Africolor, les sons neufs de l’Afrique

À rebours des stéréotypes, le festival Africolor s’attache à explorer et à faire connaître la part la plus créative des musiques africaines – appellation entendue au sens large. Aussi fureteuse que généreuse, jalonnée de propositions inédites, la 35e édition en offre une parfaite démonstration.

Jérôme Provençal  • 27 novembre 2024 abonné·es
Africolor, les sons neufs de l’Afrique
Siti & The Band offre un bel exemple de dialogue entre les genres musicaux.
© Light Palmer

Africolor / jusqu’au 24 décembre /en Île-de-France.

La naissance d’Africolor s’apparente à un conte de Noël haut en couleur. Tout a démarré le 24 décembre 1989, dans l’enceinte du Théâtre Gérard-Philipe à Saint-Denis, sous la forme d’une grande soirée festive destinée à la communauté malienne – majoritairement musulmane – de la ville.

Initiée par Jean-Claude Fall, alors directeur du Théâtre Gérard-Philipe, ladite soirée avait été organisée par Philippe Conrath, grand connaisseur du continent musical noir. Après avoir officié comme chroniqueur pendant une dizaine d’années pour Libération, celui-ci – par ailleurs cofondateur du label Cobalt – cherchait à partager sa passion de façon encore plus concrète.

Devant le succès remporté par ce réveillon inaugural pas très catholique, la décision de poursuivre l’aventure s’est imposée naturellement. Vite étendu à plusieurs soirées, l’événement – qui dure désormais six semaines – est devenu un véritable festival. Si des liens étroits ont été d’abord tissés avec le Mali, le champ d’exploration s’est progressivement élargi à l’Afrique entière, aux Caraïbes et à l’océan Indien (La Réunion et Madagascar).

Rencontre

Inhérente à tous les festivals, la notion de rencontre apparaît vraiment fondamentale dans le cas d’Africolor, qu’il s’agisse de la rencontre entre des publics variés ou entre des artistes de générations et de latitudes (géographiques ou esthétiques) différentes. En outre, la programmation se démarque par la place prépondérante dévolue à la création.

Montrer la créativité des musiques africaines, trop souvent réduites aux formes traditionnelles ou percussives.

S. Lagrave

«C’est essentiel de montrer la créativité des musiques africaines, trop souvent réduites aux formes traditionnelles ou percussives, souligne Sébastien Lagrave, à la tête du festival depuis 2012. Il existe une très grande diversité des gestes créatifs, à des endroits parfois inattendus. Nous ne passons pas de commande, nous nous mettons plutôt dans une posture d’écoute et de choix concerté, en cherchant à susciter la rencontre la plus pertinente, propice à un échange musical fertile, et en accompagnant les artistes tout au long de leur cheminement. »

S’il s’est inscrit dans la continuité du travail accompli par Philippe Conrath, sur le plan des principales lignes directrices comme sur celui des relations avec les artistes et les partenaires, Sébastien Lagrave a bien sûr apporté quelques inflexions personnelles. Côté artistique, il a ouvert Africolor à d’autres mouvances sonores, en particulier les musiques dites urbaines (hip-hop, R’n’B…) et les musiques électroniques.

Activisme

Se tournant vers des pays peu représentés auparavant, notamment en Afrique de l’Est (Ouganda, Tanzanie, Kenya), il a également étendu le territoire géographique du festival, désormais proposé à travers toute l’Île-de-France, et plus seulement en Seine-Saint-Denis, son département d’origine. Une quinzaine de villes participent ainsi à l’édition 2024.

Dense, éclectique et prospective, celle-ci témoigne d’un activisme toujours aussi obstiné face à toutes les difficultés, les moindres n’étant pas celles qui concernent la circulation des artistes et la délivrance des visas. À l’automne 2023, Zone franche – réseau professionnel reliant de nombreuses structures, dont l’association Africolor, actives dans la sphère des musiques du monde – a déclenché une mobilisation officielle sur cette problématique de circulation des artistes, particulièrement saillante en ce moment au Mali, au Niger et au Burkina Faso.

À entendre le nouveau ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau (…) on peut craindre que la situation devienne encore plus compliquée. 

