Au procès du FN, Marine Le Pen menacée d’une inéligibilité automatique
Entendue en tant que complice et instigatrice du système de détournement de fonds qui permettait à son parti de faire payer une partie de ses permanents par l’Europe, la patronne du RN a plus irrité le tribunal qu’elle n’a changé sa vision de l’affaire.
« Les Français ne se passionnent pas pour ce procès. » Face à la presse, Marine Le Pen se rassure comme elle peut. Face au tribunal, c’est une autre paire de manche. Il est un peu plus de vingt-heures mercredi 6 novembre quand son dernier interrogatoire devant la 11e chambre du tribunal correctionnel de Paris touche à sa fin. La chef de file du Rassemblement national (RN) découvre, sonnée, qu’elle risque une inéligibilité automatique en cas de condamnation. Le temps de se reprendre, elle abat sa dernière carte. « Cette automaticité que je considère comme contestable sur le plan légal aurait des conséquences extrêmement graves », avertit-elle.
Elle se redresse et poursuit d’une voix claire : « Je suis candidate à la présidentielle et une inéligibilité (…) aurait pour conséquence de me priver d’être candidate à l’élection présidentielle. » Elle rappelle avoir été deux fois finaliste à ce scrutin d’« une autre nature » qu’une candidature à un conseil régional ou un conseil municipal. « Derrière il y a 11 millions de personnes qui ont voté pour le mouvement que je représente. Des millions et des millions de Français se verraient privés de leur candidat. » Un argument plus politique que juridique destiné à préparer l’opinion à un scandale politique – les médias de Bolloré le clament déjà –, mais qui montre aussi qu’elle a saisi la gravité des faits qui lui sont reprochés.
Les experts-comptables ne se posaient pas de questions
On est au 18e jour du procès des assistants parlementaires européens du FN pour lequel Marine Le Pen est poursuivi avec vingt-trois autres prévenus et son parti en tant que personne morale. Après avoir entendu sur les faits de détournement de fonds publics et recel de ce détournement huit députés européens, dont elle durant trois jours, et douze de leurs assistants parlementaires, le tribunal a consacré quatre audiences à la machine financière du parti et sa gestion centralisée des assistants parlementaires. Les juges d’instructions ont identifié quatre acteurs de ce « système » considéré comme frauduleux par le parquet.
Marine Le Pen n’a rien manqué des déclarations de ses complices présumés appelés à la barre. Celles des experts-comptables Christophe Moreau et Nicolas Crochet, tout d’abord. Chargés des contrats de travail des assistants parlementaires et de demander leur prise en charge à Bruxelles, ils encaissaient l’argent du Parlement européen et le répartissaient entre les différents assistants, dont ils établissaient les bulletins de paie et s’acquittaient des cotisations sociales, salariales et patronales.
Je ne me posais pas de questions auxquelles je n’aurais pas eu de réponses.
C. Moreau
L’un et l’autre se sont joués du tribunal. Le premier, Christophe Moreau, qui a exercé ce rôle de « tiers-payant » entre 2004 à 2011, convient avoir fait passer des assistants d’un député à un autre en fonction de l’état des « dotations » du Parlement que la direction du FN voulait assécher. Ce jeu de « chaises musicales », selon son expression, ne lui est pas apparu suspect, soutient-il. Même quand on lui demandait de créer des contrats de travail d’une journée pour financer des primes de Noël à des assistants en contrat avec un autre eurodéputé. « Je ne me posais pas de questions auxquelles je n’aurais pas eu de réponses », a-t-il déclaré, assurant par ailleurs n’avoir « pas mené d’enquête » et se poser en simple exécutant. Capable toutefois d’établir pour Thierry Légier, le garde du corps de Jean-Marie puis Marine Le Pen, un faux contrat de 41 504 € sur trois mois pour récupérer une partie du salaire d’un chauffeur en arrêt maladie.
