VSS, procès Pelicot… Qu’est-ce que la victimisation secondaire ?

Pour les victimes de violences sexistes et sexuelles, à la blessure des actes criminels s’ajoute parfois aussi celle infligée par les acteurs du système de justice pénale, comme l’illustre le procès des viols de Mazan.

Chloé Bergeret  • 29 novembre 2024 abonné·es
VSS, procès Pelicot… Qu’est-ce que la victimisation secondaire ?
Manifestation organisée par le collectif féministe "Les Amazones". en soutien à Gisèle Pelicot à Avignon, le 25 novembre 2024.
© Christophe SIMON / AFP

« J’ai l’impression que la coupable, c’est moi », déclarait récemment, devant la cour, une Gisèle Pelicot, à bout de forces, brisée par les violences sexuelles subies, mais aussi lessivée par les humiliations et les mauvais traitements vécus au sein du tribunal, pendant le procès des viols de Mazan. Quelques mots qui verbalisent un concept aux contours juridiques flous pour beaucoup, mais primordial dans le traitement des violences sexistes et sexuelles (VSS) : la victimisation secondaire.

C’est une double peine que vivent, souvent, les victimes de violences sexistes et sexuelles. Délais des procédures, questions biaisées par des préjugés sexistes, ignorance des phénomènes de sidération, violence verbale des magistrats, etc. Lors du dépôt de plainte, face aux policiers, mais aussi au tribunal, les plaignantes et plaignants peuvent être confrontés à la victimisation secondaire.

Blessures

Une notion que la chercheuse québécoise Audrey Deschênes, définissait ainsi en 2022, dans son mémoire « Victimisation secondaire : vers la création d’un outil standardisé » : « Elle survient lorsque les victimes d’actes criminels subissent une première blessure par le crime et une seconde par les acteurs du système de justice pénale. »

Sur le même sujet : VSS : au procès, ne pas être victime une seconde fois

Clara Achour, jeune violoncelliste de 24 ans, en a fait la douloureuse expérience. Sur son compte Instagram @surviv_hante, elle documente depuis 2019 son histoire : celle d’une jeune fille qui raconte le viol dont elle a été victime par un ami d’enfance, Hugo, qu’un procès aux assises a fini par acquitter en 2022. « C’est un grand dadais maladroit, complexé par son énorme pénis », entend-elle lors du procès. « La cour a parlé plusieurs fois d’assauts amoureux, pour qualifier ce que moi, j’appelle des viols. » Des formules maladroites ? Pour Clara, ce sont des actes de victimisation secondaire.

On m’a demandé à moi, la plaignante, d’avoir de l’empathie pour l’accusé.

C. Achour

« On m’a demandé à moi, la plaignante, d’avoir de l’empathie pour l’accusé », déplore-t-elle. « En sortant du procès, désespérée, j’ai tenté de mettre fin à mes jours. » La violence que lui avait imposée son agresseur, s’est accompagnée d’une autre, « plus insidieuse » ressentie lors du procès. « L’experte toxicologique censée constater mon empoisonnement à la morphine – élément déterminant pour l’enquête et l’incrimination de viol avec préméditation – n’est même pas venue au tribunal… »

Manquement

Un manquement qui renforce encore plus son sentiment d’avoir été victime de cette double peine, qui, selon les articles 15 et 18 de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, ne devrait pas avoir lieu. Dans ce texte ratifié par la France en 2014, il est écrit que les magistrats doivent disposer d’une formation nécessaire pour prévenir toute victimisation secondaire.

C’est notamment sur ces deux articles, ainsi que sur plusieurs directives européennes que s’appuient huit plaignantes, dont Clara Achour, dans différentes requêtes adressées à la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), qui mettent en cause le traitement des VSS par les autorités judiciaires françaises. Si ces requêtes sont toujours en cours d’examen, des précédents existent dans d’autres pays, où la CEDH a soulevé des biais sexistes lors de la procédure et a statué que les victimes avaient été exposées à une victimisation secondaire.

Sur le même sujet : VSS : vers une prise en charge plus empathique des violences

Pour Sirine Sehil, juriste pénaliste spécialisée dans les VSS, « cette notion est prévue par plusieurs textes européens, qui ont normalement une valeur contraignante, le droit de l’Union européenne s’imposant au droit national. Mais, par manque de moyens, par méconnaissance ainsi qu’à cause d’un fort sexisme intégré dans le milieu judiciaire, les victimes sont parfois maltraitées ». Que peut-on alors attendre des requêtes à la CEDH ? « La Cour européenne est très avancée sur les questions de VSS, mais il est tout à fait possible que les condamnations – si elles ont lieu – passent inaperçues et que la France paie les amendes. C’est bien souvent le cas dans ce genre de décision. »

Il faudrait un fort battage médiatique pour attirer l’attention.

S. Sehil

Pour qu’il y ait des retombées, Sirine Sehil estime qu’il faudrait « un fort battage médiatique pour attirer l’attention ». Menée par la députée insoumise Sarah Legrain, une proposition de résolution visant à mettre fin à la victimisation secondaire lors des procédures judiciaires pour violences sexuelles a été portée à l’Assemblée nationale le 19 novembre dernier. « Un bon début », pour la juriste qui attend « un panel plus large : des formations obligatoires, un accompagnement plus grand des victimes et surtout plus de moyens financiers. C’est le nerf de la guerre. »

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