Le Parlement ouvre ses portes à l’OID, un laboratoire d’idées anti-immigration en vogue

Le 20 et 21 novembre 2024, l’Observatoire de l’immigration et de la démographie (OID) a organisé des conférences, respectivement à l’Assemblée nationale et au Sénat. Ce think tank dispose d’une couverture médiatique et politique croissante, qui inquiète les scientifiques.

Élise Leclercq  et  Thomas Lefèvre  • 29 novembre 2024 abonné·es
Le Parlement ouvre ses portes à l’OID, un laboratoire d’idées anti-immigration en vogue
© The Climate reality project

Dans la salle René Monory du Sénat, une conférence intitulée « L’Europe et les États-Unis face à la crise de l’asile » était organisée le jeudi 21 novembre par l’Observatoire de l’immigration et de la démographie (OID) et le Wilfried Martens Centre, think tank (laboratoire d’idées, ou groupe de réflexion) du Parti populaire européen (PPE), regroupant des partis européens de droite et centristes.

Une quarantaine de personnes étaient venues assister aux échanges. Cet « observatoire », qui prétend apporter sur l’immigration « une vision rationnelle et dépassionnée, fondée sur la rigueur scientifique et l’indépendance politique », est en fait un think tank –, anti-immigration et aucunement scientifique.

La veille, une conférence similaire avait été organisée à l’Assemblée nationale, à l’initiative d’Éric Pauget, député du groupe Droite républicaine de la 7e circonscription des Alpes-maritimes. En invitant l’OID, Éric Pauget – qui n’a pas souhaité répondre à nos questions – donne ainsi le ton. Les invités, exclusivement masculins, ont pour beaucoup des liens avec l’extrême droite, comme l’ex-directeur de Frontex et député européen RN Fabrice Leggieri ou encore Pierre Brochand, ancien patron de la DGSE et proche d’Éric Zemmour. Tous sont venus discuter du « vrai coût » de l’immigration au sein de l’institution.

Sur le même sujet : Comment l’extrême droite veut remporter la bataille idéologique grâce aux think tanks

À cela s’ajoute la légitimité médiatique offerte à ce think tank conservateur. Nicolas Pouvreau-Monti, son directeur et fondateur, est passé en quelques années des pages ultra conservatrices de Valeurs Actuelles et du Figaro à Franceinfo et Arte. Une progression et une crédibilité analysée dans un article du site Arrêt sur images.

« Ils utilisent le mot observatoire pour essayer d’imiter la recherche. »

T. Racho

De quoi inquiéter le monde universitaire : « Ils utilisent le mot observatoire pour essayer d’imiter la recherche », fustige Tania Racho, docteure et enseignante en droit européen et coordinatrice de Désinfox-Migrations, une ONG. Cette dernière est affiliée à l’Institut Convergence migrations, organisme de recherche du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), rassemblant plus de 700 chercheur·ses reconnu·es.

ZOOM : Au départ, une ‘start-up’ étudiante

L’OID a été créé en 2020, sous le statut juridique d’une association loi 1901. Ses fondateurs sont décrits comme « six passionnés de démographie » par Paris Match, dans un article de janvier 2024 intitulé « Immigration, l’institut qui fait référence ». Selon l’hebdomadaire de Bernard Arnault, la « jeune ‘start-up’ étudiante » a bien infiltré le milieu politique français. On apprend notamment que Didier Leschi, le directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, s’intéresse aux « travaux » de l’OID « comme [il] regarde ceux de l’Insee ». Tandis que l’ancien ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin tenait à « remercier sincèrement » un des fondateurs après un colloque de novembre 2023, pour son « intervention sur les perspectives démographiques ».

Loin de produire un travail d’universitaire, le « comité scientifique » de l’association est composé d’un seul scientifique : Gérard-François Dumont, professeur à l’Université Paris-Sorbonne et bon client des médias de droite. En 1985, il écrit un dossier en une du Figaro Magazine avec un buste d’une Marianne voilée : « Serons-nous encore français dans 30 ans ? », coécrit par Philippe Bourcier de Carbon – alors membre du « conseil scientifique » du Front national. Déjà, ils dressent des conclusions alarmistes sur une prétendue submersion migratoire, qui 40 ans plus tard, se sont avérées erronées. Les autres membres du « comité scientifique » de l’OID sont Pierre Brochand, proche de Zemmour, l’ex-ambassadeur et énarque Xavier Driencourt, l’avocat Thibault de Montbrial, membre du comité stratégique du média d’extrême droite Livre Noir, et Michel Aubouin, préfet et énarque lui aussi.

« Les prises de paroles sont idéologiquement marquées et articulées à des valeurs conservatrices, mais ce n’est pas le problème. Le fait que des think tanks avec diverses opinions existent est bien, mais ça n’est absolument pas une institution scientifique », ajoute Hélène Thiollet, chargée de recherche au CNRS.

Des chiffres sans contexte

Derrière le bureau en bois massif de la salle René Monory, les invités tentent tour à tour d’expliquer la « crise de l’asile », objet de la conférence au Sénat. Parmi les invités, une petite surprise : le directeur de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) – dépendant du ministère de l’Intérieur –, Didier Leschi, est également présent en visioconférence.

