Pour les journalistes palestinien·nes
La France a remis le 5 novembre le prix Anna Politkovskaïa – Arman Soldin du courage journalistique aux journalistes israélien Yuval Abraham et palestinien Basel Adra, deux des réalisateurs de No Other Land. Ou comment se draper dans un engagement « pour la défense de la liberté de la presse » tout en continuant de tolérer à Gaza son anéantissement.
dans l’hebdo N° 1835 Acheter ce numéro
Ce 2 novembre 2024, le ministère français des Affaires étrangères publie sur X un post célébrant « la journée internationale de la fin de l’impunité pour les crimes contre les journalistes instaurée en 2013 par les Nations unies, à l’initiative de la France », et précise que, dans ce cadre, et « pour sa deuxième édition, le prix Anna Politkovskaïa – Arman Soldin du courage journalistique sera remis » le 5 novembre (1).
Mise à jour : l’article a été bouclé avant la remise du prix. Il a été remis le 5 novembre au journaliste israélien Yuval Abraham et palestinien Basel Adra, deux des réalisateurs de No Other Land.
Ce prix, créé il y a deux ans par l’ex-ministre macroniste des Affaires étrangères Catherine Colonna, « a vocation à distinguer le travail de journalistes et journalistes reporters d’images engagés à poursuivre leur mission essentielle d’information, notamment sur des théâtres de conflit ou dans des contextes de crise », explique le site du ministère.
Qui ajoute qu’ainsi « la France réaffirme son engagement constant pour la défense de la liberté de la presse et rend hommage à deux figures emblématiques du courage journalistique, tuées dans l’exercice de leurs fonctions : la journaliste russe Anna Politkovskaïa, dont les enquêtes[…] sur la corruption, les atteintes aux droits de l’homme et la guerre de Tchétchénie, lui ont coûté la vie », et « le journaliste et reporter d’images franco-bosnien de l’AFP Arman Soldin, tué le 9 mai 2023 sur le terrain, et dont le travail a contribué à informer le monde entier sur la réalité de l’agression russe contre l’Ukraine ».
Par un oubli probablement dû à une distraction passagère – what else ? –, ce site ne dit pas les noms des membres du jury chargé de décerner ce prix. Mais on suppose qu’il compte quelques journalistes, et on espère très (très, très) fort que ces professionnel·les – dont rien ne permet bien sûr de chicaner a priori la rigueur – auront à l’esprit, à l’heure de délibérer, ces quelques éléments de réflexion.
1) Plus de 180 journalistes, dont le seul crime était de témoigner sous les bombes des immenses crimes perpétrés par l’armée israélienne depuis octobre 2023, ont été assassiné·es par cette armée dans le cours des treize derniers mois – dans le huis clos de Gaza, bien sûr, mais aussi en Cisjordanie et au Liban.
2) Depuis le début de ce massacre sans précédent, la France s’abstient soigneusement de demander des sanctions contre ses auteurs : par la voix, notamment, de ses ministres successifs des Affaires étrangères, elle continue plutôt, imperturbablement, de psalmodier qu’« Israël a le droit de se défendre ».
3) Pour le dire plus simplement : pendant qu’elle se drape dans « son engagement constant pour la défense de la liberté de la presse », la France continue, de fait, de tolérer à Gaza son anéantissement.
4) Le jury du prix Anna Politkovskaïa – Arman Soldin sait parfaitement que cette diplomatie qui prétend protéger et récompenser les journalistes continue, de fait, à soutenir l’État qui depuis treize mois les anéantit par dizaines.
5) Souhaitons que ses membres aient du moins le réflexe, ce 5 novembre, de décerner ce prix à des journalistes palestinien·nes.
Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.
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