Soulèvements de la Terre : le procès inédit de deux militants écologistes
Ce 22 novembre, Léna Lazare et Basile Dutertre étaient jugés pour ne pas s’être présentés à une commission d’enquête parlementaire créée après la manifestation de mars 2023 à Sainte-Soline. Dénonçant un « acharnement judiciaire », ils risquent de la prison avec sursis et de perdre leurs droits civiques.
Par seulement 2°C, des dizaines de personnes sont rassemblées au petit matin devant le tribunal de Paris, en ce vendredi 22 novembre. Dès neuf heures du matin, deux militants des Soulèvements de la Terre, Léna Lazare et Basile Dutertre, vont comparaître pour avoir refusé de se présenter devant une commission d’enquête parlementaire au printemps 2023. Une première pour ce type de faits sous la Ve République.
Sous la direction de Patrick Hetzel, député LR à l’époque et actuel ministre de l’Enseignement supérieur, cette commission avait pour mission d’enquêter sur « la structuration, le financement, les moyens et les modalités d’action des groupuscules auteurs de violences lors des manifestations et rassemblements organisés entre le 16 mars et le 3 mai 2023 ».
Une attaque envers celles et ceux qui contestent le récit gouvernemental et policier mensonger.
Soulèvements de la Terre
Elle avait été créée en mai 2023, après les rassemblements contre la réforme des retraites et la mobilisation contre les mégabassines, le 25 mars 2023 à Sainte-Soline. Lors de cette dernière, plus de 200 manifestants avaient été blessés, dont 40 grièvement, et deux personnes s’étaient retrouvées dans le coma. Ce n’est pourtant pas sur la réponse policière, mais sur les « groupements violents » que veut se pencher la commission.
Dans ce cadre, plusieurs personnes avaient été convoquées pour répondre aux questions des trente députés qui composent cette commission. Désignés comme représentants légaux des Soulèvements de la Terre, Léna Lazare et Basile Dutertre devaient y être entendus, mais avaient finalement refusé de se présenter.
« Acharnement judiciaire »
« Une commission d’enquête parlementaire est faite pour contrôler l’action du gouvernement, lance Léna Lazare pour justifier ce geste. Ce n’est pas fait pour enquêter sur des délits qui auraient été commis en manifestation. » Basile Dutertre était, en effet, poursuivi pour l’organisation des manifestations de Sainte-Soline. Le 17 janvier 2024, il est finalement condamné à neuf mois de prison avec sursis.
À l’époque, les deux avaient donc préféré répondre aux questions par écrit. Et sont alors poursuivis pour l’infraction de « non-présentation devant une commission parlementaire ». Ils risquent, au tribunal, d’écoper deux ans emprisonnement et 7 500 euros d’amende chacun. Les Soulèvements de la Terre dénoncent une « attaque » envers « celles et ceux qui contestent le récit gouvernemental et policier mensonger ». De son côté, Léna Lazare parle « d’une volonté d’acharnement judiciaire ».
Devant le tribunal, sous une fine pluie, les soutiens ont répondu à l’appel. On note la présence de Julien Le Guet, porte-parole de Bassines Non Merci, des membres de la LDH, de Laurence Marandola, porte-parole de la Confédération paysanne et de deux députés de la LFI, Ersilia Soudais et Claire Lejeune.
Durant sa prise de parole, Léna Lazare est déterminée, malgré la fatigue. Arrivée difficilement dans la capitale après douze heures de voiture, dont une grande partie coincée dans des embouteillages suite aux chutes de neige, la militante n’a pas dormi de la nuit. Un fort sentiment d’injustice se fait ressentir dans ces mots. Léna Lazare rappelle que lors de cette commission parlementaire, deux autres personnes ne se sont pas présentées, dont la directrice de Twitter France. « Bien entendu, elle n’a pas été inquiétée », explique la jeune femme.
On vient montrer à la fois notre soutien et notre colère.
J. Le Guet
Parmi les soutiens, Julien le Guet fait bloc. « Nous sommes plusieurs à avoir eu des peines de prison avec sursis, ou des amendes, et aujourd’hui, on demande à des camarades de se présenter ici. On vient montrer à la fois notre soutien et notre colère. » Après les prises de parole, la petite foule s’enfonce, frigorifiée, dans l’enceinte judiciaire.
Lourd réquisitoire
Dans la salle d’audience remplie, la défense semble confiante. Basile Dutertre est absent, pour un déplacement professionnel à La Réunion. Devant les magistrats, Maître Matteo Bonaglia, avocat de Basile Dutertre, s’excuse presque que ce dossier tombe dans leurs mains. « C’est la première fois dans l’histoire de la Ve République qu’une personne doit répondre de cette accusation », explique-t-il. Après de longues minutes de débat mouvementé entre les avocats – Me Matteo Bonaglia et Me Raphaël Kempf, et la procureure, la demande de nullité est rejetée et le procès aura bien lieu.
La procureure commence alors son réquisitoire aux magistrats en attaquant frontalement la défense. « On fait fi de la séparation des pouvoirs, on fait fi de la déclaration des droits de l’Homme et on vous demande, à vous, juges, de contrôler la légalité d’une commission d’enquête parlementaire dont vous n’êtes pas compétent. Vous n’avez pas le droit de vous poser cette question. »
Pour elle, le duo d’accusés a fait un « déni de démocratie en ne respectant pas les institutions de la République ». Avant de donner les réquisitions du ministère public contre Léna Lazare et Basile Dutertre, une dernière phrase piquante est lâchée. « Ils ont assumé de ne pas se présenter à la commission. Il va falloir l’assumer aussi aujourd’hui. »
Le ministère public veut les priver de leurs droits démocratiques comme ils n’ont pas réussi à les dissoudre.
