Municipales 2026 : LFI à la conquête des villes
Le mouvement insoumis prépare son offensive pour remporter des mairies aux prochaines municipales. Des élections qui engagent un bras-de-fer avec les socialistes et légitimeraient la stratégie de Jean-Luc Mélenchon sur l’abstentionnisme et les quartiers populaires.
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2026 : un scrutin crucial pour les quartiers populaires « Les municipales sont vitales pour que La France insoumise perdure »Et si cette fois était la bonne ? Pour La France insoumise (LFI), les élections municipales ressemblent plus à une tannée qu’à autre chose. Les insoumis savent que les élections locales ne sont pas leur point fort, que leur organisation est formatée pour les grandes campagnes nationales. Mais, un an avant la présidentielle, le mouvement de Jean-Luc Mélenchon ne pourra pas enjamber l’obstacle.
« Ces municipales seront la nouvelle étape de la construction de notre mouvement politique, cela fera dix ans que nous existons », annonce Nathalie Oziol, députée insoumise de l’Hérault et chargée des élections au sein du mouvement. 2026 ressemble donc à une élection capitale pour les insoumis s’ils veulent se positionner comme la première force à gauche et propulser le triple candidat à la présidentielle dans une nouvelle aventure.
L’enjeu est de taille. Les insoumis avaient obtenu de mauvais résultats lors des dernières municipales, en plein covid-19, où l’abstention avait atteint un record. La plupart des listes LFI ont été éliminées dès le premier tour ; les insoumis présents dans des listes d’union de la gauche n’ont pas forcément été bien placés et la stratégie de soutien aux listes citoyennes dans de nombreuses villes n’a pas porté ses fruits. Résultat : LFI ne compte que très peu de maires.
« Notre politique reposait sur une remobilisation populaire, cela n’a pas rencontré le succès qu’on espérait », avait reconnu Jean-Luc Mélenchon lors de l’assemblée représentative du mouvement en juillet 2020. Le récit politico-médiatique sur la gauche était clair : les insoumis ont regardé de loin la percée écologiste et le maintien du Parti socialiste (PS).
L’objectif est de montrer que LFI est un mouvement politique durable, ancré dans le paysage politique français, pour 2026 et 2027.
A. Belouassa-Cherifi
Pour ne pas être une nouvelle fois spectatrices de ce scrutin dans deux ans, les têtes pensantes du mouvement « gazeux » planchent déjà sur les municipales. Un « programme de rupture à l’échelle communale », selon les mots d’un cadre de LFI, est en cours d’élaboration. Il pourrait contenir la défense d’un référendum d’initiative locale, le développement et la gratuité des transports en commun et la gratuité « réelle » de l’école publique. Ce programme, en cours de discussion au sein des réseaux militants, sera voté lors de la prochaine assemblée représentative du mouvement, le 14 décembre.
Pour compenser son manque d’implantation, LFI compte s’appuyer sur les achats de permanences. Trois locaux ont été acquis, à Perpignan, à Brest et à Valence. La quatrième ville ciblée est Belfort. Un investissement représentant plus de 140 000 euros, dont plus de la moitié vient des dons des militants. La Vienne, la Marne, l’Oise, le Calvados et l’Indre-et-Loire ont été désignés comme départements prioritaires pour accueillir de futurs QG.
« Dans ces départements, il y a des villes qui peuvent basculer bien à gauche. Cela peut être des points d’accueil pour les municipales », concède Antoine Léaument, député LFI et coresponsable de la campagne d’achats de locaux. Toutes ces manœuvres consistent aussi à ne pas se faire doubler par les socialistes, qui ont lancé un groupe de travail pour aborder ces élections. Mais aussi par les écologistes, qui sont en train de cartographier les territoires qui pourraient devenir verts avant de lancer leur campagne en automne 2025.
Tout cela sera-t-il suffisant ? « On dit souvent que La France insoumise oublie le monde rural et se concentre sur les zones périurbaines. Nous voulons maintenant être présents dans tous les départements, explique Anaïs Belouassa-Cherifi, députée du Rhône et coresponsable de la campagne d’achats de locaux. L’objectif est de montrer que LFI est un mouvement politique durable, ancré dans le paysage politique français, pour 2026 et 2027. »
Il n’est pas exclu de constituer des listes communes avec une ou plusieurs composantes du NFP dès le premier tour.
