Femmes : au XIXe siècle, un destin de génitrices

Le XIXe siècle a essentialisé les femmes en les réduisant à leur corps. La morale bourgeoise et l’hygiénisme étaient triomphants.

Christophe Kantcheff  • 15 novembre 2024 abonnés
Femmes : au XIXe siècle, un destin de génitrices
Gravure sur cuivre par Andrew Bell, d'après une illustration de Jan Van Rymsdyk, Édimbourg, 1780.
© Florilegius/Leemage

« Nous autres peuples d’Occident, nous avons tout gâté en traitant les femmes trop bien… Elles ne doivent pas être regardées comme les égales des hommes, et ne sont, en réalité, que des machines à faire des enfants. » Ces paroles prononcées au début du XIXe siècle n’auguraient rien de bon. Napoléon Ier en est l’auteur, le même qui par son code civil (1804) a inscrit l’infériorité des femmes dans la loi. Plus encore : le code Napoléon a interdit la recherche de paternité. Une façon d’offrir les femmes à la lubricité du plus fort : la courbe des naissances illégitimes fit un bond, comme celle des abandons d’enfants.

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Le XIXe siècle, ennemi des femmes ? L’image est tenace, presque un cliché. Sans doute faudrait-il mieux considérer cette période de façon dialectique, entre domination et transformations profondes les conduisant vers une autonomie, comme Geneviève Fraisse et Michelle Perrot l’ont fait quand elles ont dirigé, en 1991, le tome IV d’Histoire des femmes en Occident, consacré au XIXe siècle. Le féminisme n’a-t-il pas pris son essor après 1850 ?

Tout de même, des vérités participent de certains lieux communs. Ainsi, il est incontestable qu’après la Révolution s’ouvre l’ère de la morale bourgeoise, soutenue par l’avènement de l’hygiénisme, où le mépris envers les femmes se double d’hypocrisie.

« Maîtresses de maison » 

Par exemple, dans l’ordre du vêtement : la relégation au rôle d’épouse et surtout de mère ne doit pas effacer l’exigence de séduction. D’où la vogue durable du corset – pour les couches de la société les moins populaires –, qui réapparaît en 1810 après avoir reculé au XVIIIe siècle, avec un double objectif : esthétique et de maintien. L’effet de compression affine la taille et fait ressortir les formes, l’époque voulant que les apparences féminines et masculines soient les plus dissemblables possible – George Sand en savait quelque chose, elle qui fut amplement moquée pour ses costumes, le port du pantalon étant même interdit, assimilant celles qui le portaient aux travesties, condamnées à la prison.

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Le modèle bourgeois de la femme au foyer s’impose, y compris dans le monde ouvrier (surtout dans les représentations, comme on peut le voir encore en 1913 sur des affiches de la CGT en faveur de la réduction de la journée de travail, où l’épouse attend son mari dans un intérieur impeccable), mais non chez les paysans. Confinées au foyer, « maîtresses de maison », les femmes ont pour tâche l’éducation des enfants, qui cependant sont moins nombreux à venir au monde depuis la fin du siècle précédent grâce au contrôle des naissances, plus ou moins et différemment appliqué en fonction des milieux sociaux.

La plupart accouchent chez elles, l’hôpital n’accueillant alors que les miséreuses, où le taux de mortalité maternelle est de 10 à 20 %, jusqu’à ce que les principes de l’antisepsie soient appliqués, à partir de 1870. L’accouchement étant souvent très douloureux, on utilise l’éther et le chloroforme comme anesthésiants, quand on peut y avoir accès, malgré les préceptes religieux enjoignant d’accepter cette souffrance.

La relégation au rôle d’épouse et surtout de mère ne doit pas effacer l’exigence de séduction.

Les filles et les femmes sont considérées par les médecins, en raison de leur « faiblesse » naturelle, comme des malades perpétuelles. Il est vrai que leur taux de mortalité est plus élevé que celui des hommes, mais les facteurs sociaux sont en cause. L’hystérie, associée à la folie (ainsi qu’à la nymphomanie et à l’onanisme), est vue comme étant la maladie féminine par excellence, qui serait due aux particularismes biologiques des femmes. Elle leur vaut d’être aliénées, enfermées dans des asiles où les mauvais traitements sont légion.

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Une autre « thérapeutique » a également cours, l’ablation du clitoris, pratiquée surtout dans la première moitié du siècle. Jean-Martin Charcot, pourtant grand neurologue ayant mis au jour plusieurs maladies jusqu’alors inconnues, fera de l’hystérie, dans la dernière partie de sa vie, son objet d’étude, utilisant des femmes pour spectaculariser ses recherches, que seul Freud rendra fécondes.

Plaisir suspect

Alors que le plaisir féminin est tenu pour suspect, surtout dans ses « excès », la reconnaissance de la virilité des hommes passe par la représentation d’une puissance sexuelle devant trouver à s’exprimer – d’où le recours aux prostituées, aux bonnes et autres servantes de ferme. Des viols, des violences ont cours dans le cadre privé, mais ce type d’exactions, tout comme le harcèlement sexuel, est aussi commis dans les usines et les entreprises, les patrons et les petits chefs menaçant de sanctions celles qui ne se plient pas à leurs desiderata.

En outre, les ouvrières sont vues comme des concurrentes par leurs collègues masculins, qui préfèrent les savoir à la maison, les syndicats ne relayant pas leurs revendications sur l’égalité salariale ou les horaires de travail.

Pour finir, renvoyons à la littérature naturaliste, diserte sur le corps des femmes dans les milieux populaires, comme ici Émile Zola dans La Fortune des Rougon : « La seconde fille, Gervaise, née l’année suivante, était bancale de naissance. Conçue dans l’ivresse, sans doute pendant une de ces nuits honteuses où les époux s’assommaient, elle avait la cuisse droite déviée et amaigrie, étrange reproduction héréditaire des brutalités que sa mère avait eu à endurer dans une heure de lutte et de soûlerie furieuse. Gervaise resta chétive, et Fine, la voyant toute pâle et toute faible, la mit au régime de l’anisette, sous prétexte qu’elle avait besoin de prendre des forces. La pauvre créature se dessécha davantage. »

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