Post-vérité : comment Trump irradie en France

La victoire du candidat républicain donne du grain à moudre au personnel politique qui manie la peur, l’insulte et le complotisme pour faire avancer ses idées réactionnaires.

Hugo Boursier  • 13 novembre 2024 abonnés
Post-vérité : comment Trump irradie en France
Un partisan montre un collier « Make America Great Again », slogan de Donald Trump.
© Elijah Nouvelage/AFP

De la célèbre mèche blonde au brillant d’un crâne rasé. Si la coiffure des deux hommes diffère, le propos, et plus exactement le rapport au fait, lui, est identique. Le 28 octobre, sur le plateau de l’émission « C à vous », sur France 5, Éric Ciotti a fait du Donald Trump. Pas sur le fond, quoique le premier emprunte bien volontiers la xénophobie du second, mais plutôt sur la forme.

Amené à réagir sur le refus de la régie publicitaire de la SNCF d’afficher dans toutes les gares le nouvel ouvrage du président du Rassemblement national, Jordan Bardella, le député des Alpes-Maritimes refuse d’admettre la vérité : Mediatransports ne peut participer à une campagne promotionnelle « présentant un caractère politique ». Neutralité du service public oblige. L’article 8 des conditions générales de vente le stipule. Mais l’ex-Républicain et désormais allié de Marine Le Pen balaie la réalité. Il préfère dénoncer le « diktat des syndicats d’extrême gauche ».

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Un mensonge qui le fait embrasser cette ère de la post-vérité chère au 47e président des États-Unis. Au bout de quatre minutes de confrontation rugueuse, le journaliste, Patrick Cohen, argue pour la dernière fois : « Mais il ne s’agit pas d’être d’accord, c’est une question de fait. » En vain, puisqu’Éric Ciotti conclut : « Il y a des marges d’interprétation. »

Exagérer, mentir, insulter. Et, surtout, ne jamais revenir sur ses pas ou admettre qu’il a tort. Cette attitude a été celle de Donald Trump depuis sa première élection à la présidence américaine, en 2016. C’est aussi le personnage qu’il s’est construit dès les années 1980, et surtout depuis la diffusion de l’émission de téléréalité « The Apprentice », entre 2004 et 2017.

Ne pas avoir de programme et répandre des vérités alternatives ne nuit pas pour l’électorat de Trump.

C. Alduy

Une manière d’être qui n’a pas dissuadé ses 75 millions d’électeurs. Même s’il ne faut pas, non plus, résumer la victoire du Républicain à son seul caractère. « Se focaliser sur sa seule manipulation des faits empêche d’appréhender sa vision politique », nuance Danièle Obono, députée insoumise de Paris. L’élue met en avant les impasses du programme de Kamala Harris, incapable de répondre à la précarité dans laquelle se trouvent des dizaines de millions d’Américains.

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Une mise en garde que partage aussi Cécile Alduy, professeure à Stanford (Californie) et chercheuse associée au Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof). Elle note tout de même que « mentir, insulter, être vulgaire, raciste, misogyne, ne pas avoir de programme et répandre des vérités alternatives ne nuit pas pour l’électorat de Trump ».

Pour l’universitaire, qui a étudié au peigne fin la destruction du langage opérée par Éric Zemmour dans La Langue de Zemmour (Seuil Libelle, 2022), « plus qu’une stratégie politique, la campagne de Trump repose sur une stratégie médiatique : faire le meilleur show ». La compétition du divertissement à la place du débat démocratique.

« Hyperbole véridique »

Depuis 2016, quantité de travaux ont été produits pour comprendre le logiciel Trump. Et notamment sa pratique du discours. Plusieurs conseillent, cependant, de se référer à sa propre explication. Celle formulée dès 1987 dans une autobiographie coécrite avec la journaliste Tony Schwartz, intitulée Trump : The Art of The Deal.

Donald Trump y détaille une technique de vente qu’il a faite sienne : « l’hyperbole véridique ». Il la définit ainsi : « C’est une forme innocente d’exagération, et une forme très efficace de promotion. » Presque quarante ans plus tard, Donald Trump n’est plus le roi des buildings new-yorkais, mais à la tête des États-Unis. Grâce à un seul slogan : « Make America Great Again ».

D’une simple technique de vente pour conclure un deal, « l’hyperbole véridique » a des effets très concrets quand elle est lancée au visage de tout un pays. Elle fait surgir d’autres vérités, dessine de nouvelles réalités. Dans l’édition de 2019 de la revue Monde commun, intitulée « Fake news, mensonges et vérités », l’anthropologue Carole McGranahan explique que si « Donald Trump fait commerce de manipulations et de tromperies de toutes sortes, ses mensonges visent plutôt à réécrire ou à embrouiller les fils de l’histoire ».

Trump réussit à maintenir une violence permanente qui lui permet de dire n’importe quoi pouvant plaire à n’importe qui.

