Les victimes civiles sont déshumanisées car supposément coupables
Nié en Ukraine et à Gaza, le droit international humanitaire est en passe de perdre son bouclier, la Cour pénale internationale, décrédibilisée par de puissants réseaux d’influence, alertent les avocats William Bourdon et Vincent Brengarth, et le journaliste Alain Gresh.
Les Conventions de Genève de 1949 ont posé la première pierre de la protection des civils qui se sont révélés être les principales victimes des conflits depuis ces soixante dernières années.
Le droit international humanitaire prévoit une protection supplémentaire pour les groupes vulnérables comme les femmes, les enfants et les personnes déplacées.
Il repose sur une distinction entre les membres des forces armées conduisant les hostilités et les personnes civiles avec une réserve, les civils qui perdent leur protection de civils quand ils participent directement au conflit.
La destruction du droit international n’épargne aujourd’hui plus les civils.
À l’envers de cette protection, à Gaza, en Ukraine, les civils tendent à perdre cette protection au nom d’une déshumanisation larvée. La raison du plus fort avait déjà conduit l’administration Bush à créer au début des années 2000 la catégorie « des combattants ennemis hors la loi » pour justifier le traitement indigne des détenus à Guantanamo. L’après 2001, avec la guerre préventive puis la « guerre contre le terrorisme », a marqué une étape majeure dans la destruction du droit international. Cette dernière n’épargne aujourd’hui plus les civils. Cette déshumanisation est également favorisée par l’idée funeste et savamment distillée de victimes qui ne seraient finalement pas si innocentes. Elles ont été essentialisées comme des humains portant une part de responsabilité dans le fait de mourir.
Conséquences catastrophiques
C’est une bascule dont on ne peut pas mesurer les conséquences philosophiques, morales catastrophiques, sur notre destin commun.
Des victimes civiles meurent tous les jours en Ukraine, victimes d’une volonté de Moscou de terroriser les populations, de les faire fuir dans le cadre d’un nettoyage ethnique, de briser un pays, qu’il faut à tout prix « dénazifier ». Quand les avions de l’armée israélienne bombardent les camps de déplacés, des écoles, des hôpitaux, des immeubles d’habitation de façon absolument indiscriminée, que cela provoque la mort d’enfants, de femmes, de vieillards, et tout simplement de résidents, pour atteindre une cible militaire, peu leur importe et peu leur importe aussi si la cible est ratée car les corps extraits de l’immeuble effondré, sont des victimes un peu coupables.
Il n’y avait pas d’objection à les tuer puisque dans le seul fait de vivre dans un territoire maudit, elles ont perdu toute protection, même si elles ne participent en rien au conflit. Elles ont été simplement contaminées par des proximités géographiques, familiales ou personnelles, avec ce qui est désigné comme le mal absolu.
Le carnage du 7 octobre est l’expression d’un mépris absolu de la vie.
Quand le ministre de la défense israélien désigne les populations de Gaza comme des animaux-humains, les civils sont déshumanisés et perdent toute protection.
L’éradication du mal absolu conduit à une destruction qui devient de plus en plus absolue du droit international humanitaire.
Une forme de terrorisme d’État
Dans les camps de détention en Israël, des civils totalement innocents comme cela a été démontré par des enquêtes très approfondies d’ONG israéliennes, ont été sauvagement torturés et mutilés. L’interdiction de la torture est un principe fondamental qui s’applique à tous, en toutes circonstances, innocents bien sûr mais également coupables.
Des méthodes qui signent une forme de terrorisme d’État et de parentalité entre les méthodes de Moscou et celles de Tel-Aviv. La responsabilité de la communauté internationale est d’autant plus palpable s’agissant des méthodes de Tel Aviv, qu’elles sont rendues possibles par les armes livrées par les démocraties ce qui n’est pas le cas de Moscou
Les mêmes dirigeants populistes à des échelles différentes, en Israël et en Russie, détruisent le droit international humanitaire tout en détruisant les libertés publiques ou les réduisant, une synchronicité mortifère que rien ne semble devoir arrêter.
Menace sur la Cour pénale internationale
Il a fallu 23 jours aux juges de la CPI pour confirmer, le 17 mars 2023, les mandats d’arrêt requis par le procureur contre Vladimir Poutine. Cela fait 5 mois que le monde retient son souffle face au silence des juges qui doivent trancher la demande de mandat d’arrêt contre le premier ministre israélien.
L’absence de ratification de ces mandats d’arrêt signerait la mort de la Cour pénale internationale.
Il ne suffit pas, en provoquant la mort de 45 000 personnes à Gaza dont 70 % de femmes et d’enfants et de milliers de personnes maintenant au Liban, à Israël de dynamiter le droit international. Il lui faut également détruire la crédibilité de l’institution qui en est le gardien et le bouclier, la Cour pénale internationale.
Dans deux ou trois ans, on écrira un livre sur la puissance des réseaux d’influence mis en œuvre pour faire pression sur la CPI aux fins d’éviter la délivrance de la ratification de ce mandat d’arrêt.
L’absence de ratification de ces mandats d’arrêt signerait la mort de la Cour pénale internationale, la bouche serait bouclée.
Il n’y aurait plus que des victimes un peu coupables et un Occident lourdement coupable d’avoir encouragé, sinon laissé faire en une totale impunité, la commission des crimes les plus graves.
Champagne pour les tyrans et les despotes du monde entier. D’autant plus que les pays occidentaux seront désormais dépourvus de légitimité pour leur faire la morale, eux qui contribuent sous nos yeux à un génocide.
Nous sommes déjà totalement démunis pour leur faire quelque leçon que ce soit.
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