractures idéologiques latentes à gauche. Quel projet porter ? De quoi parler ? Quels sujets politiser ?
Au sein de La France insoumise (LFI), on parie depuis la naissance du mouvement sur l’effritement du bloc central et l’affrontement entre un bloc de gauche de rupture et l’extrême droite au second tour de la prochaine présidentielle. La défaite de Kamala Harris, que les insoumis décrivent comme une centriste plus qu’autre chose, conforte la stratégie du camp de Jean-Luc Mélenchon.
Selon le triple candidat à la présidentielle, seule une gauche radicale et radicalement opposée au libéralisme peut emporter une majorité de Français. « 1) On ne bat pas l’extrême droite réactionnaire sans un projet alternatif clair. 2) On ne mobilise pas le peuple sur une ligne néolibérale et sans ruptures sociales et géopolitiques », écrit sur X le coordinateur de LFI, Manuel Bompard.
Pour étayer leur argumentaire, les insoumis relèvent la « mollesse » de Kamala Harris sur les questions économiques. Pendant sa courte campagne, la candidate démocrate a défendu une vision du monde faite d’« opportunités », en soutenant fiscalement les jeunes entrepreneurs et le « small business » avec une aide aux start-up jusqu’à 50 000 dollars ou des baisses d’impôts sur les petites entreprises. Un libéralisme assumé, en somme.
Il faut assumer notre volonté de rompre avec le système et de porter une alternative progressiste.
S. Véziès
« Sauf qu’aujourd’hui, dans une grande partie des classes populaires et moyennes, on assiste à une remise en cause profonde des conséquences de la mondialisation. Et le parti démocrate est modéré sur cette question-là, étant donné qu’il a été moteur dans l’émergence de cette nouvelle économie, qui a certes entraîné un enrichissement colossal mais qui ne bénéficie pas à une grande partie de la population », explique Romain Huret, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), spécialiste de l’histoire des États-Unis et notamment des inégalités économiques et sociales.
Rompre avec le système et assumer une alternative progressiste
La défaite de Kamala Harris « prouve qu’on ne combat pas l’extrême droite en prônant une ligne d’accompagnement, une ligne néolibérale qui a créé le chaos dans lequel on se trouve. Il faut donc assumer notre volonté de rompre avec le système et de porter une alternative progressiste », affirme Séverine Véziès, membre de la coordination des espaces du mouvement insoumis.
Un diagnostic partagé par Stefano Palombarini, maître de conférences à l’université Paris-8 Vincennes-Saint-Denis : « À l’intérieur du paradigme néolibéral, il a existé un espace pour une gauche qui défendait des réformes libérales comme une possible source de progrès social. C’était la gauche de Clinton, Schröder, Blair et Hollande. Cette gauche est en crise partout dans le monde : après quarante-cinq ans de libéralisme, cette ligne politique n’a créé que des déceptions, et les classes populaires ont donc cherché d’autres perspectives. Aujourd’hui, une gauche accrochée à ce paradigme ne risque pas de trouver un écho majoritaire. » La rupture ou la défaite assurée.
Cette vision est partagée par la composante écolo du NFP. En observant le camp progressiste en « panne de projet », Benjamin Lucas, l’un des porte-parole du groupe Écologiste et social à l’Assemblée, appelle la gauche « à répondre aux angoisses du quotidien des classes populaires et des classes moyennes, à cette anxiété du déclassement qui frappe tant de nos sociétés, à cette indécence des injustices et des inégalités. Pour cela, il faudra assumer des ruptures avec un modèle néolibéral qui va dans le mur et menace jusqu’à la survie de l’humanité. »
Montée du populisme
Une analyse que le pôle social-démocrate, en revanche, est logiquement plus rétif à effectuer. Voyant même, dans la communication insoumise, une tentative d’instrumentaliser les résultats de l’élection outre-Atlantique. « Cette élection est avant tout un symptôme d’une montée du populisme et du nationalisme à l’échelle mondiale », estime Dieynaba Diop, députée des Yvelines et porte-parole du Parti socialiste (PS). Les sociaux-démocrates préfèrent appeler à une réponse européenne que remettre en question leur logiciel.
La première des choses que nous devons faire, c’est construire cette Europe puissante.
P. Lécorché
« Transposer le scrutin américain à notre situation française, utiliser cette élection comme prétexte pour acter des divisions, ce n’est pas la première des choses à faire, critique Pascaline Lécorché, secrétaire générale de Place publique, le micro-parti de Raphaël Glucksmann. La première des choses que nous devons faire, c’est construire cette Europe puissante, une puissance écologique et européenne, dont on a beaucoup parlé pendant les européennes. »
Mais se réfugier derrière l’Europe comme unique solution, c’est oublier que la construction européenne, justement, a participé activement à ce mythe d’une « mondialisation heureuse », pour reprendre les termes de Romain Huret. Et que l’Union européenne a aussi entraîné dumping social et politique austéritaire, à la source de l’augmentation croissante des inégalités.
« Ce que nous montre cette élection, c’est qu’une réflexion – voire une rupture – sur la question de la mondialisation et une meilleure prise en compte des classes ouvrières sont essentielles pour les gauches françaises et européennes », analyse le chercheur, qui rappelle tout de même « qu’en France, contrairement aux États-Unis, le vote ouvrier ne fait pas l’élection ».
Le parti démocrate n’a pas su assurer sa propre base électorale, les classes populaires se sont détournées du vote Harris.
D. Boutiflat
Une réflexion entamée partiellement, même au sein du Parti socialiste. Ainsi, Dylan Boutiflat, chargé des questions internationales au PS, voit dans le résultat de cette élection un « signal » : « Ce résultat nous dit d’entendre l’appréhension de nos concitoyens. Le parti démocrate n’a pas su assurer sa propre base électorale, les classes populaires se sont détournées du vote Harris. Il faut donc inverser notre réflexion, parler du prix des courses, du prix de l’abonnement au bus et au métro, de la sécurité, il faut s’adresser à ceux qui ont peur de la désindustrialisation, de la perte d’emploi. Si on refuse de s’ancrer dans le réel, notre discours humaniste et progressiste devient inaudible et ne sera pas capable de battre la poussée conservatrice. » Le signal sera-t-il entendu ?