Jeu vidéo : un tiers des effectifs du studio français Don’t Nod menacé de licenciement

Les employés du studio sont en grève. Ils mettent en cause une gestion fautive de la direction et exigent l’abandon du plan, révélateur des tensions grandissantes dans le secteur du jeu vidéo.

Maxime Sirvins  • 9 novembre 2024
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Jeu vidéo : un tiers des effectifs du studio français Don’t Nod menacé de licenciement
Image tirée du jeu "Life Is Strange" de Don't Nod.
© Don't Nod

Le studio français Don’t Nod, à l’origine de jeux acclamés comme Life is Strange ou Jusant, traverse une crise sociale majeure. Ce vendredi 8 novembre, à l’appel du Syndicat des travailleurs et travailleuses du jeu vidéo (STJV), les employés étaient en grève toute la journée, dénonçant un plan de licenciement annoncé le 16 octobre par le PDG de l’entreprise, Oskar Guilbert.

69 postes sont menacés, soit presque 30 % des postes parisiens du studio. Ce plan, présenté comme une réponse aux difficultés financières du studio, met en lumière une série de désaccords entre la direction et le personnel, alors que le syndicat critique une direction chaotique.

 « On demande l’annulation sans concession de ce PSE »

Sur le piquet de grève, non loin de l’entreprise, une vingtaine de salariés sont présents sous les drapeaux du syndicat, alors qu’un espace de discussion a également été mis en ligne pour celles et ceux en télétravail. Ce mouvement s’inscrit dans la continuité d’une première mobilisation en date du 28 octobre, à laquelle avait participé un tiers des employés.

Preuve du niveau de tension entre la direction et les employés, c’est anonymement que les grévistes s’expriment. « On se retrouve face à une procédure qui a été annoncée complétement par surprise même si l’effet est un petit peu raté vu qu’on avait des signes annonciateurs », relate l’un d’eux. Pour les employés, la revendication est simple : « On demande l’annulation sans concession de ce PSE. »

Le seul moment où l’on entend parler du gouvernement, c’est quand Rachida Dati dit : ‘Super le CIJV, ça permet de créer et de maintenir 2 500 emplois’. Mais quels emplois du coup ?

Dans un communiqué destiné à ses actionnaires, Don’t Nod justifie ces licenciements par un contexte économique difficile. La direction invoque les échecs commerciaux de jeux récents comme raison de la restructuration, alors même que la société est cotée en Bourse depuis 2018 et bénéficie d’aides publiques via le crédit d’impôt jeu vidéo (CIJV).

« Il couvre 30 % du montant total des dépenses affectées directement à la création du jeu vidéo, dans une limite de 6 millions d’euros par entreprise et par exercice », explique le ministère de l’Économie. Une aide qui laisse un goût amer chez un employé : « Le seul moment où l’on entend parler du gouvernement, c’est quand Rachida Dati dit : ‘Super le CIJV, ça permet de créer et de maintenir 2 500 emplois’. Mais quels emplois du coup ? » 

Entreprise en crise et erreurs stratégiques

Longtemps perçu comme un symbole de créativité et de progrès social dans le secteur, Don’t Nod semble en rupture avec son image d’origine. Depuis son introduction en Bourse et son expansion rapide, le studio a vu son fonctionnement évoluer « sous la pression des performances financières », précise un gréviste. « La situation actuelle témoigne des contradictions entre les valeurs affichées dans nos jeux et les pratiques internes de l’entreprise. » 

Cette mobilisation chez Don’t Nod illustre une tendance croissante dans le secteur : les conditions de travail sont de plus en plus critiquées, et les employés réclament un dialogue social renforcé. En 2024, l’industrie du jeu vidéo a déjà vu 13 000 licenciements à travers le monde, marquant une année record en termes de restructurations.

Mais plutôt que le dialogue, la direction paraît préférer ignorer les revendications et le CSE. « Systématiquement, la direction esquive, ou répond à côté avec arrogance, condescendance et infantilisation », décrit le SJTV dans une lettre ouverte signée par plus de 160 salariés.

« Depuis l’entrée en Bourse de Don’t Nod, la direction a eu les yeux plus gros que le ventre, raconte un salarié à Politis. Il y a eu beaucoup de projets, jusqu’à six en même temps, en sous-effectifs. » Selon lui, la direction aurait accumulé des erreurs stratégiques, et il déplore un climat social tendu où les échanges avec la direction sont, depuis longtemps, en point de rupture.

Pourtant, les derniers projets ont été salués par les critiques, tel Jusant sorti il y a un an, mais qui a déçu par ses ventes très faibles. Durant la même période, le cours de l’action a perdu 87 % de sa valeur. « On est sous pression, mais on arrive quand même faire des super jeux qui pourtant ne se vendent pas. Pourquoi ? On se pose beaucoup de questions depuis l’année dernière. » Des questions, toujours sans réponse, le CSE n’ayant apparemment jamais eu les éléments nécessaires par « manque de transparence ».

« La suite du mouvement devra probablement se durcir »

Le SJTV appuie cette demande d’annulation du PSE en évoquant des licenciements consécutifs à des erreurs de la direction. « Comment peut-on espérer faire fonctionner l’entreprise avec une direction du studio inconséquente, qui n’apprend pas de ses erreurs, bien qu’ayant déjà vécu un redressement judiciaire en 2014 ? » Avec 69 employés en moins, les grévistes ont du mal à s’imaginer la suite et craignent des conditions de travail « complètement délirantes. »

Pour le SJTV, ce plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) « condamne l’entreprise ». Dans la lettre ouverte, le SJTV explique :  « La seule réponse apportée par la direction étant le licenciement de près d’un tiers des salarié·es, cela ne peut être vu que comme une tentative destinée à rassurer les investisseurs. »  

On ne nous explique rien et on ne nous écoute pas.

« Comment on va pouvoir faire des jeux qui vont plaire aux joueurs et aux joueuses ? Comment on va pouvoir trouver des éditeurs pour financer les projets ? Surement pas comme c’est fait actuellement, mais encore moins avec 30 % des gens en moins », dénonce un gréviste selon qui la situation va devenir « encore pire ». À ce rythme-là, vu l’état des finances de Don’t Nod, le salarié ne donne que « trois ou quatre mois à l’entreprise. » Sur le piquet de grève, la stratégie du studio laisse perplexe. « Il n’y en a pas vraiment en fait, lance un salarié. Ils sont adeptes de la langue de bois, on ne nous explique rien et on ne nous écoute pas. »

Sur le même sujet : Dans le jeu vidéo, l’âpre combat féministe

Les semaines à venir seront déterminantes pour l’avenir de Don’t Nod. Tandis que la direction et le CSE se préparent à reprendre les négociations, l’issue de ce mouvement pourrait bien devenir un symbole pour l’ensemble du secteur, où les tensions entre impératifs financiers et aspirations sociales sont de plus en plus fréquentes.

Pour un membre du CSE, « la suite du mouvement devra probablement se durcir avec un rapprochement des mobilisations », alors que les licenciements pourraient avoir lieu dès le début de 2025. En attendant, les salariés espèrent que leur mobilisation sera entendue, et que l’entreprise, « autrefois porteuse d’une vision créative et humaine du jeu vidéo, renouera avec ses valeurs initiales. »

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