« Au boulot ! » : un corps étranger

Gilles Perret et François Ruffin mettent au travail la chroniqueuse Sarah Saldmann.

Christophe Kantcheff  • 5 novembre 2024 abonné·es
« Au boulot ! » : un corps étranger
Au boulot ! relève d’une conception du cinéma qui trouve vite ses limites.
© Les 400 Clous

Au boulot ! / Gilles Perret et François Ruffin / 1 h 24.

On peut se demander s’il ne s’agissait pas d’une fausse bonne idée : propulser un corps réactionnaire, sous la forme de la chroniqueuse Sarah Saldmann, dans un cinéma à message progressiste. C’est ce qu’ont fait dans Au boulot ! François Ruffin et Gilles Perret (celui-ci en traînant d’abord les pieds), après que le premier, participant (ou se fourvoyant) aux « Grandes Gueules » sur RMC, se soit entendu dire par la jeune femme : « Le Smic, c’est déjà pas mal ! » Invitation lui est lancée par le député-cinéaste à venir travailler à ce tarif pendant quelques mois. Elle accepte (au début, pour une semaine seulement…).

Et voilà la grande bourgeoise au contact des gens qui exercent des métiers difficiles pour un salaire indigent. Dès lors, Sarah Saldmann ne serait plus qu’un prétexte à ces rencontres ? Les cinéastes restent pourtant attentifs à ses réactions (elle en a vite plein le dos), avec même l’espoir (Ruffin le reconnaîtra) qu’elle en soit modifiée. Mais, en fin de film, la chroniqueuse ayant changé de crémerie rance, débitant désormais ses horreurs sur CNews (à propos de Gaza notamment), la voici « licenciée » du film.

On ne pleurera pas sur le sort de Sarah Saldmann, mais son utilisation (pour ne pas dire son instrumentalisation) pose question. Recherche d’un effet comique ? Mais il s’étiole rapidement. Quant à la revanche sociale obtenue en la voyant peiner et recevoir les répliques irréfutables des premier·ères intéressé·es à ses propos sur les « assistés », elle laisse un goût douteux (comment aurait-il pu en être autrement ?).

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Les rencontres avec Louisa, l’auxiliaire de vie, Amine, le chauffeur livreur, Nathalie, la femme de chambre, ou ­Sylvain, du Secours populaire, sont à forte dose de vérité et d’émotion. C’est le meilleur du film. Mais elles auraient exigé davantage de temps pour être moins dans la démonstration d’un propos, moins organisées et plus profondes. Moins télévisuelles en somme. On est là aux antipodes de ce qui fait l’épaisseur existentielle de La Ferme des Bertrand, le dernier film en date du seul Gilles Perret sorti en début d’année. Au boulot ! relève d’une autre conception du cinéma qui trouve vite ses limites.

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Cinéma
Temps de lecture : 2 minutes