La santé, c’est (avant tout) celle des hommes !
Les stéréotypes sexistes, encore profondément ancrés dans la recherche et la pratique médicales, entraînent de mauvaises prises en charge et des retards de diagnostic. Les spécificités féminines sont trop souvent ignorées dans les essais cliniques, et les symptômes douloureux banalisés.
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À Zweisimmen, tu accoucheras dans la douceur Cancer du sein : qu’est-ce qui nourrit le crabe ? La ménopause, bouffées de valeur Endométriose : « Quand tu as une crise, tu ne peux plus vivre normalement »Lors d’un arrêt cardiaque en dehors de l’hôpital, les femmes ont un risque de décès deux fois plus élevé par rapport aux hommes, d’après la fondation Agir pour le cœur des femmes. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) rappelle que les maladies cardiovasculaires sont la première cause de mortalité féminine, ce qui représente 200 décès par jour en France.
Les biais sexistes influencent la recherche, les pratiques des soignants et le comportement des malades, au risque d’entraîner une mauvaise prise en charge des femmes. Les discriminations de genre persistent dans le monde des soignants : 39 % des femmes médecins ont été victimes de violences sexistes ou sexuelles pendant les douze derniers mois d’après le baromètre 2024 de l’association Donner des elles à la santé.
L’association alerte sur un autre point : même si la parité est atteinte pour les médecins en poste permanent à l’hôpital, les fonctions à responsabilité sont encore majoritairement attribuées à des hommes. À titre d’exemple, seuls 20 % des prestigieux postes de professeur des universités-praticien hospitalier sont aujourd’hui occupés par des femmes.
Une chaîne d’inégalités
La prise en compte des inégalités de genre dans la recherche médicale est très récente. En particulier pour toutes les maladies qui touchent le cœur et les vaisseaux sanguins. « Avant, on s’occupait assez peu du cœur des femmes, regrette Geneviève Plu-Bureau, professeure de gynécologie médicale et docteure en biomathématique. Les études sur les risques cardiovasculaires ne prenaient pas en compte le genre. » Les femmes ont d’abord été écartées de la majorité des essais cliniques en cardiologie à cause du risque de grossesse.
Les chercheurs ont ainsi longtemps supposé que les résultats obtenus sur des populations masculines pouvaient s’appliquer aux populations féminines. Or « il existe des facteurs de risques particuliers pour les femmes », poursuit Geneviève Plu-Bureau. Si le problème a été identifié, il persiste néanmoins : seulement 38 % des participants aux essais cliniques de cardiologie réalisés entre 2010 et 2017 étaient des femmes, d’après l’American Heart Association.
Le manque de représentativité dans les résultats de recherche a un impact direct sur les pratiques des médecins. « Il existe une véritable chaîne d’inégalités, de l’identification des facteurs de risque à la prise en charge par le personnel médical (comme l’adaptation des doses de traitement, par exemple) en passant par les campagnes de sensibilisation », alerte Elsa Mhanna, neurologue et responsable de la communication pour l’association Donner des elles à la santé.
« Pour moi, il y a un lien évident entre la féminisation des métiers de la santé et l’amélioration de la santé des femmes », résume-t-elle. Or une étude réalisée en 2019 par l’Assurance maladie montre que 79 % des cardiologues libéraux sont des hommes. « Les symptômes des femmes sont souvent minimisés, insiste la neurologue, surtout à cause d’une méconnaissance de leurs spécificités, ce qui induit un retard de prise en charge. »
Le coût de la santé pour les femmes est un sujet qui illustre les inégalités persistantes dans l’accès aux soins. Chaque phase de la vie féminine engendre des dépenses spécifiques, souvent sous-estimées. Par exemple, les règles, qui surviennent environ 500 fois au cours d’une vie, coûtent entre 100 et 150 euros par an, selon une estimation réalisée par Le Monde en 2019. Ces dépenses incluent les protections hygiéniques, les médicaments pour soulager les douleurs menstruelles et les consultations gynécologiques liées au cycle. Les femmes subissant davantage la pauvreté que les hommes, surtout entre 18 et 29 ans, selon l’Insee, ces dépenses représentent un fardeau important pour celles en situation précaire. On parle alors de précarité menstruelle.
La ménopause entraîne elle aussi des frais liés aux symptômes qui peuvent l’accompagner : troubles du sommeil, fatigue, bouffées de chaleur ou encore douleurs articulaires. Les traitements hormonaux substitutifs ne sont remboursés qu’entre 30 et 65 % du tarif de base par la Sécurité sociale. De plus, les consultations gynécologiques, souvent sujettes à des dépassements d’honoraires, renforcent l’injustice économique pour celles qui n’ont pas accès à une mutuelle adaptée. Ces coûts cumulés mettent en évidence la nécessité d’une meilleure prise en charge de la santé des femmes par la Sécurité sociale.