N. Oziol
Pour Séverine Véziès, membre de la direction de LFI, « nous nous retrouverons en 2026 dans la même situation que les Verts en 2020, qui avaient capitalisé sur leur score aux européennes pour gagner de nombreuses villes ». Un cadre du Nouveau Front populaire (NFP) relativise cet engouement : « Très peu de villes peuvent devenir insoumises. Leur objectif est de faire 10 % au premier tour et de réclamer des fusions de listes. »
Pour conquérir des bastions, « on a pour objectif de présenter une liste insoumise dans le plus grand nombre possible de villes, annonce Nathalie Oziol. Mais il n’est pas exclu de constituer des listes communes avec une ou plusieurs composantes du NFP dès le premier tour, à condition que ces composantes défendent un programme de rupture. » Plus question de soutenir des listes citoyennes comme en 2020. Plus question non plus de jouer l’union des gauches à 100 %.
« Nous allons privilégier les conquêtes dans les villes de droite. Mais nous nous rappelons aussi que les communistes et les socialistes ont tout fait pour nous empêcher d’entrer au Sénat en 2023. Si la vieille gauche continue de s’acharner ou si nos exigences programmatiques ne sont pas prises en compte, nous l’assumerons », prévient Gabriel Amard, député du Rhône et membre de la direction de LFI. « Nous nous préparons : il y aura partout des listes insoumises prêtes, pour l’union ou pour être proposées au vote », annonce Jean-Luc Mélenchon le 17 novembre sur France 3.
Rassembler les gauches
Dans la mire insoumise, des métropoles et des villes de plus de 10 000 habitants où le mouvement a obtenu de gros scores aux législatives, mais aussi aux européennes. Grenoble, où l’écolo Éric Piolle ne rempilera pas et pourrait soutenir Laurence Ruffin, la sœur de François Ruffin, mais aussi Strasbourg, Mulhouse, Avignon, Grande-Synthe, Valence ou Tourcoing apparaissent comme des territoires de conquête. Ce sont des villes où LFI s’est placée en première ou deuxième position aux européennes de 2024, et toujours en tête des gauches. Des villes où le mouvement mélenchoniste a multiplié son score par deux ou trois par rapport aux européennes de 2019.
De nombreuses communes populaires dans la région lyonnaise pourraient devenir des bastions de l’insoumission, comme Vénissieux, Villeurbanne ou Vaulx-en-Velin, une ville détenue depuis 2014 par Hélène Geoffroy, opposante à Olivier Faure, premier secrétaire du PS, et porte-parole de la branche hollandaise des roses. Pour l’affronter, le nom d’Abdelkader Lahmar circule. Le député du Rhône, qui s’était présenté aux municipales en 1995 en portant une liste citoyenne, ne ferme pas la porte : « Moi ou un autre, ce n’est pas le sujet. C’est le projet qu’on va défendre face à cette maire de droite déguisée qui compte. »
En Seine-Saint-Denis, où la liste de Manon Aubry est arrivée en première position dans 33 communes sur 40, certains insoumis ont la tête au combat à venir. À La Courneuve par exemple, Mohamed Awad, candidat malheureux de LFI lors de la législative qui l’opposait à la députée communiste sortante Soumya Bourouaha, soutenue par le reste du NFP, rêve de prendre la succession de Gilles Poux, maire communiste de la ville depuis vingt-huit ans, qui ne se représentera pas.
À Roubaix, David Guiraud, le député de la circonscription, espère ravir la mairie à la droite en s’imposant à la tête d’un rassemblement des gauches. Une exigence qui a crispé la fédération socialiste du Nord, dirigée par Sarah Kerrich-Bernard, membre de la direction du PS.
Mais qu’importe, les insoumis sont convaincus que cette ville est taillée pour eux : au premier tour de la présidentielle, en 2022, Jean-Luc Mélenchon y a recueilli 52,5 % des voix, contre 0,99 % pour la candidate socialiste, Anne Hidalgo. Cette commune où les taux de chômage et de pauvreté sont très élevés et l’abstention très forte figure comme un test à petite échelle de la future campagne présidentielle de Jean-Luc Mélenchon, certain qu’en luttant contre l’abstention et en mobilisant les quartiers populaires, la gauche retrouvera le pouvoir en 2027.
