« La généralisation de la contraception n’a pas permis une révolution sexuelle »
Dans son livre Des corps disponibles, la sociologue Cécile Thomé revient sur l’histoire des méthodes contraceptives pour comprendre comment elles façonnent la sexualité hétéro.
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À Toulouse, une véritable « chasse à la pute » Faire la fête entre femmes, un plaisir interdit ? Le regret maternel, indicible tourment Libres de ne pas être mères ?Pendant dix ans, vous avez interrogé des femmes de tous âges sur leur vie contraceptive (1). La contraception est-elle perçue comme une charge par toutes les générations ?
Cécile Thomé : Quand la pilule est arrivée, il n’y avait rien d’aussi efficace. Elle paraissait tellement magique qu’elle n’était pas perçue comme une charge. Au fil du temps, l’idée de pouvoir choisir le moment où l’on tombe enceinte devient de plus en plus normale. Aujourd’hui, on considère le droit à la contraception comme acquis, donc on peut formuler des critiques sans avoir peur qu’il soit supprimé.
Des corps disponibles. Comment la contraception façonne la sexualité hétérosexuelle, Cécile Thomé, La Découverte, 312 pages, 23 euros.
Concernant la charge contraceptive, les critiques s’inscrivent dans un contexte global de remises en question féministes qui tendent à plus d’égalité entre les hommes et les femmes. Ces réflexions sur la contraception émergent en même temps que la remise en cause des hormones. Il y a vraiment des effets de génération en matière de contraception, et les femmes évoluent dans leur réflexion au cours de leur vie.
Dans mes travaux, j’utilise d’ailleurs plutôt le terme de « travail contraceptif ». La charge contraceptive fait écho à l’idée de charge mentale, donc à ce qu’on a dans la tête. En ce qui concerne la contraception, la charge est aussi matérielle : acheter son contraceptif, poser un congé pour aller chez le médecin, gérer les effets secondaires, etc. C’est un travail qui prend du temps de vie disponible.
Il y a des femmes qu’on encourage à faire des enfants, et d’autres pour lesquelles on préfère qu’elles évitent.
Les conséquences sur le corps des femmes avaient-elles été anticipées lorsque la contraception médicale s’est généralisée ?
Au départ, la contraception est tellement vue que comme un progrès que les médecins sont peu attentifs aux retours des femmes sur les effets secondaires, tant dans les phases de test aux États-Unis que lorsqu’elle est prescrite en France. Toutes les femmes ne sont pas traitées de la même manière non plus. La pilule est pensée comme une contraception « mère de famille », pour des raisons d’« harmonie conjugale », pas comme une méthode qui va permettre de profiter de sa jeunesse sexuelle. C’est la contraception proposée aux femmes « éduquées ».
À l’inverse, le stérilet est prescrit aux femmes dont on doute des capacités cognitives, ainsi qu’aux femmes racisées. Aujourd’hui, on voit que l’implant est surprescrit à des femmes en grande difficulté sociale, comme les migrantes subsahariennes. C’est une méthode qui expose à plus d’effets secondaires, mais que les femmes ne peuvent pas retirer seules. Il y a des femmes qu’on encourage à faire des enfants, et d’autres pour lesquelles on préfère qu’elles évitent.
Vous vous intéressez aussi aux effets de la contraception sur la sexualité hétéro. La médicalisation de la contraception a-t-elle vraiment été une « révolution sexuelle » pour les femmes ?
Les statistiques et les témoignages montrent qu’il y a eu une augmentation de la satisfaction sexuelle des femmes à ce moment-là. Une jeune femme aujourd’hui a plus de latitude en matière de sexualité qu’en avait sa grand-mère. En revanche, je ne pense pas qu’on puisse parler de révolution sexuelle. Déjà, il ne s’agit pas d’un changement soudain mais d’un long processus : les rapports entre les hommes et les femmes commençaient déjà à changer avant que la contraception ne se généralise.
Le plaisir féminin est encore peu pris en compte dans les rapports hétéros.
En outre, l’accès à la contraception n’a pas vraiment modifié le script sexuel. Il n’a pas permis de remettre en question la domination masculine. Sept ans après #MeToo, on ne peut toujours pas dire qu’il y ait une égalité entre les hommes et les femmes en matière de sexualité. La prévalence des violences sexuelles montre qu’il reste du chemin à parcourir et que le plaisir féminin est encore peu pris en compte dans les rapports hétéros.