À Zweisimmen, tu accoucheras dans la douceur

Après la fermeture de l’hôpital de cette ville suisse en 2015, une coopérative a été créée par des citoyens. Aujourd’hui, la Maternité alpine accueille une cinquantaine de naissances par an et permet aux femmes de ce canton rural d’être suivies au plus près.

Élodie Potente  • 27 novembre 2024 abonné·es
À Zweisimmen, tu accoucheras dans la douceur
 Susanne Reber, sage-femme en chef de la Maternité alpine, et Anne Speiser, députée du canton de Berne et présidente de la coopérative, dans la chambre de naissance.
© DR

Entre Zweisimmen et Boltigen, la route serpente le long de la rivière Simme. Vitres ouvertes, lunettes de soleil sur le nez, Denise Schranz raconte son quotidien de sage-femme à la Maternité alpine. « J’adore la façon dont nous travaillons ici », témoigne-t-elle. Ce matin-là, la trentenaire, cheveux frisés et yeux rieurs, effectue sa tournée de contrôles post-partum dans le territoire. Après une dizaine de minutes de route, Nadia accueille la sage-femme dans sa maison avec dans les bras la petite Emma, qui a seulement trois semaines.

Tablette à la main, Denise pose des questions à Nadia pour savoir comment elle et son bébé vont depuis l’accouchement. Entourée de son mari et de ses deux premiers enfants, la jeune maman semble apaisée. Ces visites à domicile sont au cœur de la prise en charge de la coopérative pour éviter l’isolement. Après la pesée et des informations données à la famille, la sage-femme range ses affaires et reprend la route de la maternité pour rejoindre ses collègues. Sa garde de 24 heures est terminée, elle va pouvoir se reposer dans l’appartement partagé en colocation avec les autres salariées de la structure.

Ici, ils ont l’habitude de créer des coopératives (…) c’est ancré dans la culture locale.

A. Speiser

En 2015, la maternité de l’hôpital de Zweisimmen (3 000 habitants) a fermé. Un traumatisme pour les futurs parents des vallées rurales du Simmental et du Saanenland, situées à plus d’une heure de Berne, en Suisse allemande. Pour éviter aux femmes d’aller accoucher à plus de soixante kilomètres de chez elles, une cinquantaine de citoyens et de citoyennes se sont rassemblés localement pour créer la Maternité alpine, une coopérative où la prise en charge des accouchements est faite par des sages-femmes via le modèle des maisons de naissance.

Présidente de la structure et députée du canton de Berne, Anne Speiser se souvient du choc et de l’urgence ressentis à l’époque : « On y voyait une menace de fermeture de l’hôpital. » Originaire d’Alsace, elle a passé une grande partie de sa vie dans ce territoire de montagne, où l’agriculture est centrale, la mobilité compliquée et où les valeurs familiales sont bien ancrées.

Une approche différente

Avec fierté, elle se remémore l’ouverture de la coopérative, un an et demi à peine après la fermeture du service hospitalier : « J’ai toujours été admirative des montagnards qui sont solidaires et innovants. Ici, ils ont l’habitude de créer des coopératives pour l’agriculture, la production de fromage, mais aussi pour gérer les routes de montagne, c’est ancré dans la culture locale », détaille-t-elle. C’est désormais dans une maison en bois surplombant le centre-ville que dix sages-femmes permettent aux habitantes de venir donner naissance à leurs enfants en toute sécurité.

Une idée un peu « folle » et en décalage avec ce qui se fait aujourd’hui dans le domaine de la santé. En France comme en Suisse, la disparition des maternités est exponentielle. On en comptait 462 dans l’Hexagone en 2022 contre 721 en 2000 et, dans la république helvétique, 86 en 2017 contre 96 en 2012 (1). « Je dis toujours : ‘Heureusement qu’on n’a pas su tout de suite dans quoi on s’était engagés’ », sourit l’élue.

1

On compte également 9 maisons de naissance, gérées par des sages-femmes, en France et 24 en Suisse.

Avec seulement une cinquantaine d’accouchements par an, la Maternité alpine se tient hors des logiques économiques des grandes structures de santé. La gouvernance collective permet à tous les adhérents d’avoir une voix, quel que soit le nombre de leurs parts. Malgré tout, la coopérative a connu son lot de difficultés : peu de places malgré les demandes, impossibilité de prendre en charge les grossesses à risque, et des gardes de 24 heures pour rester au plus près des femmes. Les coûts de fonctionnement d’environ 400 000 francs suisses par an sont difficiles à tenir.

 Ici, la vie est plus simple et je suis souvent surprise par la maîtrise des femmes lors de leur accouchement .

S. Reber

La structure est financée par les dons, les achats de parts (on compte 320 adhérents), les financements des communes engagées dans le projet, mais aussi les actes médicaux remboursés en partie par l’assurance maladie des patientes. En 2021, un financement participatif a été lancé pour ne pas fermer. Parce qu’elle a été pensée par les ruraux pour les ruraux et qu’il était question de la sécurité des femmes, elle a été sauvée : « C’est la seule solution qu’elles ont si elles veulent accoucher près de chez elles », souligne Susanne Reber, sage-femme en chef. Pour Anne Speiser, c’est aussi une question d’attractivité, pour que les jeunes restent ou reviennent s’installer.

