Pourquoi les Démocrates ont perdu l’élection présidentielle
Après la défaite de Kamala Harris, les voix critiques de son parti pointent son « progressisme », l’absence de considération des classes populaires et le coût de la vie aux États-Unis. Les positions centristes de la candidate pour convaincre les électeurs indécis n’ont pas suffi.
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Y a-t-il une gauche aux États-unis ? Post-vérité : comment Trump irradie en France Défaite de Kamala Harris : secousses dans la gauche française Après la victoire de Trump, en Ukraine, l’angoisse de l’incertitudeLe réveil a été difficile pour les Démocrates. Alors que, par le passé, il avait fallu attendre plusieurs jours pour avoir les résultats des élections, Donald Trump s’est déclaré gagnant dans la nuit du 5 au 6 novembre. Peu après, les médias états-uniens ont confirmé qu’il devenait le 47e président des États-Unis. Le samedi 9 novembre, les décomptes étaient terminés dans les sept swing states, ces États clés où se jouait la course à la Maison Blanche.
Donald Trump les a tous remportés, totalisant 312 grands électeurs en sa faveur – chaque État vote pour un nombre de grands électeurs qui éliront plus tard officiellement le président – contre 226 pour Kamala Harris (il en fallait 270 pour gagner). La victoire est écrasante.
Donald Trump est devenu le premier président républicain à avoir remporté le vote populaire depuis vingt ans, soit la majorité de l’ensemble des électeurs. Avant l’élection, il avait estimé qu’y parvenir serait « difficile ». Dans cette course qui s’annonçait historiquement serrée, le candidat a récupéré plus d’électeurs qu’il y a quatre ans, tandis que Kamala Harris en a obtenu moins que Joe Biden à la dernière présidentielle.
La principale préoccupation des électeurs était l’économie. Même si le bilan macroéconomique de Joe Biden est positif, les citoyens ont vu les prix s’envoler ces quatre dernières années et ont dû faire face à un coût de la vie élevé. « Ça ne devrait pas être une surprise qu’un Parti démocrate qui a abandonné la classe ouvrière découvre que cette classe l’a abandonné », a réagi dans un communiqué le sénateur du Vermont et figure de l’aile gauche du Parti démocrate Bernie Sanders.
Est-ce que les détenteurs de gros intérêts financiers et les consultants très bien payés qui contrôlent le Parti démocrate vont tirer de vraies leçons de cette campagne désastreuse ?
B. Sanders
« Est-ce que les détenteurs de gros intérêts financiers et les consultants très bien payés qui contrôlent le Parti démocrate vont tirer de vraies leçons de cette campagne désastreuse ? Est-ce qu’ils vont comprendre la douleur et l’aliénation politique que vivent des dizaines de millions d’Américains ? Est-ce qu’ils ont ne serait-ce qu’une idée de comment nous pourrions nous attaquer à l’oligarchie de plus en plus puissante qui dispose de tant de pouvoir économique et politique ? Sûrement pas. Dans les semaines et les mois à venir, ceux d’entre nous qui sont préoccupés par la démocratie locale et la justice économique ont besoin d’avoir de très sérieuses discussions politiques », poursuivait-il.
De fait, cette question du pouvoir d’achat a détourné des électorats pourtant traditionnellement favorables aux Démocrates. Donald Trump a obtenu 43 % des voix des 18-29 ans, selon des sondages à la sortie des urnes réalisés par le média NBC, alors qu’en moyenne les jeunes votent jusqu’à 60 % pour les Démocrates.
Le Républicain a élargi sa base électorale parmi les hommes blancs, son principal électorat, en obtenant le soutien de 60 % d’entre eux, selon les mêmes sondages. Le milliardaire a également récupéré certaines voix, en moindre proportion, chez les hommes latinos et noirs, ainsi que chez les femmes blanches, alors que les Démocrates espéraient mobiliser les électrices sur la question du rétablissement du droit à l’avortement dans l’ensemble du pays.
La « politique identitaire », cause de la défaite
Sur les plateaux de télévision, les analyses pointent du doigt le programme progressiste des Démocrates et leur « politique identitaire » comme raisons de leur défaite. Ceux-ci auraient trop cherché à parler aux minorités sans prendre en compte la principale préoccupation des électeurs.