Le second, Nicolas Crochet, plus rôdé à l’exercice – il a déjà été condamné en 2023 dans l’« affaire Jeanne », un dossier de financement illégal de campagne électorale du FN –, doit répondre des contrats et salaires des assistants européens sur la période 2012-2016. À la barre, son assurance teintée d’insolence n’aura réussi qu’à crisper le tribunal. Aux questions qu’il fait répéter, il répond par d’autres questions, multiplie les digressions. Invité à confirmer sa déclaration, au cours de l’instruction, selon laquelle « il existait un système centralisé et supervisé par la présidente du parti », il fait diversion pour atténuer son propos. Les explications sur les mails accablants ou les fautes de son cabinet ne sont pas plus probantes.
Charles Van Houtte, la « cheville ouvrière » du système
Le 4 novembre c’est au tour de Christian Van Houtte de paraître. Ce comptable belge de 58 ans, assistant parlementaire accrédité à partir de 2009 auprès de Marine Le Pen, est considéré par l’accusation comme « la cheville ouvrière du système de détournements » de fonds européens mis en œuvre jusqu’en 2016. Il avait procuration des députés européens du mouvement – trois à son entrée en fonction, vingt-deux après juin 2014 – pour gérer leur dotation d’assistance parlementaire en relation avec les services financiers du Parlement, et l’optimiser au maximum en distribuant les assistants entre les différents députés en fonction des montants disponibles… Il tient pour cela des tableaux qu’il transmet régulièrement à la direction du FN, à son trésorier et au « tiers-payant ».
Je fais la différence entre travailler au FN et travailler pour le FN.
C. Van Houtte
D’emblée il demande à rectifier ce qu’il a déclaré aux enquêteurs lors de sa garde-à-vue d’un jour et demi : « À la lumière de votre dossier, avait-il dit, je comprends qu’il y a eu un système d’emplois fictifs mis en place au préjudice du Parlement européen et qui a bénéficié au Front national, mais au moment des faits je n’en avais pas conscience. On a voulu me donner un rôle qui n’est pas le mien. J’ai mis en place un outil de gestion efficace qui a été utilisé à mauvais escient. » « J’étais sans doute fatigué et je me suis laissé piéger. Malheureusement j’utilise le mot fictif », qu’il récuse désormais. Il affirme avoir « beaucoup travaillé » avec la chef de cabinet de Marine Le Pen. « Son travail d’assistant est réel » même s’« il y a cumul ». « Quand Thierry Légier arrive au parlement européen, il dépose son arme et devient assistant, et redevient garde du corps en sortant », ose-t-il sous les sourires de la salle.
Dans un tableau trouvé dans son ordinateur, la mention « fn » est accolée à certains assistants. Troublant. Cette mention, explique-t-il, désigne « ceux qui travaillent à Paris au siège du FN ». Y figure pourtant Catherine Griset, dont il savait qu’elle était assistante parlementaire accréditée à Bruxelles, note la présidente – il lui avait fait une attestation d’hébergement. « Ce document de travail n’était destiné qu’à moi-même, il n’y a aucun lien avec un travail quelconque au FN », prétend-il. Avant d’ajouter : « Je fais la différence entre travailler au FN et travailler pour le FN. » Un distinguo trop subtil pour être honnête.