S. Lagrave

« La situation intérieure dans ces trois pays s’est largement dégradée en l’espace d’un an, déplore Sébastien Lagrave. On constate une augmentation des violences perpétrées par les groupes jihadistes, qui administrent désormais des régions entières. L’impact sur la vie quotidienne est épouvantable. Beaucoup d’opposants sont arrêtés, d’autres bâillonnés. Étant souvent les premières victimes, les artistes se trouvent réduits au silence quand ils n’évoluent pas dans les cercles du pouvoir. »

Avec l’appui du ministère de la Culture, Africolor a réussi à mettre en place une sorte d’exception culturelle pour la circulation des artistes en provenance des pays sous haute tension. « Le passage reste néanmoins au compte-goutte, soumis à l’appréciation des consulats ou instituts français, précise Sébastien Lagrave. À entendre le nouveau ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, qui veut durcir de manière générale les conditions d’entrée des personnes étrangères sur le territoire français, on peut craindre que la situation devienne encore plus compliquée. »

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Par ailleurs, le festival – qui a frôlé la disparition au mitan des années 1990 – doit toujours et encore s’adapter à la dure réalité économique. Régulièrement touché par des coupes financières au long de son histoire, il subit cette année une défection notable, en l’occurrence celle du Centre national de la musique (CNM). D’un montant de 10 000 euros, la subvention allouée par le CNM a été supprimée au motif qu’Africolor s’étend sur plus de trente jours, bien au-delà de la durée moyenne d’un festival musical standard.

Si la somme perdue peut sembler chiche à l’aune du budget global (430 000 euros), cette décision a néanmoins une conséquence négative, car elle affecte la partie de l’activité qui permet de réaliser des coproductions et de soutenir des créations. « À un niveau plus large, cela traduit l’influence croissante des producteurs privés des grands festivals d’été sur la prise de décision d’organismes étatiques tels que le CNM », analyse Sébastien Lagrave.

Actions pédagogiques

Grâce au soutien persistant de ses principaux autres partenaires institutionnels, à commencer par le conseil départemental de la Seine-Saint-Denis, l’association Africolor poursuit son vaillant cheminement. En parallèle du festival, elle continue de mener des actions pédagogiques à l’année et de s’engager dans des projets de coopération internationale, visant notamment à aider à monter des festivals dans les pays du continent africain (par exemple le Festival des communes aux Comores) et à accroître les possibilités de formation sur place.

Africolor

« En 2024, Africolor fête ses 35 ans et, si le monde de 1989 a disparu, il faut encore et toujours marteler les esprits et les balafons, pincer les rêves et les cordes, frotter les cordes et les mains, pour rappeler aux âmes congelées dans la peur que l’Afrique est partout et que c’est une bonne nouvelle », écrit Sébastien Lagrave avec un enthousiasme très communicatif dans son édito de l’édition 2024.

Présentée à deux moments différents, la création cosignée par Fabrizio Rat – aventureux musicien italien (pianiste/claviériste et compositeur), installé en France de longue date, qui gravite entre électro et musique contemporaine – et Ophélia Hié – musicienne française d’ascendance burkinabée, virtuose du balafon – apparaît emblématique du festival dans la mesure où elle se situe au croisement de plusieurs cultures et tend vers une terra incognita.

Vibrations

Un autre bel exemple de dialogue transversal est offert par Kuvuka Mipaka (« Traverser les frontières », en swahili), projet réunissant Siti Amina (chant, oud), Siân Pottok (chant, kamélé n’goni) et Dima Tsypkin (violoncelle). Émerge également, dans le même esprit, la rencontre au sommet du groove entre le sextette français imbibé d’éthio-jazz Arat Kilo, la diva malienne Mamani Keita et l’acrobate vocal états-unien Mike Ladd.

Répartie sur plusieurs soirs, dans des configurations diverses (dont une confrontation entre électro et tradition), une éminente délégation guyanaise – la chanteuse Aminata Saint-Orice, la DJ Wakanda ETNi et la tambourinante famille Cippe – promet, elle aussi, de stimulantes vibrations.

Citons encore la rencontre entre la chanteuse algérienne Souad Asla et l’illustre pianiste cubain Omar Sosa ainsi que « L’Afrique en-chante Kassav’ », concert-hommage au légendaire groupe de zouk proposé par un ample orchestre panafricain, sous la conduite du talentueux musicien franco-camerounais Blick Bassy. Enfin, cerise rituelle sur le gâteau : une grande soirée de Noël au son de musiques du Mali, menée principalement par les chanteuses Mah Damba et Fanta Sayon Sissoko.

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Musique
Temps de lecture : 7 minutes