« On met des pronoms derrière les noms, comme she/her [elle / la sienne], au lieu de dire ‘Vous savez quoi, si je vous appelle par le mauvais pronom, dites-le moi, je m’excuserai, je ne le referai plus’. Arrêtons avec cette posture morale, a critiqué la conseillère démocrate Julie Roginsky, sur CNN. Joe Biden n’est pas responsable de ça, et Kamala Harris non plus, c’est un problème que les Démocrates ont depuis des années. »
Les Démocrates, comme « Big Tent Party » (une « grande tente » abritant un large spectre électoral), comptent à la fois des électeurs centristes sur les questions économiques mais aussi sociétales et d’autres plus à gauche qui réclament des mesures fortes sur la protection des communautés LGBTQ+, notamment les personnes transgenres, et des progrès sociaux.
Les Démocrates doivent arrêter de flatter l’extrême gauche.
T. Suozzi
Mais, depuis la débâcle électorale, les analystes estiment que c’est cette dernière frange du parti qui donne le ton. « Les Démocrates doivent arrêter de flatter l’extrême gauche […]. Je ne veux pas être discriminant contre quiconque, mais je ne pense pas que les garçons biologiques doivent jouer dans des sports avec des filles […]. Les Démocrates ne le disent pas, et ils devraient », a expliqué au New York Times l’élu démocrate au Congrès Tom Suozzi.
Pourtant, la campagne de Kamala Harris a cherché à se défaire de cette image progressiste quand les Républicains ont martelé des attaques transphobes contre les Démocrates, dans un pays où la question des droits des personnes est au cœur de la bataille culturelle. Jusqu’en octobre, Donald Trump a dépensé près de 17 millions de dollars pour des publicités dans lesquelles on voit la vice-présidente, sur des images datant de plusieurs années, défendre les thérapies hormonales et les opérations de changement de genre. « Kamala soutient les changements de sexe pour les prisonniers avec l’argent du contribuable », peut-on lire sur un des posts Instagram de Donald Trump.
Le Républicain a également critiqué la participation d’athlètes transgenres à des compétitions sportives, mais Kamala Harris n’a pas évoqué ces questions dans sa campagne. Interrogée sur ce sujet, qu’elle sait sensible pour ses électeurs, elle a botté en touche. En effet, 61 % des Américains estimaient en 2022 que les athlètes ne devaient participer qu’aux compétitions réservées à leur genre de naissance, selon une étude de MaristPoll.
Si Harris a préféré éviter ce sujet, l’administration de Joe Biden avait déclaré en juin être contre les opérations de transition de genre pour les mineurs (il s’agit d’une des principales batailles dans le pays : la pratique est autorisée ou interdite en fonction des États). La stratégie des Républicains consistant à dépeindre Kamala Harris comme une « menace » progressiste a fonctionné électoralement.
« Nous nous battions contre le canapé »
Même si le rétablissement du droit à l’avortement et un meilleur accès à l’assurance santé étaient des piliers de sa campagne, la candidate démocrate a recentré son discours en revenant sur d’autres sujets. Elle a affirmé ne pas vouloir interdire la fracturation hydraulique – une technique utilisée pour les forages de pétrole et de gaz, très répandue aux États-Unis, qu’elle souhaitait bannir en 2019.
Pendant le débat avec Donald Trump, la vice-présidente s’est aussi vantée d’avoir eu un niveau « historique » de production de pétrole durant le mandat de Joe Biden. Mais, alors que son administration peut se targuer d’un bilan écologique ambitieux, notamment grâce à d’importants investissements dans les énergies vertes avec l’Inflation Reduction Act, le changement climatique était absent de sa campagne.
Sur l’immigration et la question des frontières, qui faisait partie des principales préoccupations des électeurs, Donald Trump est apparu comme la meilleure option. Kamala Harris a pourtant cherché à se montrer ferme sur ce sujet épineux. Si certains électeurs attendaient des propositions ambitieuses, la campagne démocrate n’a pas réussi à exprimer une vision claire.
Nous ne nous battions pas contre Donald Trump, mais pour que les électeurs aillent aux urnes.
N. Williams
« Nous n’avons pas réussi à inciter nos électeurs à se rendre aux urnes […]. Nous ne nous battions pas contre Donald Trump, mais pour que les électeurs aillent aux urnes […]. Nous nous battions contre le canapé, et beaucoup de nos électeurs sont restés à la maison », analysait Nikema Williams, élue au Congrès et cheffe du Parti démocrate de Géorgie. Peut-être qu’avec ce programme édulcoré de son progressisme, les électeurs de gauche n’ont tout simplement pas vu l’intérêt d’élire Kamala Harris, préférant rester sur leur canapé le jour de l’élection.