F. Jost

Cette pratique du langage pose une question centrale : peut-on faire nation par le mensonge ? Pour Cécile Alduy, la réponse est non. Et cette élection « signe définitivement la fin de l’existence d’un espace public démocratique national ». « La communication et le débat contradictoire, étayé, sont devenus impossibles. Il n’y a même plus d’effort de la part des deux camps de convaincre car la politique est devenue uniquement un effort de mobilisation et de renforcement de sa propre communauté cognitive et idéologique », estime-t-elle.

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Outre le mensonge, c’est aussi l’insulte en continu que dispense Donald Trump. Une haine protéiforme qui a l’avantage de se propager partout. « Trump réussit à maintenir une violence permanente qui lui permet de dire n’importe quoi pouvant plaire à n’importe qui », observe le sémiologue François Jost. Sauf aux femmes, dont 63 % des 18-29 ans ont voté pour Kamala Harris. L’auteur de L’opinion qui ne dit pas son nom (Gallimard, Tract, 2024) a retrouvé cette violence dans une vidéo où l’on voit le milliardaire insulter un technicien pour un micro défaillant. « Il est prêt à passer du langage au poing. Un style qui se rapproche de celui de Jean-Marie Le Pen », explique-t-il.

Cette « virilité toxique » ne se traduit pas dans l’attitude du président actuel du Rassemblement national (RN), Jordan Bardella. Entre 2002 et 2024, la normalisation du RN a poli le discours du parti d’extrême droite. D’où les applaudissements discrets de ses cadres après la victoire de Donald Trump. Jordan Bardella a invité sobrement, sur X, au « réveil » français. Sur CNews, le membre du bureau national du RN et député de la Somme Jean-Philippe Tanguy ne trouve que « le respect du peuple » comme point commun entre Donald Trump et Marine Le Pen.

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Un élément de langage difficile à accepter tant la victoire du milliardaire en 2020 avait été célébrée parmi les cadres du RN. Côté différence, difficile de bien comprendre. « Un rapport à l’excès » causé par « les médias américains », poursuit le député, visiblement à court d’arguments. Si Marine Le Pen ou Jordan Bardella tentent d’assurer leur respectueuse absence dans la course au plus mauvais sosie de Donald Trump, Éric Zemmour et Éric Ciotti, eux, y sont les principaux compétiteurs. Avec un ennemi commun : le wokisme et les médias.

Le premier a célébré la « défaite de toutes les révolutions de la gauche » au micro du Grand Jury-RTL, dimanche 10 novembre. Avant d’adresser une pique à Marine Le Pen en estimant que la dédiabolisation dont a bénéficié la triple candidate à l’élection présidentielle refléterait une « soumission au diktat de la gauche et des médias ». « Donald Trump gagne avec une stratégie qui est à l’opposé, il affronte les médias, ne se soumet pas idéologiquement », assure celui qui dit, pourtant, ne pas vouloir être le « Trump français ».

Un porte-voix trumpiste chez Éric Ciotti

Sur le plateau de Cyril Hanouna, Éric Ciotti, lui, peaufine son rapport aux faits : « La politique, de plus en plus, ce doit être la vérité. Ce doit être la fin de la langue de bois, de ce que l’on cache. » Complotisme et xénophobie. Le député a repris ce cocktail d’outre-Atlantique, en important aussi l’un des porte-voix trumpistes en France, Nicolas Conquer, qui a rejoint son mouvement, l’Union des droites pour la République (UDR).

Il faut absolument protéger le pluralisme et l’indépendance éditoriale des médias.

C. Alduy

Même si, pour l’instant, Hanouna et sa bande préfèrent voir « sur la forme » du Trump dans Jean-Luc Mélenchon plutôt que dans Marine Le Pen. Confondant ainsi un régime de conflictualité introduit par La France insoumise depuis plusieurs années avec l’insulte permanente de Trump. « Un poncif », balaie Danièle Obono. « Ça n’a pas besoin d’être cohérent : l’objectif, c’est de disqualifier. Les macronistes font cette analogie depuis sept ans. »

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Alors Éric Ciotti martèle : « La victoire de Trump fait tomber des tabous en France. On nous ment. On ne nous dit pas la vérité depuis des années. » Une attaque supplémentaire adressée à l’audiovisuel public, que l’élu veut voir privatisé. Comment riposter à ce spectacle de la peur ? Cécile Alduy mentionne une priorité : « Il faut absolument protéger le pluralisme et l’indépendance éditoriale des médias. » Le tout, afin de garantir « un réveil démocratique puissant pour ne rien laisser passer sur le rapport à la vérité et l’expression de la violence verbale ».

Contrer la privatisation des médias, et être capable de répondre à Jordan Bardella lorsqu’il ose, dans le tract de Vincent Bolloré qu’est devenu Le JDD : « Je ne suis pas d’extrême droite, je ne le serai jamais. »

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