Après la victoire de Trump, en Ukraine, l’angoisse de l’incertitude

La population ukrainienne oscille entre inquiétude, espoir et fatalisme, faute de savoir ce que fera réellement le nouveau président des États-Unis. Témoignages.

Pauline Migevant  • 13 novembre 2024 abonnés
Après la victoire de Trump, en Ukraine, l’angoisse de l’incertitude
Stephan, antiquaire à Lviv, se rassure en pensant que « Donald Trump ne fera peut-être pas tout ce qu’il dit ».
© Fiora Garenzi

Dans le wagon 18 du train de nuit entre Kyiv et Lviv, Maksym*, une tasse de thé à la main, est assis sur la couchette du bas. Son visage est marqué par la fatigue. Il porte une tenue militaire. Ce mardi 5 novembre, il a quitté les positions de son régiment d’infanterie dans l’est du pays à 5 heures du matin. Il rentre chez lui pour dix jours de permission. Concernant les élections états-uniennes, il n’avait « aucune attente ».

La victoire de Donald Trump, connue le matin même, ne lui « fait pas peur. Si on avait peur, on ne serait plus là. Ici, dit-il en pointant le paysage, ce serait déjà la Russie ». À côté de la fenêtre, Anton* et Roman*, 25 ans environ, sont face à face, militaires eux aussi. « Le problème, si on n’a plus d’aides, c’est qu’on ne pourra plus payer tout ce qui nous permet de tenir sur la technique. »

*

* Les prénoms suivis d’une astérisque ont été modifiés.

Ils travaillent comme mécaniciens dans l’aviation et sont préoccupés par la capacité de l’armée à financer les réparations du matériel militaire. Depuis 2022, l’assistance militaire des États-Unis, à hauteur de 60 milliards de dollars, a représenté plus de la moitié de l’assistance militaire totale.

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Quelques jours avant les élections, les États-Unis avaient annoncé une enveloppe de 425 millions de dollars, comprenant notamment un équipement de défense antiaérienne, des véhicules blindés, des munitions pour l’artillerie ou encore des armes antichars. Ce qui inquiète les deux jeunes militaires, c’est de finir par manquer « d’essence, de voitures, et de quoi réparer les machines ».

« Nos salaires ne sont pas payés par l’aide étrangère, car cela reviendrait à nous sponsoriser, mais le matériel si. Si on n’a plus ces aides, est-ce qu’il faudra payer avec nos propres salaires ? » « Certains le font déjà », répond son camarade. Néanmoins, ils veulent se montrer « enthousiastes ». « Si on n’a plus d’aide, peut-être que ça va nous souder encore plus, nous encourager à résister. Mais sûrement pas bien longtemps. »

Venez, venez passer 24 heures ici. Il n’y a pas une nuit sans alerte aérienne. 

Olena

L’incertitude liée à l’élection de Donald Trump quant aux conséquences sur l’Ukraine est palpable. S’il a largement critiqué, pendant la campagne, la politique de soutien à l’Ukraine menée par Joe Biden, ses intentions restent floues. Durant les mois précédant l’élection, il a répété qu’il trouverait un accord avec Vladimir Poutine et qu’il pourrait mettre un terme à la guerre en « vingt-quatre heures », sans donner davantage de précisions.

« Ça fait déjà dix ans que la guerre dure pour nous »

« Trump parle beaucoup mais je ne l’ai pas entendu dire qu’il réduirait le soutien à l’Ukraine », avait affirmé Volodymir Zelensky le 29 octobre, lors d’une conférence de presse en Islande. Pour Stephan, la cinquantaine, antiquaire à Lviv, la situation n’est pas « si catastrophique ». « Peut-être que Trump ne fera pas tout ce qu’il dit », se rassure-t-il. Et puis « ça fait déjà dix ans que la guerre dure pour nous et on a déjà connu cette situation où Trump était au pouvoir ».

À Kyiv, dans une librairie-café, Olena*, bientôt 20 ans, est bien plus inquiète. Le jour du résultat de l’élection, elle a remarqué que «les gens en parlaient beaucoup. Dans les transports, dans la rue, partout. Nous, on s’est trompés une fois en élisant Ianoukovitch [président ukrainien entre 2010 et 2014, pro-russe, NDLR] ; eux, ils se trompent en réélisant Trump. Ça va être très grave pour les États-Unis et pour le reste du monde ».

Trump ou Biden, c’est du pareil au même.

Oleg

La jeune fille porte un tee-shirt jaune, accordé à celui que porte sa collègue, bleu, les deux couleurs du drapeau ukrainien. À ceux qui n’ont pas conscience de ce que signifie la guerre qui s’éternise depuis deux ans et demi, Olena tient à dire : « Venez, venez passer 24 heures ici. Il n’y a pas une nuit sans alerte aérienne. » Au-delà des avancées russes sur le front, les frappes aériennes visant Kyiv et d’autres villes ukrainiennes se sont multipliées ces derniers mois.

La crainte de concessions territoriales

« Trump ou Biden, c’est du pareil au même », estime quant à lui Oleg, 30 ans, chauffeur de taxi à Kyiv. « J’ai regardé le résultat le matin de l’élection, mais je n’y pense pas plus que ça. » Ce qui est « dans sa tête » depuis deux ans et demi, « c’est la guerre en elle-même ». « De toute façon, ajoute-t-il, les États-Unis ne nous donnent même pas des armes pour attaquer, mais seulement pour nous défendre. Donc je ne suis pas inquiet. Et puis quand Trump a gagné, j’ai vu sur Telegram que Zelensky l’avait félicité pour sa réélection. Peut-être qu’il compte être ami avec lui pour négocier ? »

Volodymir Zelensky a en effet félicité Donald Trump sur X « pour son impressionnante victoire électorale ». En septembre, le président ukrainien, s’était rendu aux États-Unis pour présenter son « plan de victoire » à Joe Biden, mais également aux deux candidats à la présidentielle, Kamala Harris et Donald Trump. « Je ne pense pas que Zelensky fera le poids pour influencer Trump en faveur de l’Ukraine, soupire Olena. Il sera obligé de faire des concessions. » Une des craintes est liée aux concessions sur les territoires occupés par la Russie que pourrait comporter un plan de paix.

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Face à l’incertitude, Jake Sullivan, le conseiller à la sécurité nationale de Joe Biden, a annoncé, dimanche 10 novembre, que Washington verserait 6 milliards de dollars d’aide à l’Ukraine avant le début du mandat de Donald Trump, le 20 janvier prochain. Le but ? «Placer l’Ukraine dans la position la plus forte possible sur le champ de bataille pour qu’elle le soit à la table des négociations. »

Pour Katia et Tania, une soixantaine d’années, une chose est sûre : « On ne veut pas que le conflit soit seulement suspendu mais que la guerre se termine. » À leur échelle, elles se mobilisent. Sur la caisse de leur épicerie, les deux vendeuses ont affiché un QR code à scanner pour aider l’armée ukrainienne à acheter un 4×4.

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