« J’exécute les ordres »
Dans un mail, évoqué à l’audience, du 15 septembre 2011 adressé à ce dernier il écrit : « Marine veut engager au premier octobre un expert à 9 000 € net, soit 16 500 € bruts [Il s’agit de Florian Philippot, qui va prendre la direction de la campagne présidentielle de Mme Le Pen et n’aura finalement qu’un mi-temps, NDLR]. Ceci est possible à condition de réaliser tous les transferts demandés depuis des mois. Autrement, ce contrat sera refusé par le PE faute de budget suffisant. » Suit une liste de 10 demandes dont notamment l’établissement d’un contrat à mi-temps pour Louis Aliot « pris en charge pour le PE sur JMLP » [Jean-Marie Le Pen], « transférer [Guillaume] Lhuillier sur BG [Bruno Gollnisch] à partir de juillet » en remplacement de Yann Le Pen payée sur les comptes de campagne à partir du 1er juillet…
La présidente Bénédicte de Perthuis lui fait remarquer que Guillaume Lhuillier signe son transfert de Marine Le Pen à Bruno Gollnisch « directeur de cabinet de Jean-Marie Le Pen ». « Je n’y ai pas fait attention », assure-t-il. Et ne s’étonne pas de passer Micheline Bruna sur Marine Le Pen alors qu’il sait pertinemment qu’elle travaillait à Montretout, la résidentce des Le Pen à l’époque, auprès de Jean-Marie Le Pen. La présidente s’en agace :
– Il y a des moments où on ne peut se contenter de ne pas se poser la question. Parce que les choses sautent aux yeux.
– À partir du moment où on me soumet une demande, je transfère l’information, je ne me pose pas la question de savoir si c’est légal. J’exécute les ordres.
De qui venaient-ils ? En réponse à cette interrogation plusieurs fois répétée, le prévenu est prudemment resté évasif.
« Emploi fictif » c’est extrêmement péjoratif
Justement, c’est au tour du trésorier du FN d’être appelé à la barre. Avocat de Jean-Marie Le Pen et du mouvement, Wallerand de Saint-Just a pris cette fonction « bénévole » en 2009. Dès son entrée en fonction il recense les salariés du parti. Dans son tableau, une colonne « payés autrement » fait figurer des personnes payées par le parlement européen mais rattachées à « président », « siège », ou « équipe marine ». Il explique que son enquête est « imparfaite » : « Ce sont des déductions de l’endroit où je vois les gens et qu’ils ne figurent pas sur la liste des salariés du FN. » Ne s’agirait-il pas d’emplois fictifs ? À cette évocation par la présidente, l’ancien avocat – il a raccroché sa robe fin 2014 – proteste :
– Je suis choqué par cette déviation du langage. Il faudrait les désigner autrement. C’est une simple infraction.
– Ah si, il y a détournement de fonds publics.
– Pas un centime. « Emploi fictif » c’est extrêmement péjoratif. C’est quelqu’un qui ne fait rien.
– C’est aussi quelqu’un qui travaille pour une autre entreprise que celle qui le paie.
Nous ne nous en sortirons que si nous faisons des économies importantes grâce au Parlement européen.
W. de Saint-Just
Le trésorier du FN effectuait aussi des simulations financières qui projetaient les économies que le FN était susceptible d’effectuer avec l’aide du Parlement européen. Lors de ces calculs, quelques temps avant les européennes de 2014, il imaginait dans une note manuscrite quelle pourrait être la baisse de la masse salariale du parti par le transfert des coûts sur le budget européen : « 9 députés européens : 12 salariés à 4 000 = – 50 000 de salaires chargés. » Ce seront finalement bien plus de 9 députés qui seront élus. Et cette note n’avait qu’un caractère « personnel », se défend Wallerand de Saint-Just.
Dans un courrier à Marine Le Pen du 16 juin 2014, il fait état d’un dérapage des dépenses en 2013 de 100 000 euros par mois et écrit : « Nous ne nous en sortirons que si nous faisons des économies importantes grâce au Parlement européen et si nous obtenons des reversements supplémentaires. » Qu’il minimise à la barre. Les « économies importantes » envisagées ne seraient gagnées que sur les manifestations, les frais de voyages et réceptions. Et s’il incluait aussi les salaires chargés de quatre salariés du FN élus députés, cela ne représentait que 340 000 à 355 000 euros annuels.