R. Kempf
Le ministère public demande alors 2 mois de prison avec sursis pour Léna Lazare, 1 500 euros d’amende et surtout une interdiction de tous ses droits civiques pendant un an. Elle cite l’alinéa 1, 2 et 3 de l’article 131-26 du code pénal. Cela revient à priver la militante de droit de vote, d’éligibilité et du droit « d’exercer une fonction juridictionnelle ou d’être expert devant une juridiction, de représenter ou d’assister une partie devant la justice ». Pour Basile Dutertre la réquisition est équivalente, mais plus lourde. Il est requis 4 mois de prison avec sursis, 3 000 euros d’amendes et privation des droits civiques pendant deux ans.
La défense contre-attaque
Après des cris de stupeur, Me Raphaël Kempf prend rapidement la parole : « Il y a une forte émotion dans la salle. Je la comprends et je la partage. » Il reprend alors point par point les accusations du ministère public. « L’argument du dialogue me semble erroné voire mensonger, lance alors l’avocat. Quand on est convoqué devant une commission d’enquête parlementaire, il n’y pas de dialogue. »
Pour lui, cette commission a voulu se faire le relais de l’exécutif et plus particulièrement de Gérald Darmanin qui avait appelé les militants écologistes des « écoterroristes ». Le raisonnement de la défense devient alors clair. « Un terroriste, c’est un ennemi avec qui on ne peut pas dialoguer. Donc le ministère public veut les priver de leurs droits démocratiques comme ils n’ont pas réussi à les dissoudre et à les emprisonner. »
Deuxième contre-attaque de la défense : dénoncer la création même de cette commission. Pour Raphaël Kempf, « elle ne répond pas aux exigences constitutionnelles ». Il rappelle que dans le même texte qui pénalise le refus d’une présentation, que ce genre de commission a pour objectif le contrôle de l’action du gouvernement et d’examiner les politiques publiques. « Est-ce que c’est le cas ici ? », demande l’avocat dans une question rhétorique.
Des députés ont créé une commission pour examiner la dégradation d’une porte ?
R. Kempf
Pour lui, elle ne traitait que de faits pouvant être reprochés pénalement et il liste ainsi des violences très précises mentionnées dans le rapport, telle cette porte de mairie dégradée lors d’une manifestation. « Des députés ont créé une commission pour examiner la dégradation d’une porte ? » Rires dans la pièce. L’Assemblée nationale a alors, pour la défense, empiété sur le pouvoir de la justice sans respecter la séparation des pouvoirs.
« Quand on voit cela, on est obligé de constater que cette commission ne pouvait pas être constituée », lance l’avocat. Raphaël Kempf souligne que le rapport indique que la commission ne cherchait pas à identifier les auteurs de violences. Pourtant, les questionnaires adressés aux prévenus demandaient s’ils disposaient d’éléments pour « identifier des auteurs de violences ». Cette contradiction mise à jour soulève un rire général dans la salle.
Convocations bancales
Me Matteo Bonaglia prend à son tour la parole, même si les magistrats lui font comprendre que le temps presse. Énième contre-attaque, les avocats ont préparé leurs dossiers. «Pour pouvoir condamner quelqu’un qui n’a pas comparu, encore faut-il qu’il ait été convoqué », lâche l’avocat. C’est là un point central de la stratégie de la défense : Basile Dutertre est en fait l’alias de Joan Monga.
Pourtant, les demandes de convocations ont été envoyées au nom de Dutertre. Une erreur juridique qui risque de faire s’effondrer le dossier. Pour la procureure, Basile Dutertre « n’a peut-être pas le courage d’agir sous son vrai nom et ça interroge ». Un jugement qui fait fortement souffler les militants dans la pièce.
Enfin, alors que la commission a le pouvoir de mobiliser des huissiers, voire la police, pour informer les gens à comparaître, ici tout a été fait par des envois à des mails génériques, tels lessoulevementsdelaterre@riseup.net. Un « procédé d’exigence un peu léger » pour Maître Bonaglia. Dans ces mêmes mails, Léna Lazare est, par ailleurs, convoquée en tant que « représentante » des Soulèvements de la Terre. Le moment pour l’avocat de rappeler encore une fois que le mouvement n’a aucune forme juridique et ne possède donc pas de représentants officiels. Tout le monde peut parler au nom du groupe.
Avec tant d’éléments, les deux avocats demandent alors la relaxe générale des deux militants. Pour le délibéré, il faudra cependant attendre le 17 janvier 2025. En sortant, Léna Lazare et les avocats filent rapidement dans un café non loin, pour faire un point sur la matinée. Sur la route du retour chez elle, elle raconte être « un peu choquée des réquisitions et encore plus pour Joan Monga – Basile Dutertre – qui risque deux fois plus ».
Le gouvernement a allumé tous les contre-feux possibles pour réécrire le récit après la manifestation de Sainte-Soline.
Vincent, lui aussi militant aux Soulèvements de la Terre, qui accompagne Léna et cette dernière se disent « surpris de la faible préparation du ministère public et de la finesse du dossier ». Selon eux, cela crédite ce que racontent les Soulèvements de la Terre « depuis le début et que le gouvernement a allumé tous les contre-feux possibles pour réécrire le récit après la manifestation de Sainte-Soline ». Léna Lazare conclut simplement : « On a fait de notre mieux, on attend le verdict maintenant. »
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