La PMA pour toutes, vraiment ?
En 2021, la loi bioéthique ouvrait la procréation médicalement assistée aux couples de femmes et aux femmes seules. Mais, faute d’anticipation et de moyens, les parcours sont souvent ardus et discriminatoires.
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Libres de ne pas être mères ? Comment le cinéma français fétichise les femmes racisées Contraception : cette pilule qui ne passe plus« Les lesbiennes ont milité dix ans pour cette loi. Quand elle est arrivée, il était trop tard pour moi. » Luce (1) se souvient. La promesse de campagne de François Hollande en 2012, puis celle du candidat Emmanuel Macron en 2017. Les manifs, les tribunes, l’humiliation et, enfin, cette loi en 2021. Luce venait de souffler ses 41 bougies. Devenir mère a toujours été une évidence pour elle, tout comme pour sa compagne de l’époque. Lorsqu’elles se présentent dans un Centre d’étude et de conservation des œufs et du sperme humains (Cecos), le personnel dit à Luce qu’elle est trop âgée.
Les prénoms suivis d’une astérisque ont été changés.
Pourtant, le texte fixe la limite d’accès à la PMA à 45 ans (43 ans pour un prélèvement d’ovocytes). À l’étranger, elle se plie à une batterie de tests et tous les voyants sont verts : analyses sanguines, réserve ovarienne, hormones. Mais le coût d’un parcours à l’étranger est trop lourd. Contrainte à se tourner vers une PMA « artisanale », elle fait plusieurs tentatives, infructueuses, jusqu’à sa séparation et l’abandon du projet. Luce décrit son parcours comme « une série de deuils, de vrais deuils à chaque fois. J’en pleure encore ».
La PMA est-elle vraiment pour toutes ? La loi bioéthique du 2 août 2021 garantit son accès à « tout couple formé d’un homme et d’une femme ou de deux femmes ou toute femme non mariée ». Mais elle occulte totalement les personnes trans et intersexes, en n’envisageant pas, par exemple, qu’un homme trans puisse tomber enceint alors que c’est biologiquement possible.
« Une personne trans peut devoir choisir entre un changement d’état civil et un parcours PMA, en particulier si c’est un homme qui veut mener une grossesse, ce qui donne lieu à des situations absurdes », explique Lisa Carayon, maîtresse de conférences en droit et membre du Groupe d’information et d’action sur les questions procréatives et sexuelles (Giaps), à l’origine de plusieurs recours devant le Conseil d’État.
Délais à rallonge
Plus largement, de nombreuses associations déplorent des délais d’attente affolants ainsi qu’un manque général de moyens et d’organisation donnant lieu à des discriminations d’accès. « Cette loi n’est pas aboutie », tempête Virginie Rio, cofondatrice du collectif BAMP ! Pour cette dernière, l’ouverture de la PMA, « dans le bruit et la fureur » des débats parlementaires, était aussi tardive que mal préparée. En 2021, 3,3 millions d’euros de crédits d’amorçage, puis une enveloppe supplémentaire de 8 millions échelonnés sur deux ans sont débloqués pour augmenter les capacités des 29 Cecos. Des financements « très insuffisants » pour Virginie Rio.
À l’époque ministre de la Santé, Olivier Véran promet dans Têtu de « résorber à six mois le délai d’attente pour obtenir un don de sperme ». Mais une enquête publiée en décembre 2023 par l’Agence de la biomédecine dessine une tendance contraire. Au 1er semestre 2023, le délai moyen s’élevait à 15,8 mois, un chiffre en constance augmentation.
Certaines familles doivent attendre deux ans. Je finis très souvent par les orienter à l’étranger.
E. Versailles
Emma Versailles, présidente de l’association Les Enfants d’Arc en ciel, en constate les effets chaque jour sur le terrain. « Certaines familles doivent attendre deux ans. Je finis très souvent par les orienter à l’étranger. » Un choix pragmatique quand on sait que les chances de réussite d’une PMA diminuent au fil du temps, mais loin d’être accessible à toutes. Pour une PMA en Espagne, il faut compter entre 4 400 euros et 9 000 euros, entre 4 500 euros et 6 000 euros au Danemark et 5 000 euros en Belgique.
Comment expliquer ce blocage ? Avant 2021, il y avait à peu près 2 000 demandes de PMA pour les couples infertiles. Aujourd’hui, elles se situent entre 13 000 et 14 000 par an. Parallèlement, les dons de gamètes ne sont pas plus nombreux, avec 764 donneurs de sperme et 990 donneuses d’ovocytes en 2022.
