« En fanfare » : deux frères sans bémol
Un film d’auteur populaire qui traite avec subtilité des déterminismes sociaux.
dans l’hebdo N° 1838 Acheter ce numéro
En fanfare / Emmanuel Courcol / 1 h 43.
Identifions d’abord de quelle catégorie relève le film dont il est question ici. En fanfare n’a pas de stars, même si les deux rôles principaux sont tenus par des comédiens bénéficiant désormais d’une notoriété certaine, Benjamin Lavernhe et Pierre Lottin. Il est produit par Agat films (ayant notamment à son catalogue Patricia Mazuy, Sébastien Lifshitz ou Robert Guédiguian) et est doté d’un budget moyen, 6 millions d’euros. Enfin, il est signé Emmanuel Courcol, également scénariste, réalisateur d’Un triomphe, son film précédent, qui racontait avec humour l’éveil de détenus au théâtre de Beckett. Autant d’indices convergents pour affirmer qu’En fanfare relève du cinéma d’auteur.
Allons plus loin : il s’agit d’un cinéma d’auteur populaire. Les termes paraissent antinomiques à certain·es, décidé·es à circonscrire le cinéma d’auteur dans la case « élitiste ». Laissons-les à leur vision étroite. Le cinéma qui nous passionne est d’une diversité esthétique réjouissante. Il va de Direct Action, à la radicalité formelle, à En fanfare, de facture classique.
Chef d’orchestre et compositeur de renommée mondiale, Thibaut (Benjamin Lavernhe), atteint d’une leucémie, doit recevoir une greffe de moelle épinière compatible. Il découvre alors qu’il a été adopté par la famille bourgeoise qui l’a élevé et, par la même occasion, qu’il a un frère. Celui-ci se nomme Jimmy (Pierre Lottin), vit dans le Nord et est tromboniste au sein de la fanfare de son village, l’Union musicale des mineurs de Walincourt.
L’alliance des contraires ? Voilà un thème rebattu au cinéma, en particulier dans la comédie. Mais Emmanuel Courcol le traite avec subtilité et originalité, et un plaisir manifeste à déjouer les clichés. Par exemple, le cinéaste montre une famille prolétaire, celle de Jimmy, ayant le cœur sur la main. Alors que celle de Thibaut n’a pas su s’ouvrir suffisamment pour accueillir Jimmy quand il était petit. Sa vie en aurait eu plus de perspectives. Mais quand Thibaut se lance dans une diatribe reprochant aux siens leur égoïsme, il finit par paraître excessif et la caméra se pose avec tendresse sur le visage de sa mère incriminée (Ludmila Mikaël).
En fanfare joue également sur les présupposés. À propos du physique notamment. Par exemple, Thibaut révèle dans un premier temps son cancer à sa sœur (ou du moins croit-il qu’elle l’est). Or, ils n’ont aucune ressemblance. Ce qui ne choque pas le spectateur. Pourquoi serait-il dès lors surpris que les deux frères (biologiques), le grand châtain et le « petit » blond, n’aient pas de traits physiques semblables ?
Complexité
L’illustre chef d’orchestre sûr de lui d’un côté, le tromboniste bourru et complexé de l’autre, voilà le film bien lancé pour dérouler toutes les déclinaisons qu’offrent ces deux frères sur le mode des déterminismes sociaux. Certes, ignorer ceux-ci relèverait d’un parti pris idéologiquement douteux. Mais Emmanuel Courcol y apporte des nuances qui, sans les nier, les intègrent à la complexité de la vie.
Le film fait aussi son miel des métissages réels ou potentiels que recèlent les différents genres musicaux.
Ainsi de la passion commune pour la musique. Celle de Thibaut, au vu de son milieu d’origine, n’a rien de mystérieux. Et pour Jimmy ? Il s’en explique à son frère. Un jour, il entend la trompette de Miles Davis, qui le bouleverse à jamais. Il dit que cette première écoute fut fortuite. Relève-t-elle vraiment du hasard ? Le cinéaste s’amuse davantage encore avec la question de l’inné et de l’acquis puisque c’est à Jimmy qu’il accorde l’oreille absolue.
Le film fait aussi son miel des métissages réels ou potentiels que recèlent les différents genres musicaux. Ici, point d’opposition stérile entre musiques populaire, classique et même contemporaine. Ravel est bien sûr présent, si perméable au jazz notamment. Une scène résume la belle philosophie d’En fanfare. Au piano, Thibaut plaque quelques accords de l’opéra de Verdi, Aïda, et indique qu’en poussant un peu plus ces accords… « Cela aurait donné un boogie ! », s’exclame Jimmy, les deux frères se livrant alors à un bœuf endiablé. Voilà finalement ce qui touche tant dans ce film : la recherche d’une harmonie.