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Loin des « tendances » citadines de l’accouchement physiologique, les femmes sont accompagnées ici dans des plans de grossesse plus « naturels ». Dans la salle d’accouchement, on trouve d’ailleurs une baignoire en plus du lit. « Ici, la vie est plus simple et je suis souvent surprise par la maîtrise des femmes lors de leur accouchement », détaille Susanne Reber.

Une structure qui attire les professionnelles

Mais c’est aussi tout ce qui entoure le moment de la naissance qui est innovant. À l’étage de la maison, par exemple, une chambre est dédiée au post-partum pour se reposer après l’accouchement. Une gouvernante prépare aux parents les différents repas de la journée. Un temps de calme bienvenu dans la tempête que représente -l’arrivée d’un -nouveau-né. Et une « prestation » que l’on ne trouve pas dans les maternités classiques (on compte par exemple 3 900 accouchements par an dans la plus grande maternité de Suisse et 3 900 également en moyenne dans les plus grandes maternités françaises) et qui n’est pas toujours possible en maisons de naissance.

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Dans la salle commune, on trouve aussi une zone « famille » où les proches peuvent venir en visite. « Si, pour les accouchements, nous n’avons que des locales, certaines femmes viennent d’autres cantons pour le post-partum », indique Susanne Reber. « Les femmes et les familles nous disent souvent qu’elles apprécient de savoir qu’il y a quelqu’un 24 heures sur 24, sept jours sur sept. Ça les rassure de pouvoir venir nous voir ou nous appeler à tout moment s’il y a un problème. »

Les femmes apprécient de savoir qu’il y a quelqu’un 24  heures sur 24, sept jours sur sept.

Sur la terrasse de la maternité, les rires fusent. Les petites joies et les inquiétudes du quotidien se partagent là, au moment du repas des salariées. Puis la sonnette retentit et chacune reprend son poste. Toutes ont choisi d’être là : « 75 % des sages-femmes qui travaillent à la Maternité alpine viennent de la ville », souligne Anne Speiser. Un chiffre important quand on connaît les difficultés du métier : un rapport du Collège national des sages-femmes montrait qu’en France, en 2020, environ 40 % des sages-femmes étaient en burn-out, notamment au sein des hôpitaux.

« J’ai travaillé sept ans dans un grand hôpital au centre de la Suisse, il y a eu pas mal de changement au niveau du management, une sorte d’“optimisation” de nos tâches et je n’y trouvais plus mon compte », explique par exemple Susanne. À Zweisimmen, elle s’est rapprochée de Berne, où elle vit. Elle a surtout retrouvé son cœur de métier au plus près des femmes, avec une grande autonomie dans le travail et une vraie solidarité d’équipe.

La proximité comme enjeu de santé

« La voiture est un vrai sujet », expliquent plusieurs sages-femmes. « Comme beaucoup d’entre nous viennent des villes, certaines ne sont pas habituées à conduire sur le verglas et la neige en pleine montagne ! » Certains contrôles post-partum se font en alpage et, si la conduite est au départ difficile, beaucoup finissent par s’habituer à la beauté des routes sinueuses : « C’est chouette de pouvoir sillonner le territoire pour des visites », explique Denise.

C’est la meilleure chose que j’ai faite en tant qu’élue.

A. Speiser

La coopérative donne des perspectives sur ce que pourrait être la santé de proximité, surtout à l’heure des déserts médicaux qui s’aggravent et de la fermeture des plus petits hôpitaux. La FMH (Swiss Medical Association) indiquait qu’en 2023 un médecin sur deux en exercice en Suisse était âgé de 50 ans ou plus, et un sur quatre de 60 ans ou plus.

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En France, entre 6 et 8 millions de personnes vivent dans un désert médical, selon un rapport du Sénat publié en 2020. La gynécologie, et plus globalement la santé des femmes, est souvent le parent pauvre dans les zones en déficit de soignants (2). À la Maternité alpine, un lien a été construit avec l’hôpital de Zweisimmen, présent en cas d’urgence avec un hélicoptère pour pouvoir transférer les patientes. Des gynécologues libérales sont aussi impliquées dans la structure et suivent les femmes en consultation.

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 D’après le rapport du Sénat français Femmes et ruralités. En finir avec les zones blanches de l’égalité, on compte en moyenne « 2,6 gynécologues médicaux pour 100 000 femmes en âge de consulter en France, mais, dans 77 départements sur 101, cette densité est inférieure à la moyenne nationale et 13 départements en sont dépourvus ; le nombre de maternités a été divisé par 3 en quarante ans, les femmes ont plus difficilement accès aux centres de santé et aux médecins spécialistes éloignés ».

Sept ans après son ouverture, la coopérative a accompagné «près de 400 naissances et 320 femmes avec nouveau-né en chambre stationnaire », les sages-femmes parcourent environ 14 000 kilomètres par an pour des visites post-partum.  « Ma petite-fille est née ici », témoigne Anne Speiser. Une belle façon de voir en œuvre son engagement politique pour les femmes rurales : « C’est la meilleure chose que j’ai faite en tant qu’élue », conclut-elle.

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