De quoi la grève du sexe est-elle le non ?
La journaliste et autrice féministe Élise Thiébaut analyse le mouvement coréen 4B, appelant à la grève de toutes les injonctions imposées par le patriarcat, et qui suscite un écho important aux Etats-Unis depuis la réélection de Donald Trump.
dans l’hebdo N° 1838 Acheter ce numéro
Depuis l’élection de Donald Trump aux États-Unis, des femmes appellent à rejoindre le « 4B movement » : pas de mariage, pas de sexe, pas de grossesse, pas de relations amoureuses hétérocis (1). Des millions de tweets et de vidéos ont alors déferlé sur les réseaux sociaux, faisant la joie des masculinistes qui ont remporté cette manche électorale, allant comme Nicolas Fuentes (2) jusqu’à clamer : « Ton corps, mon choix » en éclatant d’un rire sardonique.
Ces quatre items viennent du mouvement radical féministe et misandre 4B né en Corée du Sud en 2016 – chacun des mots, en coréen, commence par un B.
Militant masculiniste, suprémaciste blanc et commentateur politique américain d’extrême droite.
Dire que le masculinisme et le fascisme confisquent notre libido et notre désir de procréer est une évidence, mais est-ce une arme politique adéquate ? me suis-je demandé ? La grève du sexe est une affaire ancienne, déjà racontée en 411 avant J.-C. par Aristophane dans sa pièce Lysistrata, où il met en scène dans une comédie très leste le refus des femmes de Sparte et d’Athènes, alors en guerre, de toute gaudriole tant que les hommes n’auront pas rendu les armes.
En 2015, Spike Lee en fera une extraordinaire adaptation au cinéma, entièrement en vers et en rap, dans les quartiers de Chicago dévastés par les guerres des gangs : Chi-raq. On y voit la grève des femmes essaimer dans le monde entier, comme cela se produit aujourd’hui. Avec une différence de taille : aujourd’hui, ce n’est pas la guerre « en soi » que dénoncent les femmes, mais la guerre contre elles, leur genre, leur sexe, leur corps.
La révolution sera plutôt d’en finir avec l’hétéronormativité, dans la violence et l’absence de consentement.
La journaliste Mona Eltahawy s’inscrit cependant en faux contre le « 4B movement » avec, notamment, cet argument : la grève du sexe revient à faire de cette activité une « rétribution » aux hommes, ce qui est exactement l’attendu patriarcal. Le mouvement 4B a par ailleurs pour effet de détourner le regard des femmes blanches qui ont largement contribué à la victoire de Trump, en proposant exactement ce que prônent les conservateurs : l’abstinence !
En février 1974, dans l’indifférence générale, la pionnière de l’écoféminisme Françoise d’Eaubonne lançait elle aussi dans Charlie Hebdo un appel à la grève des ventres, qui était plutôt une grève de la procréation, alors que la loi Veil sur l’accès à l’avortement venait à peine d’être adoptée, pour en finir avec ce qu’elle appelait « le lapinisme phallocratique ». Elle allait aussi écrire une saga, republiée récemment, mettant en scène un monde sans hommes, après une vraie guerre des sexes : Un Bonheur viril (éd. Des femmes-Antoinette Fouque).
Refuser du sexe, de la monogamie, de la romance et une descendance aux hommes cis est une réaction qu’on pourrait qualifier de normale par les temps qui courent. Mais la révolution sera plutôt d’en finir avec l’hétéronormativité, dans la violence et l’absence de consentement. Apprenons plutôt à dire oui à nos désirs multiples et divers, tout en tenant les piquets de grève contre toutes les violences racistes, sexuelles et sexistes, homophobes, écologiques et économiques !
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