« Je crois bien que Marine Le Pen sait tout cela… »
Le tribunal évoque le rapport des commissaires aux comptes sur l’exercice 2016 qui comprend une étonnante garantie. « Si des assistants auraient travaillé de manière irrégulière pour le FN, le parti prendra en charge la demande de recouvrement auprès de Jean-Marie Le Pen et Bruno Gollnisch », est-il indiqué dans une déclaration contractuelle signée par eux et Marine Le Pen. « Il n’y a pas la moindre reconnaissance de responsabilité pénale dans ce texte », s’empresse de souligner Wallerand de Saint-Just.
Ce que Marine nous demande équivaut qu’on signe pour des emplois fictifs
J-L. Schaffhauser
Interrogé par Me Maisonneuve, l’avocat de la partie civile, sa gêne transparaît à l’évocation d’un mail de l’eurodéputé Jean-Luc Schaffhauser, une des pièces clefs du dossier. Le nouveau député, qui n’est pas membre du FN, réagit à la demande qu’aurait faite Marine Le Pen à ses élus de ne prendre qu’un assistant et de laisser toute latitude au mouvement pour gérer le restant de leur dotation, lors d’une réunion à Strasbourg le 4 Juin 2014 : « Ce que Marine nous demande équivaut qu’on signe pour des emplois fictifs… et c’est le député qui est responsable pénalement sur ses deniers même si le parti qui en est le bénéficiaire… Je comprends les raisons de Marine mais on va se faire allumer car on regardera, c’est sûr, nos utilisations à la loupe avec un groupe si important. Je n’ai pas prévenu les autres du cadre légal car je créerai encore plus de bordel… » À quoi Wallerand de Saint-Just lui répond une demi-heure plus tard : « Je crois bien que Marine sait tout cela… »
En a-t-il parlé à Marine Le Pen ? Le trésorier évoque les « fureurs » dont M Schaffhauser serait coutumier pour justifier qu’il n’ait « pas embêté » sa patronne « avec cette petite chose ». « Cet avertissement ce n’est pas une petite chose », lui fait remarquer Me Maisonneuve. Le trésorier présente néanmoins sa réponse comme une manière d’envoyer balader le raseur avec un propos « méprisant ». Toute autre interprétation serait, selon lui, malveillante. Les questions insistantes qui lui sont posées déplaisent à Marine Le Pen qui s’agite sur son banc, agacée.
L’ultime plaidoirie de Marine Le Pen…
Quand vient son tour de s’expliquer, elle pose de gros dossier à côté d’elle. Il lui est reproché, en sa qualité de présidente du Front national (FN), devenu Rassemblement national (RN) en 2018, de s’être rendu « complice par instigation », entre le 16 janvier 2011 (date à laquelle elle a succédé à son père à la présidence du mouvement) et le 31 décembre 2016, du détournement de fonds publics. Selon l’accusation elle aurait « décidé de l’affectation des enveloppes d’assistance parlementaire des députés européens, et donné instruction à ces derniers d’engager en qualité d’assistants parlementaires des personnes occupant ou recrutées en vue d’occuper des emplois au sein du parti, et sollicité du Parlement européen la prise en charge de leurs rémunérations et frais afin de financer, en tout ou partie, leur emploi par le parti ».
Mais avant toute question, elle demande à prendre la parole pour un propos liminaire qui va durer une heure trente. Retrouvant ses vieux réflexes d’avocat, profession qu’elle a exercée dans les années 1990, elle décide de plaider. Cette affaire est, selon elle, montée en épingle sur « une dizaine de mails maladroits, mal rédigés, présentés comme suspects » parmi des « dizaines de milliers » que la juge d’instruction a « permis d’aspirer ». Là où l’accusation dénonce un « système », elle évoque une « mutualisation » des assistants revendiquée comme une obligation quand le FN ne comptait que 7 puis 3 eurodéputés non-inscrits.
Bien sûr on pourrait dire qu’on est bordélique mais ce n’est pas poursuivable.
