Festival : « Un week-end à l’Est », destination Erevan
Explorant la partie orientale du continent européen, si fragile sur le plan géopolitique, le festival parisien Un week-end à l’Est met cette année en lumière l’Arménie et sa capitale via une dense programmation pluridisciplinaire.
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Un week-end à l’Est / 20 au 30 novembre, à Paris.
Le concept originel d’Un week-end à l’Est a germé au sein de la Librairie polonaise, au cœur du 6e arrondissement de Paris. Consacrée à Varsovie, la première édition a eu lieu en 2016. « Nous avons d’abord pensé créer un festival de littératures des pays de l’Est mais la dimension pluridisciplinaire s’est vite imposée, précise Brigitte Bouchard, cofondatrice et directrice artistique du festival, qui travaillait à l’époque pour la maison d’édition Noir sur Blanc, en lien direct avec la Librairie polonaise. L’idée consiste à proposer un panorama artistique d’une ville sur un week-end élargi, qui se déroule pour l’essentiel dans le même quartier. »
S’étant de plus en plus élargi au niveau temporel (dix jours cette année), Un week-end à l’Est – qui a déjà un partenariat récurrent avec la Maison de la poésie, dans le 1er arrondissement – devrait se déployer encore davantage au-delà du 6e arrondissement à l’avenir.
« Les pays de l’Est portent en eux beaucoup de tragédies liées à leurs territoires », souligne Brigitte Bouchard à propos de l’axe spatial du festival. S’attachant à entretenir des liens étroits avec chaque ville et chaque pays qu’elle invite, l’équipe organisatrice prend pleinement en compte la situation géopolitique, très fluctuante dans cette partie du monde. « Nous faisons autant que nous pouvons, sachant que nous sommes une toute petite équipe et qu’il y a beaucoup de causes à défendre. »
Initialement prévue avec la Géorgie, l’édition 2022 a ainsi finalement été orientée vers l’Ukraine (Odessa) à la suite de l’invasion du pays par l’armée russe. Dans le même esprit, le festival accueille cette année Erevan, capitale de l’Arménie, en écho au conflit de septembre 2023 dans le Haut-Karabakh, territoire à la population majoritairement arménienne situé en Azerbaïdjan. Dernier en date d’une longue et meurtrière série, ce conflit s’est soldé par une victoire azerbaïdjanaise et a entraîné un exode de la population arménienne.
« Toutes les personnes en exil ont été accueillies en Arménie, relève Brigitte Bouchard. On ressent une solidarité très forte dans le pays comme dans la scène artistique. Nombre d’artistes souffrent de la fragilité de la démocratie et du manque criant de moyens. S’agissant des arts visuels, il n’y a pas de système organisé et quasiment pas de galeries. Chaque artiste s’investit beaucoup auprès d’autres artistes. »
Vitalité
Réparti dans une vingtaine de lieux, le riche volet « arts visuels » de cette édition 2024 restitue bien la vitalité de la scène arménienne contemporaine. Se détache en particulier « Et les frontières deviennent des ponts », un ensemble d’expositions qui creusent par des moyens d’expression très divers la question du territoire. Citons les lithographies de Tigran Sahakyan évoquant les soldats morts lors des guerres de 1991 et 2020, la série photographique réalisée par Areg Balayan durant son service dans l’armée du Haut-Karabakh ou encore les installations vidéo de Gohar Martirosyan explorant la relation entre identité et territoire.
Côté cinéma, entre fictions et documentaires, outre les hommages à Artavazd Pelechian et Sergueï Paradjanov, deux éblouissants poètes du grand écran, citons 1489 de Shoghakat Vardanyan (2023), un documentaire – filmé au téléphone portable – dans lequel la jeune réalisatrice retranscrit au jour le jour l’épreuve qu’elle et ses parents ont traversée durant deux ans à la suite de la disparition en mission de son frère, enrôlé dans le conflit du Haut-Karabakh de 2020.
La partie musicale comprend – entre autres – un concert d’ouverture très transversal orchestré par André Manoukian, une grande soirée d’hommage à Charles Aznavour et la présentation en clôture de The Bird of a Thousand Voices, nouvelle création du pianiste jazz Tigran Hamasyan. Signalons également un récital théâtral autour de la figure du grand poète résistant Missak Manouchian et une soirée centrée sur Rima Pipoyan, activiste phare de la danse contemporaine en Arménie, qui vient présenter notamment la pièce Khali, en première mondiale.