Thomas Lefèvre
Selon la fondation Agir pour le cœur des femmes, « 8 accidents cardiovasculaires sur 10 sont évitables grâce à une meilleure hygiène de vie et un dépistage adapté ». Les professionnels de santé contactés insistent en effet sur l’importance d’une meilleure prévention pour réduire la mortalité cardiovasculaire des femmes, en particulier vis-à-vis des risques associés à la contraception hormonale, la grossesse et la ménopause.
Méconnue endométriose
La cardiologie est loin d’être le seul domaine touché par les stéréotypes de genre. L’endométriose, qui touche une femme sur 10, soit environ 2 millions de personnes en France, est encore largement méconnue et mal prise en charge. Elle est souvent synonyme d’errance médicale pour les personnes atteintes. D’après l’enquête EndoVie conduite par Ispos et EndoFrance en 2020, il s’écoule en moyenne sept ans entre l’apparition des premiers symptômes et le diagnostic.
Plusieurs facteurs entrent en jeu. Premièrement, l’endométriose n’est pas une maladie létale, ce qui explique en partie le retard des recherches sur le sujet. « Certes, c’est une maladie qui n’engage pas le pronostic vital, mais elle entraîne des complications qui peuvent invalider le quotidien », rétorque Yasmine Candau, présidente de l’association EndoFrance. Elle-même a commencé à ressentir de fortes douleurs à 16 ans et n’a été diagnostiquée qu’à 23 ans. « Je n’ai pas bénéficié de la bonne prise en charge, explique-t-elle. Les médecins ne maîtrisaient pas le sujet à l’époque. En 2019, j’ai subi ma onzième chirurgie. On n’opère plus autant aujourd’hui. »
Il n’existe pour le moment aucun véritable traitement spécifique à l’endométriose. « Pour l’instant, la solution thérapeutique généralement proposée est de prescrire une pilule contraceptive aux patientes pour bloquer les règles, ce qui conduit en général à limiter les douleurs, détaille Daniel Vaiman, directeur de recherche à l’Inserm, spécialiste des maladies de la reproduction humaine. La chirurgie intervient éventuellement après. Le traitement d’arrêt des règles ne marche pas pour toutes les patientes. Pour celles qui y résistent, la gestion de la maladie est compliquée, et d’autres approches médicamenteuses devront être développées. »
On dit encore aux femmes : ‘Mais c’est normal, Madame, d’avoir mal pendant les règles.’
M-D. Bressot
Les symptômes varient d’une femme à l’autre, la maladie peut causer de l’infertilité et différents niveaux de douleurs, souvent pendant les menstruations et les rapports sexuels. Dans les cas les plus sévères, les douleurs sont invalidantes. Yasmine Candau estime que, « pendant trop longtemps, on a banalisé la douleur des règles ».
C’est un constat partagé par Marie-Dominique Bressot, sage-femme libérale : « Certains praticiens perpétuent des discours très violents pour les femmes, en déclarant par exemple : ‘Dès que les femmes ont un peu mal au ventre, on leur colle l’endométriose’, ou bien : ‘Mais c’est normal, Madame, d’avoir mal pendant les règles’. C’est très choquant. »
Un enjeu de santé publique existe autour de cette maladie. « On sollicite les pouvoirs publics depuis 2005 et c’est uniquement depuis 2019 que le sujet de l’endométriose est sérieusement pris en considération », souffle Yasmine Candau. La stratégie nationale de lutte contre la maladie, cocréée avec EndoFrance, a été mise en place en 2022 par le gouvernement. La présidente de l’association est optimiste : « Je suis persuadée que ça va changer les choses, même s’il faudra attendre quelques années pour en voir les bénéfices. »
Certains professionnels émettent pourtant des réserves. « On sent qu’il y a une prise de conscience, mais cela ne va pas assez vite, assène Marie-Dominique Bressot. Je suis toujours impressionnée par la méconnaissance de certains praticiens concernant l’endométriose. » Pour elle, il y a un problème de formation des médecins, notamment des radiologues et des échographistes : « certaines femmes atteintes par la maladie ont fait 5, parfois 10 échographies ou IRM, sans avoir de diagnostic », s’étonne-t-elle.
Avec la stratégie nationale, la formation médicale devrait être améliorée sur ce point. L’enquête EndoVie révèle également la méconnaissance du grand public sur le sujet, ce qui peut induire un mauvais accompagnement de la part de l’entourage. Le consensus est clair pour tous les professionnels contactés : il est urgent d’agir pour combler les inégalités de genre, qui affectent directement la santé des femmes.