« Les municipales sont vitales pour que La France insoumise perdure »

L’historien Gilles Candar, spécialiste de la gauche et membre du conseil d’administration de la Fondation Jean-Jaurès, analyse l’institutionnalisation du mouvement mélenchoniste et expose le « dilemme » auquel seront confrontés ses membres aux élections de 2026 : l’union ou l’autonomie.

Lucas Sarafian  • 20 novembre 2024 abonnés
« Les municipales sont vitales pour que La France insoumise perdure »
© Arnaud Jaegers / Unsplash

La France insoumise (LFI) tente de compenser son manque d’ancrage territorial. Certaines figures identifiées du public, comme David Guiraud et Sébastien Delogu, se positionnent en vue des municipales. Y a-t-il un changement stratégique ?

Gilles Candar : LFI ambitionnait déjà en 2020 de gagner certaines villes, même si les insoumis ont plus généralement soutenu des listes citoyennes. Ça n’avait pas vraiment fonctionné. Ce mouvement n’a eu que très peu d’élus municipaux. Aujourd’hui, ils tentent de s’affûter pour 2026 et pas seulement parce que la présidentielle aura lieu un an plus tard. À gauche, l’ancrage municipal est important pour la pérennité d’une formation. Au-delà de la présidentielle, LFI doit penser à son avenir. Ces municipales sont vitales pour que ce mouvement perdure.

« Les insoumis doivent faire face à un dilemme : faut-il assumer pleinement la confrontation à gauche ou tenter de nouer des accords et jouer le jeu de l’unité ? » (Photo : DR.)

Avec l’audience obtenue à la dernière présidentielle, aux législatives et aux européennes, les insoumis ont des espoirs. Mais ils doivent faire face à un dilemme : faut-il assumer pleinement la confrontation à gauche ou tenter de nouer des accords et jouer le jeu de l’unité ? Lors des sénatoriales, les insoumis avaient opté pour la deuxième option, mais les socialistes, les écologistes et les communistes n’y étaient pas favorables. Donc les insoumis pourraient aussi choisir la première voie.

Est-ce que les prochaines municipales pourraient fragiliser le Nouveau Front populaire (NFP) ?

Le socialisme et le communisme municipaux existent encore d’une certaine façon et se font toujours concurrence. Dans l’histoire, il y a toujours eu des affrontements fratricides au sein de la gauche : récemment encore, les écologistes et les socialistes se sont opposés fortement dans la région lyonnaise. Mais fondamentalement, depuis plus d’un siècle, les municipales jouent en faveur de l’union à gauche entre socialistes et communistes, les deux forces politiques qui ont dominé à gauche aux XIXe et XXe siècles.

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Même quand les relations ont été très difficiles au niveau national, des ententes locales se sont mises en place, en banlieue parisienne durant la Guerre froide, par exemple, ou, sous la IIIe République, entre tous les socialistes ou entre les guesdistes et les radicaux. LFI va-t-il aborder ce scrutin avec une stratégie autonome dans une logique d’affrontement ? Dans les années 1920 et 1930, le Parti communiste a pris cette décision stratégique et ça a plutôt fonctionné. Mais cela signifierait que LFI se mettrait en porte-à-faux avec la logique unitaire du NFP.

LFI est toujours en structure « gazeuse », ce qui est une faiblesse en cas d’élection locale.

Aux présidentielles et aux législatives, LFI a surtout su mobiliser les métropoles et les banlieues. Ce mouvement peut-il s’ancrer dans le territoire français plus durablement en 2026 ?

La France insoumise a progressé dans les métropoles et certaines banlieues, c’est vrai. Le mouvement revendique également des centaines de milliers de militants potentiels connectés à son réseau, ce qui est une force. Néanmoins, LFI est toujours en structure « gazeuse », ce qui est une faiblesse en cas d’élection locale. Jean-Luc Mélenchon a fait le choix de contourner le modèle du parti politique traditionnel, qu’il juge désuet, et il a eu en partie raison, car ces structures sont aujourd’hui en crise.

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Le triple candidat à la présidentielle a aussi démontré que cette construction ne l’empêchait pas d’avoir une force militante très efficace pour des campagnes nationales. Mais voter pour un député n’est pas la même chose que voter pour un maire. Et, de manière générale, son mouvement n’existe pas encore sur le plan municipal. Il ne peut donc pas bénéficier du jour au lendemain d’un relais local. Pour défendre un projet sur le long terme, les insoumis seront peut-être confrontés aux limites de la construction particulière de leur mouvement.

LFI a remporté des postes importants à l’Assemblée nationale. Le mouvement est notamment à la tête de deux commissions stratégiques, aux Finances et aux Affaires économiques. Peut-on parler d’institutionnalisation du mouvement ?

Nous pouvons constater une réelle inflexion stratégique. L’exemple d’Éric Coquerel (président de la commission des Finances, NDLR) est parlant. Il est dans une logique de rassemblement : il arrive à construire des majorités avec des groupes qui ne sont pas de gauche, mais plutôt centristes ; il se montre force de propositions. La France insoumise représente encore une gauche radicale, mais elle est capable de dialoguer avec une gauche plus modérée, voire avec le centre. Une autre ligne de communication coexiste tout de même : le noyau dur mélenchoniste – David Guiraud, qui brigue la ville de Roubaix, en fait partie – reste dans la contestation visible et offensive. Affaire de style ou de stratégie ? À un moment donné, un choix s’imposera.

Après les européennes, Jean-Luc Mélenchon a théorisé la « nouvelle France », c’est-à-dire cette France « qui refuse d’être la France réactionnaire et colonialiste », ces populations « racisées, féminines et jeunes », ces citoyens « dont les parents émigrés des autres continents et des autres provinces de France se sont rassemblés dans ces grands ensembles urbains que l’on voit partout sur notre territoire ». Cette ligne stratégique peut-elle trouver une majorité ?

Jean-Luc Mélenchon lance une idée qui témoigne de sa recherche d’un espace politique. Cette formule de « nouvelle France » reflète l’électorat insoumis, très implanté dans un certain nombre de quartiers populaires de banlieue et dans la jeunesse. Le discours insoumis trouve également un écho chez la jeunesse estudiantine et parmi les populations « racisées ». Mais, au fond, la gauche a toujours été embêtée stratégiquement par les nécessités électorales.

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La théorie marxiste telle qu’elle est comprise traditionnellement, qui valorise la classe ouvrière, a longtemps dominé la pensée socialiste et communiste. Mais la gauche n’a eu de cesse de repenser la construction de son électorat car, ­concrètement, ce ne sont pas seulement les ouvriers qui votent aux élections. Jean Jaurès, Léon Blum, Maurice Thorez comme Georges Marchais ont été confrontés à cette question et ont transformé et adapté leurs discours, y compris théoriques.

Mélenchon tente de trouver une ligne pour mobiliser une majorité possible.

De ce fait, tous les dirigeants de gauche ont repensé la conception de la classe ouvrière et de ses alliés jusqu’à un élargissement très avancé. Jean-Luc Mélenchon fait cela : il tente de trouver une ligne pour mobiliser une majorité possible. Mais cette stratégie risque peut-être aussi de marginaliser le mouvement, en le cantonnant à l’excès sur des cibles trop spécifiques et militantes. Nous verrons bien si un équilibre fructueux parvient à être trouvé.

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