Xavier Driencourt, ancien ambassadeur en Algérie, ouvre le bal des discussions, qui s’avèreront n’être qu’une suite de monologues. Lui qui affirme connaître « les deux bouts de l’immigration » apporte alors sa prétendue « expertise » sur l’asile, saupoudrée d’anecdotes : « Un Somalien qui était en route pour un autre pays où il avait obtenu l’asile a rencontré un de ses compatriotes. Celui-ci lui a dit qu’il valait mieux aller en France puisqu’il y avait l’AME ! (1) ». La source ? « Quelqu’un ».

1

Aide médicale d’État, dispositif permettant aux étrangers en situation irrégulière de bénéficier d’un accès aux soins.

En effet, selon Nicolas Pouvreau-Monti, la France serait le pays qui accueille le plus en Europe, jugée trop attractive. Pourtant, toute la littérature scientifique montre le contraire. La France n’est pas le pays qui accueille le plus, ni en chiffres relatifs, ni en chiffres absolus. Selon Tania Racho, les données généralement utilisées par l’OID ne sont pas forcément fausses, mais sont sorties de leur contexte.

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« Pour la hausse de 245 %, on peut se demander pourquoi avoir choisi comme point de comparaison 2009. Qu’est-ce qui le justifie ? Il faut mettre ses chiffres dans le contexte des migrations internationales, développe-t-elle. La demande d’asile, c’est de l’exil forcé. Le fait est que les conflits se sont accentués ces dernières années dans plein de pays, ce qui entraîne un exil, comme par exemple en Ukraine. »

L’aide médicale d’État dans leur viseur

Autre point longuement discuté : les raisons de l’attractivité, avec notamment l’argument de l’aide médicale de l’État (AME). Aucune étude n’a jamais démontré que les caractéristiques sociales des pays de destination justifient un départ. « La raison pour les personnes de partir dans un parcours d’exil se situe dans le pays d’origine et non dans le pays d’arrivée », explique la spécialiste en droit de l’asile. « L’Allemagne est d’ailleurs un contre-exemple puisque c’est le pays qui reçoit et accepte le plus de demandes d’asile et ne propose pas l’équivalent de l’AME. »

La France produit en proportion beaucoup plus d’obligations de quitter le territoire que d’autres pays européens.

H. Thiollet

Un dispositif souvent remis en question dans le débat public, notamment à l’occasion de la loi asile et immigration, par des personnalités de droite et d’extrême droite, jugé trop onéreux et contribuant à un « appel d’air ». Le 28 novembre, le premier ministre Michel Barnier, sous pression de la droite et de l’extrême droite en plein débat budgétaire, a acté une réduction des soins pour les sans-papiers, contre l’avis de la communauté scientifique. L’AME a coûté en réalité 1,1 milliard en 2023, soit 0,4 % des dépenses de l’assurance maladie.

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La question des personnes déboutées est également au centre des préoccupations. Les obligations de quitter le territoire français (OQTF) sont sur toutes les lèvres. Nicolas Pouvreau-Monti lors de son intervention souligne ainsi que « seulement 2 % des OQTF sont effectuées ». Le taux d’exécution des OQTF serait plutôt autour de 7 % (chiffres de 2022, dernière période de données disponibles). Mais encore une fois, il faut le remettre dans le contexte. Désinfox-Migrations a rédigé une note, intitulée « Exécuter les OQTF : pas si simple ».

« La première classe, c’est l’asile »

« La France produit en proportion beaucoup plus d’obligations de quitter le territoire que d’autres pays européens, développe Hélène Thiollet. Nombre de ces OQTF ne sont pas exécutables, soit parce que les personnes concernées viennent de régions qui ne sont pas considérées comme ‘sûres’ par la France ou l’Europe, ou parce que, à titre individuel, les personnes sont susceptibles de subir des persécutions, des traitements inhumains ou de tortures en cas de retour. » Selon elle, on produit sciemment des procédures inapplicables « pour des raisons d’affichage politique et de politique du chiffre, au lieu de penser des politiques publiques rationnelles et efficaces. »

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Pour Xavier Driencourt, c’est le système entier de l’asile qui est à revoir. Deux moyens existent pour être protégé par l’État en France : l’asile et la protection subsidiaire. Selon l’ancien ambassadeur, qui conseille désormais le Rassemblement national, ce système est trop souple et subit de nombreuses évolutions. La protection subsidiaire serait une sorte d’asile au rabais permettant un accès plus facile à la protection. « La première classe, c’est l’asile. La classe business c’est la protection subsidiaire. La classe éco, c’est l’arrivée en France puisque finalement, ils ont quand même réussi à venir en France », conclut Xavier Driencourt, en riant.

Remettre en cause ce système, c’est littéralement remettre en cause l’État de droit.

T. Racho

Or, Tania Racho précise qu’il y a bien « une procédure, une enquête, des juges » et que ces décisions ne se prennent pas « au doigt mouillé ». Elle prend l’exemple de la zone de guerre, troisième critère pouvant permettre la protection subsidiaire : « Le niveau de violence est estimé en fonction du nombre de blessés, du nombre de morts, de la présence d’aides humanitaires ou non. » Une perte de pouvoir politique selon l’OID ? « Remettre en cause ce système, c’est littéralement remettre en cause l’État de droit, car l’indépendance de la justice y est au cœur », affirme Tania Racho.

Si Nicolas Pouvreau-Monti assure mener « un travail libre de recherche et d’analyse » qui se traduit par un « attachement spécifique aux chiffres, aux faits, aux données publiques disponibles en matière d’immigration devant permettre de poser une base commune à la discussion démocratique », aucun·e chercheur·e n’était présent lors de cette conférence.

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