« Les parcours étaient adaptés à l’affluence des couples hétéros. Les moyens sont restés inchangés et donc, forcément, ça crée une pénurie », estime Emma Versailles. Mais pour Margaux Gandelon, présidente de l’association Mam’en solo, ces délais de prise en charge ne sont pas tant la conséquence d’une pénurie de gamètes que celle d’un manque général de moyens dans l’hôpital public et surtout du fonctionnement opaque des Cecos.
Dans l’usage, chaque centre fixe ses propres règles et trie ses patientes.
Ces centres implantés dans des CHU « ont un fonctionnement indépendant et sont peu contrôlés ». Chaque Cecos gère ses propres stocks sans possibilité de mutualisation. Un problème déjà épinglé en 2019 par la Cour des comptes, qui relevait dans un rapport des résultats « pas optimaux » au regard du taux de naissances et de « l’adéquation des dons de gamètes aux besoins ». Ce fonctionnement rend l’appariement – le choix de gamètes sur la base de critères ethniques –, lorsqu’il est choisi, très compliqué dans le cas des personnes non blanches puisque les donneurs racisés sont beaucoup moins nombreux.
Racisme, grossophobie…
Plus obligatoire depuis un arrêté publié le 14 avril 2022, l’appariement est parfois encore imposé dans certains Cecos. Car, dans l’usage, chaque centre fixe ses propres règles et trie ses patientes, souvent au mépris de la loi. Et les premières à en payer le prix sont « toutes les femmes non-blanches, pas CSP+, grosses, bref, hors des normes », rapporte Margaux Gandelon.
Elle donne l’exemple d’un Cecos qui refuse systématiquement les femmes âgées de moins de 29 ans, et un autre celles avec un IMC (indice de masse corporelle) supérieur à 30 (considéré comme marquant le début de l’obésité). Certains imposent des délais de réflexion et des tests psychologiques supplémentaires, surtout aux femmes seules.
Juridiquement, la PMA est conçue davantage comme un soin que comme un droit.
L. Carayon
« Juridiquement, la PMA est conçue davantage comme un soin que comme un droit », explique Lisa Carayon. Or un médecin en France a la possibilité de refuser le soin que lui demande un patient, hors cas d’urgence vitale, en faisant valoir sa clause de conscience. Une clause de conscience qui exclut les raisons discriminatoires, en théorie.
Daria Marx, militante féministe et fondatrice du collectif Gras politique, ne compte pas le nombre de femmes qui lui écrivent après un refus d’accès à la PMA à cause de leur poids. Selon elle, beaucoup sont fortement incitées à maigrir avant d’entamer une PMA, par le biais d’une chirurgie bariatrique. Une opération lourde et parfois risquée qui, par le temps qu’elle fait perdre aux patientes, réduit inévitablement leurs chances de tomber enceinte.
« La grossophobie médicale pathologise la grosseur. Oui il y a des risques, ils sont connus et identifiés, tout comme dans le cas de femmes très minces et de femmes présentant certaines maladies, mais on devrait être en mesure de les accompagner. » Les discriminations d’accès à la PMA pour les personnes grosses sont parfois plus implicites. Jeanne, travailleuse dans le secteur médico-social, a commencé un parcours PMA à 34 ans alors qu’elle rencontrait des difficultés à tomber enceinte avec son compagnon.
À l’hôpital Cochin, où elle est prise en charge, le médecin qu’elle consulte lui conseille de passer par un praticien privé « pour accéder à un parcours plus rapide », non remboursé. Mais, de fait, Jeanne se retrouve à réaliser ses rendez-vous et consultations au sein de l’hôpital public, à un tarif plus élevé : « J’avais le même parcours que dans le public, mais je payais en plus parce que j’étais grosse. On m’a fait comprendre que c’était le seul moyen d’accéder à une PMA, alors j’ai été contrainte d’accepter. »
Il n’est pas écrit que les personnes grosses n’ont pas le droit à la PMA, elles en sont pourtant largement empêchées.
Jeanne
Pendant quatre ans, Jeanne encaisse les tentatives infructueuses et se sent livrée à elle-même : « Devant ces échecs à répétition, le personnel médical n’a ni changé les protocoles ni demandé d’examens supplémentaires. J’avais des amies en parcours en même temps que moi qui, elles, avaient accès à ces méthodes. » Enfin, elle apprend un jour par des résultats d’analyse de sang envoyés sur son téléphone portable qu’elle arrive en bout de parcours, sans que le personnel qui la suivait depuis quatre ans ne prenne de ses nouvelles.
« Aujourd’hui, conclut la jeune femme, j’ai le sentiment qu’on n’a pas tout fait pour que je tombe enceinte. Il n’est pas écrit que les personnes grosses n’ont pas le droit à la PMA, elles en sont pourtant largement empêchées, sans interdiction explicite ni étude sur d’éventuels risques spécifiques. »