Maintien de l’ordre : arrivée discrète d’un lance-grenades multicoups

Depuis quelques mois, la gendarmerie nationale semble expérimenter une nouvelle arme de maintien de l’ordre. Avec ce lanceur acheté en urgence pour la Nouvelle-Calédonie, ce sont douze grenades qui peuvent être tirées quasi simultanément.

Maxime Sirvins  • 18 novembre 2024
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Maintien de l’ordre : arrivée discrète d’un lance-grenades multicoups
Lance grenades, systèmes de masquage de calibre 56mm et 40x46mm offre une capacité de 4, 8 ou 12 coups fabriqués par TR Equipement.
© Montage : Maxime Sirvins

Vendredi 19 juillet, à Migné-Auxances, dans la Vienne, des militants antimégabassines coupent à travers champs pour éviter les forces de l’ordre. Après trois tirs de grenades lacrymogènes, la paille sèche prend rapidement feu, forçant les manifestants à fuir en panique. Au-dessus, l’hélicoptère de la gendarmerie lance un appel : « Le feu progresse vers vous, rejoignez les zones vertes ! » Mais ce que les militants des Soulèvements de la Terre ne savent pas, c’est qu’ils viennent de faire face à la première utilisation d’une nouvelle arme sur le sol français métropolitain.

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Une arme à 12 canons

Du côté du dispositif des gendarmes, au milieu des fourgons, deux pick-ups se font relativement discrets. Sur leur plateforme arrière, un tout nouveau lance-grenades vise les manifestants. Habituellement, les forces de gendarmerie ne disposent que du lance Cougar pour tirer des grenades de 56 mm à l’unité. Sur les pick-up, les nouveaux équipements permettent de tirer pas une mais douze munitions très rapidement, voire simultanément, à 50, 100 ou 200 mètres, l’arme possédant autant de canons. Un lanceur parfait pour saturer instantanément une grande zone sous la lacrymogène. 

Notre lanceur multicoups 56 mm est en place en Nouvelle-Calédonie depuis des semaines !

À 17 000 km de là, loin de la couverture médiatique massive sur les actions des Soulèvements de la Terre, l’arme a déjà été utilisée. Le 8 juin, alors que des violences secouent la Nouvelle-Calédonie depuis un mois, l’AFP publie une vidéo présentant « la mission sans relâche des gendarmes pour déblayer les routes ». Dans les dernières secondes, on aperçoit un barrage installé par la gendarmerie devant l’aéroport de La Tontouta : blocs de bétons, sacs de sables et armes à feu.

Sur le côté, installé sur un trépied prévu pour recevoir appareils photo et caméras, le nouveau lanceur renforce le dispositif. À la même période, le PDG du fabricant publie une photo de l’arme, montée encore une fois sur un pick-up, en train d’être utilisée par des gendarmes mobiles sur un barrage routier kanak. « Notre lanceur multicoups 56mm est en place en Nouvelle-Calédonie depuis des semaines ! », se félicite le président de l’entreprise.

Le 12 septembre, c’est sur le compte Facebook de la gendarmerie de Nouvelle-Calédonie que l’arme apparaît de nouveau. Durant trois jours, le général Tony Mouchet, directeur des opérations et de l’emploi de la gendarmerie, a effectué un déplacement sur l’île. Lors de sa visite, le « système de masquage 56 mm » lui est présenté, comme le montre une photographie accompagnée du texte : « Explication des différents moyens mis à disposition des GM (gendarmes mobiles) ». Une image dont s’est encore une fois félicité le PDG du fabricant en la partageant sur son compte LinkedIn.

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Une acquisition en urgence

Mais si l’appareil est apparu pour la première fois en Nouvelle-Calédonie, c’est que son achat est directement lié avec les révoltes commencées à la mi-mai 2024. Dans les documents fournis par le ministère de l’Intérieur à Politis, le territoire est mentionné dès le début. « Suite à la crise sécuritaire en Nouvelle-Calédonie de grande ampleur qui a débuté le 15 mai 2024. Les forces de l’ordre ont un nouveau besoin en lance-grenades multicoups. »

Pour faire face à cette « situation de grande instabilité et aux hostilités rencontrées », un achat est prévu de six lanceurs pour un montant d’environ 100 000 €. Une commande légère qui montre que le système est encore en expérimentation. Très basique, c’est son fonctionnement « uniquement mécanique, sans électronique ou électricité » qui a plu à la gendarmerie en plus d’un de son aspect « astucieux ». Pesant une vingtaine de kilos, il peut être aisément mis en place par un binôme.

Extrait du rapport d’aquisition du ministère de l’Intérieur.

Preuve de « l’urgence » pour les forces de l’ordre, l’achat se fera sans mise en concurrence comme le prévoit l’article 2122-1 du code de la commande publique. Le marché est signé le 30 mai 2024, une semaine après sa création. Il ne faudra ensuite qu’une semaine pour que les lance-grenades soient observés en Nouvelle-Calédonie, après un passage au centre national d’entraînement des forces de Gendarmerie, le CNEFG, de Saint-Astier. Cet achat d’urgence pour gérer la crise sur l’archipel n’empêchera donc pas l’arme de se retrouver dans la Vienne en juillet.

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Made in France

Conçu et vendu par TR Equipement, entreprise française installée dans le Maine-et-Loire, le « système de masquage 56 mm » permet de tirer instantanément quatre grenades par série de trois. « Notre système de masquage de calibre 56 mm et 40×46 mm offre une capacité de 4, 8 ou 12 coups par empilage rapide, adapté à divers vecteurs et missions », précise fièrement l’entreprise sur son compte Instagram. TR Equipement indique aussi que le lanceur est classé comme arme de catégorie A2 soit « matériels de guerre ». C’est la même entreprise qui a fourni pendant plus de dix ans les forces de l’ordre françaises en LBD avant de se faire doubler par Alsetex en 2019. 

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