M. Le Pen
Sur l’embauche des assistants parlementaires, elle concède avoir exercé un « droit de veto parce qu’[elle] souhaitait savoir s’il n’y avait pas dans les espérances d’embauche des gens qu’[elle] considère nuisibles pour le mouvement ». Défend la centralisation des procurations dans les mains de « quelqu’un qui est là depuis deux mandats » (l’assistant Charles Van Houtte, NDLR) qui « arrange », selon elle, le Parlement européen. « Cette centralisation, poursuit-elle, elle est dans la culture du FN. Ça existe depuis 30 ans et ça existe encore. De gré ou de force. »
… contre un jugement préconçu
Au mobile financier avancé par l’accusation, elle oppose l’augmentation de la masse salariale du FN durant la période de la prévention. « Nous n’avons pas eu une demi-seconde l’idée de vider le mouvement de sa masse salariale », assène-t-elle sans pouvoir contrecarrer les preuves accablantes de l’emploi de permanents fonctionnels du FN par le parlement européen.
Un ton au-dessus la présidente du groupe des députés RN fustige un jugement préconçu : « Si on part avec la conviction qu’il y a un système, qu’il y a une volonté de gruger, vous trouverez des éléments qui vont dans ce sens. » Et s’adressant à la présidente Bénédicte de Perthuis : « J’ai eu le sentiment qu’à maintes reprises votre opinion était faite et que les éléments qui venaient à décharge étaient minorés. Ça m’a un peu déstabilisé. L’instruction c’est un temps et le procès c’est un autre temps. Regarder de près la démonstration de notre innocence. Bien sûr on pourrait dire qu’on est bordélique mais ce n’est pas poursuivable. »
Critiquant le tri que ferait le tribunal entre « des gens à la parole d’airain et ceux qu’on ignore », elle démolit enfin la crédibilité des témoignages les plus accablants comme ceux des anciens députés Aymeric Chauprade, Sophie Montel et Jean-Luc Schaffhauser, et de l’ex-assistant de ce dernier, Nicolas Franchinard.
Registre juridique contre discours politique
Si elle pensait encore « changer la vision » du tribunal sur ce dossier, c’est raté. « Le tribunal va se contenter de rester dans un registre juridique, et même judiciaire », rappelle la présidente Bénédicte de Perthuis à l’issue de son monologue. « On entend vos reproches, lui dit-elle courtoisement, mais on est saisi par une prévention et on appréciera par rapport à une faisceau d’indices : mails, témoignages, lieux… Et finalement, la seule question qui nous intéressera ce sera de déterminer si les assistants parlementaires, contrat par contrat, ont travaillé pour le député européen auxquels ils sont rattachés ou le FN. Et si le député a contrôlé leur travail. »
Interrogée sur les pièces du dossier, la cheffe de file du RN a de la répartie. Réfute les interprétations évidentes, esquive parfois, digresse souvent. Mais n’est guère plus convaincante que ses co-prévenus. Interrogée sur le cas de Laurent Salles, un assistant parlementaire, du 1er juillet 2014 au 28 février 2015, dont les traces du travail pour l’Europe font défaut puisqu’il travaillait en réalité pour Yann Le Pen à la « direction nationale des grandes manifestations » au siège du mouvement, elle certifie qu’il travaillait pour Louis Aliot, alors député européen. « Pas pour l’organisation du congrès [de Lyon], comme le pointe l’accusation, mais au bénéfice de tous les députés. On est à un moment où on reçoit les députés étrangers en prévision de constituer un groupe. C’est au bénéfice de tous. »
L’examen des mails de Charles Van Houtte, son assistant et le centralisateur des contrats, l’irrite. Il écrit au « tiers-payant » Nicolas Crochet, le 27 septembre 2013 : « Il faut d’urgence voir avec Marine le problème des salaires. Il y a trop de monde sur son contrat (…). Il faudrait que certains retournent sur les salaires du Front. » « Il aurait pu dire, il faut en licencier », lance-t-elle. La présidente qui lit ces pièces du dossier en fait une lecture plus littérale qui la fait sortir de ses gonds. « Vous faites dire. Je me défends, j’ai le droit. On est au pénal on risque énormément de choses. ‘Que certains retournent sur les salaires du Front’ : je ne vois pas de quoi il parle. » Le français est décidément une langue mal comprise des nationalistes.