S’allier avec les écolos contre le PS
À Toulouse, « ça va être la castagne avec les insoumis », prédit un socialiste attaché à l’unité. Socialistes comme insoumis rêvent de détrôner Jean-Luc Moudenc, maire depuis 2014. Chez les roses, les prétendants se bousculent : la vice-présidente de la région Occitanie, Nadia Pellefigue, ou le patron de la fédération de Haute-Garonne, François Briançon.
Côté LFI, le député François Piquemal se positionne à demi-mot : « Ma candidature est une hypothèse. Mais mon objectif principal est que notre mouvement remporte la ville. Si on regarde les résultats depuis 2020, la ville, quand elle vote massivement, vote avec son cœur, à gauche. » Mais les militants locaux n’ont pas tiré une croix sur Agathe Roby, conseillère municipale et membre du conseil d’administration du réseau national des élus insoumis.
À Marseille, c’est le NFP qui score, c’est le contexte d’une mobilisation contre l’extrême droite qui score.
Les insoumis lorgnent également trois grandes villes : Marseille, Montpellier et Lille. Leur point commun ? Ce sont des communes détenues par des édiles socialistes hostiles aux insoumis, dans lesquelles LFI a pourtant dépassé les 20 % aux européennes. Dans la préfecture des Bouches-du-Rhône, le provocant et médiatique député Sébastien Delogu s’imagine prendre la place de Benoît Payan, l’homme qui a mis un terme au règne de la droite de Jean-Claude Gaudin. Sur place, les socialistes grincent. « Est-ce que Delogu est un candidat qui nous fait peur ? À Marseille, c’est le NFP qui score, c’est le contexte d’une mobilisation contre l’extrême droite qui score, et pas seulement LFI », lâche un sénateur PS.
Dans le chef-lieu de l’Hérault, le mouvement insoumis ambitionne de faire tomber Michaël Delafosse, membre du courant du maire de Rouen, Nicolas Mayer-Rossignol, opposant à Olivier Faure. La députée de la circonscription, Nathalie Oziol, l’affronterait : « La liste de l’Union populaire était en tête aux européennes, je suis élue au premier tour aux législatives. Il y a une forte hypothèse que je conduise une liste. »
Les insoumis pourraient également signer un deal avec les écologistes. Julia Mignacca, porte-parole des Écologistes à Montpellier et présidente du conseil fédéral du parti, appelle à la création d’un groupe d’opposition au maire socialiste et considère que la « logique de rassemblement des forces de rupture s’impose ». Une position qui pourrait fragiliser l’actuelle mairie, visée par deux enquêtes préliminaires concernant des emplois présumés fictifs et des soupçons de détournement de fonds.
Dans la préfecture du Nord, les insoumis comptent bien prendre la succession de la socialiste Martine Aubry en profitant des divisions socialistes entre le député Roger Vicot, la sénatrice Audrey Linkenheld et le premier adjoint Arnaud Deslandes.
Lille une ville insoumise, parce que c’est une ville populaire avec des gens qui ont subi la politique d’Emmanuel Macron.
A. Le Coq
« Mais c’est une ville insoumise, parce que c’est une ville populaire avec des gens qui ont subi la politique d’Emmanuel Macron, des quartiers où le taux de pauvreté et de chômage est très haut, et une ville particulièrement jeune », croit le député LFI du Nord Aurélien Le Coq, qui balaye pour le moment la question de sa candidature tout en égrenant quelques mesures qu’un candidat pourrait défendre, comme « l’extension des gratuités » pour les cantines scolaires ou les transports.
La bataille du leadership à gauche entre socialistes et insoumis se dessine. Pour fragiliser les territoires roses, les insoumis n’hésitent pas à négocier avec les écologistes locaux : les discussions informelles ont notamment commencé à Perpignan et à Brest. Un flou demeure néanmoins autour de la ville de Paris, qui suscite de nombreuses convoitises, du communiste Ian Brossat aux socialistes Emmanuel Grégoire et Rémi Féraud, désigné par Anne Hidalgo pour lui succéder. Du côté des insoumis, le nom de la députée Sophia Chikirou est avancé.
Une bataille entre toutes les chapelles de gauche devrait avoir lieu au premier tour. « Les insoumis sont dans leur logique. Ce sont les écologistes qui nous posent problème, ils vont se mettre en mode trading : s’allier avec les insoumis s’ils sont mieux servis ; tenter de réunir tout le monde dans le cas contraire, redoute un membre du bureau national du PS. La campagne présidentielle commencera pendant ces municipales, voire avant. » Et la machine insoumise se met déjà en marche.