À bon entendeur…
Le quotidien Le Monde, depuis des années, renvoie régulièrement dos-à-dos ce qu’il appelle « les extrêmes », en l’occurrence la gauche antiraciste et l’extrême droite xénophobe. Dernier regrettable exemple avec une chronique de Philippe Bernard.
dans l’hebdo N° 1838 Acheter ce numéro
Dans son édition datée du 24 novembre, Le Monde, journal « de référence », a publié une chronique de son collaborateur Philippe Bernard, sous ce titre : « L’antisémitisme, un fléau manipulé ».
On y trouvait notamment ces menus propos, qu’il faut citer entièrement : « Tandis que La France insoumise (LFI) se sert de la tragédie de Gaza pour flatter l’électorat issu de l’immigration maghrébine, le Rassemblement national (RN) l’utilise en sens inverse pour stigmatiser l’immigration et l’islam, voire pour faire les yeux doux aux électeurs juifs. On imagine l’horreur que constituerait, dans ce contexte, un deuxième tour de présidentielle entre Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon. »
Dans les pages du Monde, qui depuis des années renvoie régulièrement dos-à-dos ce qu’il appelle « les extrêmes » – c’est-à-dire LFI et le RN, c’est-à-dire la gauche antiraciste et l’extrême droite xénophobe –, ces proférations quelque peu émétiques n’ont rien d’inédit : en mai dernier déjà, le même Philippe Bernard, décidément obnubilé, décrétait par exemple que « la gauche radicale de Jean-Luc Mélenchon croy(ait) conquérir des voix musulmanes en faisant de la tragédie de Gaza le centre de sa campagne pour les élections européennes, quitte à s’aliéner de nombreux juifs en confondant ‘juifs’, ‘Israéliens’, ‘sionistes’ et ‘colonialistes’, l’hostilité à l’égard du gouvernement d’Israël et la négation de l’existence de ce pays (1) ».
Dans la vraie vie, naturellement, à aucun moment La France insoumise n’a par exemple confondu « juifs » et « Israéliens ». Mais pourquoi se priver d’une calomnie, quand elle permet de brailler à l’unisson des droites extrêmes ?
Quelques heures après l’avoir publiée dans son édition datée du 24 novembre, Le Monde a mis cette chronique en ligne sur son site, en modifiant son titre, devenu pour cette nouvelle publication : « Solidariser la lutte contre le racisme et contre l’antisémitisme est une nécessité pour s’opposer à leur manipulation. »
C’est tout à fait vrai, et il est bon et sain que Le Monde le rappelle.
Mais, pour atteindre ce si souhaitable but, ce si vénérable quotidien pourrait peut-être commencer par, petit un : ne plus se vautrer dans le cynisme pour présenter la – si rare – dénonciation d’un génocide comme une manœuvre électoraliste, dans le moment précis où la classe politique hexagonale communie dans un soutien sans faille à ses perpétrateurs ; petit deux : ne plus insinuer, selon des modalités particulièrement fielleuses et hypocrites, que la gauche prétendument « radicale » qui lutte au quotidien (et dans une adversité aggravée par les assauts des journalistes qui la qualifient d’ « extrémiste ») contre le racisme et l’antisémitisme pourrait bien être un peu antisémite, tavu ; petit trois : ne plus suggérer que l’électorat « issu de l’immigration maghrébine » et/ou « musulman » serait – sans que l’on sache bien pourquoi, parce que le prudent Philippe Bernard se garde bien de trop expliciter sa pensée – particulièrement sensible à ce positionnement.
À bon entendeur…
Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.
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