« C’est ma sœur »
Autre échange troublant : fin 2013, elle demande le versement d’une prime de fin d’année pour Yann Maréchal ainsi que pour son assistante et chef de cabinet, Catherine Griset. « Yann est ma sœur, justifie-t-elle maladroitement. C’est l’époque où Wallerand de Saint-Just accorde aux salariés du FN des primes. Elle me dit : j’espère qu’on ne va pas nous oublier les assistants parlementaires. J’ai fait la démarche pour mon assistante et ma sœur. » Mais celle-ci est censée être assistante parlementaire de Bruno Gollnisch ? « C’est ma sœur et dans un élan d’affection, parce que je sens qu’elle voudrait bien demander une prime et n’ose pas, je le fais à sa place. »
C’est des réponses aux questions qui vous sont posées que nous attendons.
Présidente du tribunal
Après une suspension de séance à 23h, les questions reprennent le lendemain à un rythme soutenu. Dès le premier mail que la présidente lui donne à commenter Marine Le Pen attaque : « Le tribunal est convaincu que cela fonctionnait comme ça et voit des preuves partout. » Au fil des questions toujours plus précises et accablantes pour elle, son agacement est de plus en patent. Quand le procureur Nicolas Barret revient à nouveau sur le mail d’avertissement de Jean-Luc Schaffhauser à Wallerand de Saint-Just, elle explose :
« Dix ans d’enquête, des moyens jamais vu dans d’autres affaires. Et la seule chose sur laquelle on m’interroge aujourd’hui c’est le commentaire humoristique d’un assistant parlementaire. C’est la pêche au chalut… Mais que l’on puisse tirer de ça ma culpabilité je trouve ça pas tout à fait loyal. Je vois bien qu’on lance les filets et quand on trouve quelque chose on part dans une autre direction. Je risque 10 ans de prison, 1 million d’amende, peut-être plus. Je suis une dirigeante politique. J’ai donné ma vie à la politique. (…) Où sont moi mes instructions (sic), les instructions que je donne ? »
Et s’attire ce recadrage cinglant de la présidente : « Vous avez dit la politique c’est la répétition ; ici on n’est pas en politique. J’ai l’impression qu’on est dans des mondes parallèles. On a le sentiment que l’on n’est pas parvenu à avancer sur un socle commun. Aujourd’hui au bout de six semaines de débats on ne peut pas vous laisser prendre la parole pour redire des choses que vous avez déjà dites. C’est des réponses aux questions qui vous sont posées que nous attendons. » Elles ne sont pas venues.
Le couperet de l’article 432.17
La responsabilité du Rassemblement national, personne morale, est vite expédiée en clôture des débats, avec la lecture des dépositions de Jean-Marie Le Pen, 96 ans, dont la comparution a été disjointe en raison de son état de santé. Marine Le Pen, qui représente le parti à la barre, ne les commente pas.
Il est près de vingt-heures quand la substitute du procureur, Louise Neyton, présente au nom du parquet un tableau récapitulatif des détournements imputable au parti entre le 1er juillet 2004 et le 31 décembre 2016. Incidemment, elle informe le tribunal que des détournements tardifs pourraient relever de la loi du 9 décembre 2016, applicable dès le 11 décembre qui a modifié l’article 432.17 du Code pénal et instaure une « inéligibilité obligatoire » à l’encontre de toute personne reconnue coupable.
Pour Marine Le Pen qui le dénonce, c’est la peine de trop. Le tribunal pourrait toutefois, l’article 432.17 le prévoit, « par une décision spécialement motivée, décider de ne pas prononcer cette peine, en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur ».
Mardi 12 novembre, le procès continuait avec les plaidoiries des avocats de la partie civile. Avant les réquisitions du parquet, mercredi.